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[ 3 juin 2015 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Une personne en situation de précarité ne peut être privée d’eau.

Mots-clefs : Eau, Conseil constitutionnel, QPC, Objectif de valeur constitutionnelle, Logement décent, Liberté contractuelle, Liberté d’entreprendre, principe d’égalité

Le Conseil constitutionnel reconnaît l’accès à l’eau comme l’une des composantes de l’objectif de valeur constitutionnelle constitué par la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent.

L’article 19 de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, dites loi Brottes, étend à l'ensemble des consommateurs domestiques le dispositif dit de la « trêve hivernale » (1er nov.-15 mars), durant laquelle les fournisseurs d'électricité, de gaz naturel, de chaleur et d'eau ne peuvent procéder à l'interruption du service. Toutefois, cette loi prévoit uniquement pour les fournisseurs d’eau que cette interdiction s’applique tout au long de l’année (CASF, art. L. 115-3 et Décr. n° 2008-780 du 13 août 2008 relatif à la procédure applicable en cas d'impayés des factures d'électricité, de gaz, de chaleur et d'eau).

A l’origine de l’affaire, une personne vivant dans un immeuble était devenue débitrice de plusieurs factures impayées à la société SAUR SAS, exploitante du service public de distribution d’eau potable de la commune. Après la signature d’un échéancier de règlement et à la suite de l’émission d’une nouvelle facture demeurée impayée, la société SAUR SAS a procédé à la fermeture du branchement au frais de la personne débitrice.

Cette personne et la Fondation France liberté ont alors assigné la société aux fins de réouverture du branchement d’eau potable, d’interdiction d’émission de factures pour la période correspondant à la coupure du branchement en eau, d’interdiction de nouvelle fermeture du branchement en cause et de condamnation de la société à des dommages-intérêts. C’est au cours de cette procédure devant le TGI, que la société SAUR SAS a posé une QPC qui a ensuite été renvoyée par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel. Selon la Cour de cassation : « la disposition contestée, qui interdit, dans une résidence principale, l’interruption, y compris par résiliation du contrat, pour non-paiement des factures, de la distribution d’eau tout au long de l’année, est susceptible de porter une atteinte excessive à la liberté contractuelle, à la liberté d’entreprendre et à l’égalité des citoyens devant les charges publiques, en ce qu’elle interdit aux seuls distributeurs d’eau, à la différence des fournisseurs d’électricité, de chaleur ou de gaz, de résilier le contrat pour défaut de paiement, même en dehors de la période hivernale, sans prévoir aucune contrepartie et sans que cette interdiction générale et absolue soit justifiée par la situation de précarité ou de vulnérabilité des usagers bénéficiaires ».

Le Conseil constitutionnel, vient de décider de la conformité à la Constitution de la disposition contestée, à savoir la dernière phrase du troisième alinéa de l’article L. 115-3 du Code de l’action sociale et des familles.

Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel rappelle que la dernière phrase du troisième alinéa de l’article L. 115-3 du Code de l’action sociale et des familles ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre (DDH, art. 4) en interdisant aux distributeurs d’eau d’interrompre la fourniture du service pour défaut de paiement, même en dehors de la période hivernale : 

■ En entendant garantir l’accès à l’eau pour toute personne occupant une résidence principale et cela, pendant toute l’année, l’objectif du législateur était de s’assurer qu’aucune personne en situation de précarité ne puisse être privée d’eau. L’accès à l’eau répond à un besoin essentiel de la personne. Le législateur poursuit ainsi l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent (Préamb. Const. 1946, al. 1er, 10 et 11).

■ Le Conseil constitutionnel reconnaît ensuite que l’atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre résultant de l’interdiction d’interrompre la distribution d’eau n’est pas manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur. En effet, il résulte du Code général des collectivités territoriales que la distribution d’eau potable est un service public industriel et commercial (SPIC) relevant de la compétence de la commune. Ce SPIC peut être soit exploité en régie directe, soit affermé ou concédé à des entreprises par délégation de service public. L’usager ne peut pas choisir son distributeur d’eau et celui-ci ne peut pas refuser de contracter avec un usager. Lorsqu’il s’agit d’une délégation de service public, le contrat conclu entre le délégataire et l’usager s’applique en vertu d’une convention de délégation dont le tarif de la distribution d’eau est encadré par la loi. Il s’agit ainsi d’un marché réglementé. Par ailleurs, la disposition contestée constitue une dérogation à l’exception d’inexécution du contrat de fourniture d’eau. Toutefois, le distributeur d’eau dispose de moyens de recouvrer les créances correspondant aux factures impayées.

