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[ 24 avril 2019 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Tu ne sacrifieras ni poules ni chèvres

Le principe de liberté religieuse n’autorise pas la pratique de sévices et d’actes de cruauté sur des animaux autres que ceux restrictivement admis, par exception à la loi pénale, par la coutume relative aux corridas et combats de coqs.

A l’occasion de cérémonies rituelles et payantes, son organisatrice, qui se prétendait voyante, guérisseuse et prêtresse vaudoue, sacrifiait des poules ou des chèvres, à mains nues ou avec un sabre pour offrir leur sang qui s’en extrayait aux participants à l’effet de les guérir d’une maladie, d’un chagrin ou d’un deuil. 

Le 11 avril 2016, le tribunal correctionnel de Pontoise, sur le fondement de l’abus de faiblesse, l’avait déclaré « coupable d’abus frauduleux de l’ignorance ou de la faiblesse d’une personne, par direction d’un groupement poursuivant des activités maintenant ou exploitant la sujétion psychologique ou physique des participants ». Il avait en revanche refusé de la juger coupable de sévices envers des animaux, infraction dont une association de défense animale avait demandé, en qualité de partie civile, qu’elle fût poursuivie sur le fondement de l’article 521-1, alinéa 1er du Code pénal, selon lequel « le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende ». Ce refus était justifié par le fait, dont l’accusée avait réussi à convaincre les juges, de son absence totale d’intention d’infliger aux animaux sacrifiés une souffrance, celle-ci n’ayant été que le résultat de sa démarche « purificatrice, comme dans le cadre d’un abattage rituel ».

La cour d’appel qu’elle avait saisie confirma sa culpabilité pour les faits d’abus de faiblesse, mais l’élargit en la rendant également responsable de sévices sur animaux, au motif qu’ « en application de l’article R. 214-73 du code rural, il est interdit à toute personne de procéder ou faire procéder à un abattage rituel en dehors d’un abattoir », et la condamna à indemniser l’association de protection animale. 

Pour contester sa condamnation, elle soumit à la chambre criminelle de la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité, posée dans les termes suivants : les dispositions de l’article 521-1 du Code pénal, qui incriminent les « sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux », en tant qu’elles ne prévoient pas une exception pour les actes consistant à mettre à mort un animal dans le contexte religieux d’un sacrifice à une divinité, sont-elles contraires aux droits et libertés que la Constitution garantit et, plus précisément, au principe de liberté religieuse garanti par les articles 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 et 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et à l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’au principe d’égalité devant la loi garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789 ?

La Cour de cassation affirme que la question, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle et ajoute qu’elle ne présente pas un caractère sérieux au motif, d’une part, que le principe de liberté religieuse n’implique pas que soit autorisée la pratique, sur les animaux domestiques apprivoisés ou tenus en captivité, de sévices et actes de cruauté au sens de l’article 521-1 du Code pénal, c’est-à-dire d’actes accomplis intentionnellement dans le but de provoquer leur souffrance ou leur mort et, d’autre part, que le principe d’égalité, qui ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit, n’impose pas d’étendre l’exonération de responsabilité pénale prévue à l’article 521-1 du Code pénal à d’autres cas que ceux, limitativement énumérés, des combats de coqs (Cons. const. 31 juill. 2015, n° 2015-744 QPC) et des courses de taureaux (Cons. const. 21 sept. 2012, n° 2012-271 QPC) dont le législateur n’a, par exception, permis la poursuite que dans les parties du territoire national où elles font partie d’une tradition ininterrompue et pour les seuls actes relevant de cette tradition. 

Cette décision présente tout d’abord l’intérêt de mettre en lumière une source du droit français qui, quoiqu’incontestée, est rarement illustrée, la coutume. Elle trouve dans la décision rapportée une application dans la tradition locale ininterrompue de corridas ou de combats de coqs, coutume issue d’antiques et pérennes pratiques régionales qui permettent de déroger à l’application des sanctions pénales frappant les actes de cruauté à l’égard des animaux (V. Civ. 1re, 7 févr. 2006, n° 03-12.804), étant précisé que la corrida a été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel en 2012 (21 sept. 2012, n° 2012-271 QPC).

