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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Sur le droit de vote des détenus
Mots-clefs : Prison, Détenus, Droit de vote, Réglementation nationale, Critères de restriction, Art. 3 Prot. add. n°1 Conv. EDH
La CEDH vient de confirmer les critères indispensables pour qu’une législation qui envisage la restriction du droit de vote des détenus soit conforme à l’article 3 du Protocole additionnel n°1 à la Conv. EDH. Dalloz Actu Étudiant revient sur la nature juridique de ce droit et sur les mesures retenues dans ce domaine en droit français.
Dans l’affaire Scoppola c. Italie (n°3) en date du 22 mai 2012, la Cour européenne des droits de l’homme réaffirme les principes dégagés dans l’arrêt Hirst (n°2) c. Royaume-Uni (CEDH, Gr. ch., 6 oct. 2005) selon lesquels :
– la déchéance du droit de vote des détenus ne peut être générale, automatique et d’application indifférenciée ;
– il appartient aux États membres de décider de la manière de réglementer cette interdiction imposée aux détenus : soit confier au juge le soin d’apprécier la proportionnalité de la mesure, soit légiférer en définissant les circonstances dans lesquelles cette restriction s’applique (v. art. N. Hervieu).
M. Scoppola s’était plaint d'avoir été privé de son droit de vote du fait de l’interdiction d’exercer des fonctions publiques prononcée à la suite de sa condamnation pénale pour le meurtre de sa femme et les blessures infligées à l’un de ses enfants. Constatant qu’en droit italien, l’interdiction du droit de vote ne s’applique qu’aux détenus reconnus coupables de certaines infractions et selon la durée de la peine et qu’une réhabilitation est possible dans certaines conditions, la Cour conclut à la non-violation de l’article 3 du Protocole additionnel n°1 à la Conv. EDH (droit à des élections libres) en soulignant, qu’en l’espèce, l’interdiction du droit de vote n’était pas disproportionnée et que la législation italienne ne présentait pas les caractères de généralité, d’automaticité et d’application indifférenciée qui avaient été identifiés dans la législation britannique à l’occasion de l’affaire Hirst.
Depuis l’affaire Hirst, le Royaume-Uni semble maintenir sa position malgré l’invitation renouvelée de la Cour et l'octroi d’un nouveau délai de 6 mois à compter de la date du prononcé de l’arrêt Scoppola (n°3) pour mettre en conformité son droit. Mais que prévoit le Code pénal français ?
Avec les affaires Scoppola et Hirst, la CEDH rappelle la nécessité de protéger le droit de vote pour l’établissement, le bon fonctionnement et le maintien de la démocratie régie par l’État de droit. À cet effet, le droit de vote est érigé en principe fondamental. Il est ainsi protégé tant au niveau international par l’article 25 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques qui prévoit un droit de vote « sans restrictions déraisonnables », qu’au niveau européen par l’article 3 du Protocole additionnel n°1 à la Conv. EDH (droit à des élections libres) et l’article 24-11 des règles pénitentiaires européennes qui soutient le principe de participation aux élections « à moins que l’exercice de ce droit (…) ne soit limité en vertu du droit interne ». En droit interne français, le droit de vote est un principe à valeur constitutionnel (Cons. const. 18 nov. 1982). Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal le 1er mars 1994, la France s’est inscrite dans la tendance européenne (v. § 45 s. de la décision Scoppola n°3) allant vers une diminution des limitations au droit de vote des détenus (art. L. 117 C. élec.) puisque la privation de ce droit au titre des droits civiques, civils et de famille visés à l’article 131-26 du Code pénal, ne peut plus résulter de plein droit d’une condamnation pénale mais d’une décision expresse (art. 132-21 C. pén.). En principe, cette peine complémentaire ne peut excéder une durée de 10 ans en cas de condamnation pour un crime et 5 ans en cas de délit (art. 131-26, al. 2 C. pén.).
Contrairement à son homologue britannique, la législation française semble donc répondre aux impératifs européens. Il est toutefois dénoncé qu’en pratique le droit de vote des détenus en prison est difficile à exercer (inscription sur la liste de la commune où se situe l'établissement pénitentiaire, obligation d’y avoir résidé 6 mois, vote par procuration imposant que le mandataire soit inscrit dans la même commune que le mandant : v. art. L. 11, L. 71 et L. 72 C. élec.) et qu’une simplification serait la bienvenue.
CEDH, Gr. ch., 23 mai 2012, Scoppola c. Italie (n°3), n°126/05
Références
■ N. Hervieu, « Droit de vote des détenus : la diplomatie jurisprudentielle au service d’une paix des braves sur le front européen des droits de l’homme (CEDH, G. C. 23 mai 2012, Scoppola c. Italie (n°3)) », Combats pour les droits de l’homme 23 mai 2012.
■ J.-P. Céré, V° « Prison (Normes européennes) », Rep. pén. Dalloz, n°73 s.
■ CEDH, Gr. ch., 6 oct. 2005, Hirst (n°2) c. Royaume-Uni, n°74025/01.