Dans un second temps, le Conseil constitutionnel décide que la disposition contestée ne porte pas atteinte aux principes d’égalité devant la loi et les charges publiques (DDH, art. 6 et 13) :

■ Selon la société SAUR SAS, il existerait une atteinte au principe d’égalité devant la loi (DDH, art. 6) car les fournisseurs d’électricité, de chaleur et de gaz ont l’interdiction d’interrompre leur service uniquement pendant la trêve hivernale, alors que les fournisseurs d’eau ne peuvent tout simplement jamais interrompre leur service en cas de factures impayées. Mais les juges constitutionnels écartent ce grief en précisant que les distributeurs d’eau n’étaient pas placés dans la même situation que les fournisseurs d’électricité, de chaleur et de gaz. Les règles applicables à la distribution de l'eau dans les résidences principales sont en rapport direct avec l'objectif poursuivi par le législateur d'assurer la continuité de la distribution de cette ressource.

■ La société requérante soutenait que l’interdiction d’interruption de distribution d’eau quand un usager ne paie pas ses factures, obligeait les distributeurs d’eau à reporter sur l’ensemble des usagers le surcoût résultant du non-paiement des factures par certains usagers ce qui porterait atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques (DDH, art. 13). Le Conseil constitutionnel a relevé que ce grief manquait en fait car la disposition contestée est sans effet sur les créances des distributeurs d’eau sur les usagers.

Cons. const. 29 mai 2015, Sté SAUR SAS, n° 2015-470 QPC.

Références

■ Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789

Article 4

La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. 

Article 6

La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. 

Article 13

Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. 

■ Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Alinéa 1er

Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. 

Alinéa 10

La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. 

Alinéa 11

Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. 

■ Code de l’action sociale et des familles

Article L. 115-3

Dans les conditions fixées par la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, au regard notamment de son patrimoine, de l'insuffisance de ses ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité pour disposer de la fourniture d'eau, d'énergie et de services téléphoniques dans son logement.

En cas de non-paiement des factures, la fourniture d'énergie, d'eau ainsi que d'un service téléphonique restreint est maintenue jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande d'aide. Le service téléphonique restreint comporte la possibilité, depuis un poste fixe, de recevoir des appels ainsi que de passer des communications locales et vers les numéros gratuits, et d'urgence.

Du 1er novembre de chaque année au 15 mars de l'année suivante, les fournisseurs d'électricité, de chaleur, de gaz ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l'interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d'électricité, de chaleur ou de gaz aux personnes ou familles. Les fournisseurs d'électricité peuvent néanmoins procéder à une réduction de puissance, sauf pour les consommateurs mentionnés à l'article L. 337-3 du code de l'énergie. Un décret définit les modalités d'application du présent alinéa. Ces dispositions s'appliquent aux distributeurs d'eau pour la distribution d'eau tout au long de l'année.

Lorsqu'un consommateur n'a pas procédé au paiement de sa facture, le fournisseur d'électricité, de chaleur, de gaz ou le distributeur d'eau l'avise par courrier du délai et des conditions, définis par décret, dans lesquels la fourniture peut être réduite ou suspendue ou faire l'objet d'une résiliation de contrat à défaut de règlement.

Les fournisseurs d'électricité, de gaz naturel ou de chaleur transmettent à la Commission de régulation de l'énergie et au médiateur national de l'énergie, selon des modalités définies par voie réglementaire, des informations sur les interruptions de fourniture ou les réductions de puissance auxquelles ils procèdent.

■ Décret n° 2008-780 du 13 août 2008 relatif à la procédure applicable en cas d'impayés des factures d'électricité, de gaz, de chaleur et d'eau.

 

Auteur :C. G.


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