Elle offre ensuite l’occasion de rappeler le lien entre la liberté religieuse et la liberté de culte, cette dernière impliquant celle de se livrer à des rites et pratiques cultuelles par le biais, notamment, de « cérémonies, processions et autres manifestations extérieures » (loi de 1905, art. 27) qui, libres par principe, ne nécessitent pas de déclaration préalable et ne peuvent être interdites qu’en cas de menaces graves à l’ordre public. 

Elle rappelle enfin, l’émergence d’un phénomène encore relativement récent : l’élargissement de la notion traditionnelle de convictions religieuses, et de la liberté de leur expression, aux pratiques sectaires, nées du développement de nouvelles doctrines religieuses, généralement contestées, visant des groupements appelés « sectes », quelle qu’en soit leur forme ou objet juridique, poursuivant des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités (L. 12 juin 2001), la difficulté étant de départir, au sein de tels groupements, ceux qui, comme en atteste cette décision, se rendent en réalité coupables d’abus de faiblesse, de ceux dont l’action ne mérite pas cette qualification, outre l’interdiction faite à l’État, qui doit ici être rappelée, de faire preuve de discrimination envers une religion quelle qu’elle soit, en vertu du principe de neutralité, découlant du principe de laïcité, auquel il est soumis. C’est la raison pour laquelle les mouvements sectaires bénéficient, en principe, d’une liberté de culte identique à celle reconnue à tout mouvement religieux. 

Cette identité de traitement implique alors, et c’est le dernier apport de la solution ici rendue par la Cour, d’encadrer l’application de la liberté de cultes aux sectes par un certain nombre de limites, à l’instar de celles que tempèrent, de manière plus connue (V. l’affaire du voile intégral), la liberté religieuse, pourtant fondamentale. Ainsi la Cour affirme-t-elle qu’une telle liberté n’autorise pas la commission de sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux. Il mérite toutefois d’être précisé que le juge se montre parfois moins catégorique lorsque l’équilibre entre des intérêts divergents mais également impératifs lui paraît avoir été atteint (V. CE 19 juill. 2011, Communauté urbaine du Mans, n° 309161 : la communauté urbaine du Mans pouvait, dans l’intérêt de l’ordre public, et notamment de la salubrité et de la santé publiques, aménager un abattoir temporaire pour ovins à l’occasion d’une fête musulmane, dès lors que le droit concédé l’était « dans des conditions, notamment tarifaires, qui respectent le principe de neutralité à l’égard des cultes et le principe d’égalité et qui excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte »).

Enfin, sous l’angle du principe de l’égalité, la décision rappelle la règle d’interprétation selon laquelle lorsque le texte qu’il est demandé d’appliquer contient une exception, celle-ci ne doit pas être étendue au-delà du cas expressément prévu par la loi, dont les termes littéraux doivent être scrupuleusement respectés, conformément à l’adage selon lequel les exceptions sont d’interprétation stricte.

Crim., QPC, 5 mars 2019, n° 18-84.554

Références

■ Cons. const. 31 juill. 2015, n° 2015-744 QPC

■ Cons. const. 21 sept. 2012, n° 2012-271 QPC : AJDA 2012. 1770 ; D. 2012. 2486, note X. Daverat ; ibid. 2233, édito. F. Rome ; ibid. 2917, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2012. 597, obs. C. Lacroix ; AJCT 2013. 50, obs. L. Fabre ; JS 2012, n° 125, p. 9, obs. G.D. ; RFDA 2013. 141, chron. Agnés Roblot-Troizier et G. Tusseau ; Constitutions 2012. 616, obs. P. Abadie ; RSC 2013. 427, obs. B. de Lamy

■ Civ. 1re, 7 févr. 2006, n° 03-12.804 P : D. 2006. 528 ; RTD civ. 2007. 57, obs. P. Deumier

■ CE 19 juill. 2011, Communauté urbaine du Mans, n° 309161 A : AJDA 2011. 1460, obs. M.-C. Montecler ; ibid. 1667, chron. X. Domino et A. Bretonneau ; ibid. 2014. 124, chron. S. Hubac ; D. 2011. 2375, obs. M.-C. de Montecler, note M. Touzeil-Divina ; ibid. 2025, édito. F. Rome ; AJCT 2011. 515, obs. M. Perrier ; RFDA 2011. 967, concl. E. Geffray

 

Auteur :Merryl Hervieu


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