■ Cons. const. 18 nov. 1982, n°82-146 DC, Loi modifiant le code électoral et le code des communes et relative à l'élection des conseillers municipaux et aux conditions d'inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales.
■ Article 3 du Protocole additionnel n°1 à la Conv. EDH - Droit à des élections libres
« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »
■ Article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966
« Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions déraisonnables:
a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis;
b) De voter et d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l'expression libre de la volonté des électeurs;
c) D'accéder, dans des conditions générales d'égalité, aux fonctions publiques de son pays. »
■ Article 24.11 des règles pénitentiaires européennes
« Les autorités pénitentiaires doivent veiller à ce que les détenus puissent participer aux élections, aux référendums et aux autres aspects de la vie publique, à moins que l’exercice de ce droit par les intéressés ne soit limité en vertu du droit interne. »
■ Code pénal
« L'interdiction des droits civiques, civils et de famille porte sur :
1° Le droit de vote ;
2° L'éligibilité ;
3° Le droit d'exercer une fonction juridictionnelle ou d'être expert devant une juridiction, de représenter ou d'assister une partie devant la justice ;
4° Le droit de témoigner en justice autrement que pour y faire de simples déclarations ;
5° Le droit d'être tuteur ou curateur ; cette interdiction n'exclut pas le droit, après avis conforme du juge des tutelles, le conseil de famille entendu, d'être tuteur ou curateur de ses propres enfants.
L'interdiction des droits civiques, civils et de famille ne peut excéder une durée de dix ans en cas de condamnation pour crime et une durée de cinq ans en cas de condamnation pour délit.
La juridiction peut prononcer l'interdiction de tout ou partie de ces droits.
L'interdiction du droit de vote ou l'inéligibilité prononcées en application du présent article emportent interdiction ou incapacité d'exercer une fonction publique. »
« L'interdiction de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille mentionnés à l'article 131-26 ne peut, nonobstant toute disposition contraire, résulter de plein droit d'une condamnation pénale.
Toute personne frappée d'une interdiction, déchéance ou incapacité quelconque qui résulte de plein droit, en application de dispositions particulières, d'une condamnation pénale, peut, par le jugement de condamnation ou par jugement ultérieur, être relevée en tout ou partie, y compris en ce qui concerne la durée, de cette interdiction, déchéance ou incapacité, dans les conditions fixées par le code de procédure pénale. »
■ Code électoral
« Sont inscrits sur la liste électorale, sur leur demande :
1° Tous les électeurs qui ont leur domicile réel dans la commune ou y habitent depuis six mois au moins ;
2° Ceux qui figurent pour la cinquième fois sans interruption, l'année de la demande d'inscription, au rôle d'une des contributions directes communales et, s'ils ne résident pas dans la commune, ont déclaré vouloir y exercer leurs droits électoraux. Tout électeur ou toute électrice peut être inscrit sur la même liste que son conjoint au titre de la présente disposition ;
3° Ceux qui sont assujettis à une résidence obligatoire dans la commune en qualité de fonctionnaires publics.
Sont également inscrits, dans les mêmes conditions, les citoyens qui, ne remplissant pas les conditions d'âge et de résidence ci-dessus indiquées lors de la formation des listes, les rempliront avant la clôture définitive.
L'absence de la commune résultant du service national ne porte aucune atteinte aux règles ci-dessus édictées pour l'inscription sur les listes électorales. »
« Peuvent exercer, sur leur demande, leur droit de vote par procuration :
a) Les électeurs attestant sur l'honneur qu'en raison d'obligations professionnelles, en raison d'un handicap, pour raison de santé ou en raison de l'assistance apportée à une personne malade ou infirme, il leur est impossible d'être présents dans leur commune d'inscription le jour du scrutin ou de participer à celui-ci en dépit de leur présence dans la commune ;
b) Les électeurs attestant sur l'honneur qu'en raison d'obligations de formation, parce qu'ils sont en vacances ou parce qu'ils résident dans une commune différente de celle où ils sont inscrits sur une liste électorale, ils ne sont pas présents dans leur commune d'inscription le jour du scrutin ;
c) Les personnes placées en détention provisoire et les détenus purgeant une peine n'entraînant pas une incapacité électorale. »
« Le ou la mandataire doit jouir de ses droits électoraux et être inscrit dans la même commune que le mandant. »
« Les personnes physiques coupables des infractions prévues par les articles L. 86 à L. 88, L. 91 à L. 104, L. 106 à L. 109, L. 111, L. 113 et L. 116 encourent également l'interdiction des droits civiques mentionnés aux 1° et 2° de l'article 131-26 du code pénal suivant les modalités prévues par cet article.
Les personnes physiques déclarées coupables du crime prévu à l'article L. 101 encourent également à titre de peines complémentaires l'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-27 du code pénal, soit d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, soit d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour leur propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions d'exercice peuvent être prononcées cumulativement.
La juridiction peut ordonner l'affichage ou la diffusion de la décision prononcée, dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal. »
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