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[ 10 juin 2013 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Violence morale et rupture conventionnelle du contrat de travail

Mots-clefs : Contrat de travail, Rupture conventionnelle, Violence morale, Requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse

Si l’existence d’un différend opposant les parties lors de la conclusion de la convention de rupture n’affecte pas par elle-même la validité de cette convention, la rupture conventionnelle doit néanmoins être requalifiée en licenciement sans cause et réelle lorsque la violence a vicié le consentement d’une des parties.

La rupture conventionnelle serait-elle passée de mode ? Si dès sa création, par la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail, elle connut un succès remarquable (au point de devenir le troisième mode de rupture d'un CDI, après la démission et le licenciement non économique), son succès semble désormais faiblir. Outre un récent durcissement de la législation sociale en la matière, l’encadrement progressif, par la jurisprudence, de cette pratique conventionnelle nouvelle promet de dissuader les employeurs de trop y recourir.

Aussi, dès 2011, la chambre sociale exigea, dans le cadre d’un licenciement économique, de prendre en compte la rupture conventionnelle pour définir les modalités d'information et de consultation des représentants du personnel ainsi que les obligations en matière de plan de sauvegarde de l'emploi (Soc. 9 mars 2011 : « la remise d'un exemplaire de la convention de rupture au salarié est nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l'homologation de la convention (...) et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d'exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause »).

Plus récemment, la jurisprudence sociale a clairement manifesté sa volonté de s'assurer de l'expression d'un consentement valable. La décision rapportée en constitue la dernière illustration (v. déjà, Soc. 6 févr. 2013), la chambre sociale sanctionnant une rupture conventionnelle homologuée au motif qu’elle avait été signée dans une situation de violence morale, déduite des pressions exercées pour en obtenir la signature. En l’espèce, une avocate salariée avait reçu de son employeur une lettre lui reprochant certains manquements professionnels qui justifiaient son licenciement. La salariée accepta alors, comme il le lui fut conseillé, de signer une convention de rupture. Invoquant le vice de son consentement, elle en contesta, ensuite, la validité. En appel, la cour lui donna raison, estimant qu'il résultait des faits une situation de violence, au sens de l'article 1112 du Code civil, qui justifiait l'annulation de l'acte de rupture conventionnelle ; elle en déduisit que la rupture du contrat de travail devait produire les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Cette décision est en tout point confirmée par la Cour de cassation.

Selon l'article L. 1237-11 du Code du travail, « la rupture conventionnelle ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties. Elle résulte d'une convention signée par les parties au contrat. Elle est soumise aux dispositions de la présente section, destinées à garantir le consentement des parties ».

Un double contrôle de l'intégrité du consentement a également été instauré : celui de l'administration lors de l'homologation de la convention et celui du juge prud'homal saisi, comme en l'espèce, d'une demande en annulation d'une convention homologuée pour vice du consentement.

Au-delà des exigences du droit du travail, la rupture conventionnelle est, également, soumise à celles du droit des contrats, faisant dépendre la validité du consentement de son absence de vice. Si l'erreur (de droit ou sur l'objet de la convention) ou le dol (lié à l'existence d'une manœuvre afin de déterminer le contractant à signer) peuvent théoriquement être invoqués, « c'est probablement la violence, quasiment désertée en droit commun, qui pourrait être le plus sollicitée » (v. G. Loiseau).

Sur ce point, l’arrêt commenté prolonge celui rendu par la même chambre le 30 janvier 2013, dans lequel elle invalida une rupture conventionnelle qui, quoique homologuée, avait été signée « dans une situation de violence morale » du fait d’un harcèlement moral exercé sur la salariée. Sur ce terrain, l'employeur soutenait, en l’espèce, que la simple menace subie par la salariée de se voir licencier était insusceptible de caractériser une violence. Il est vrai que, selon une jurisprudence constante, l'exercice normal d'un moyen légal ou d'une voie de droit légitime ne constitue pas à lui seul une violence. Il soulignait, également, que la reprise d’une activité professionnelle par la salariée excluait le vice de son consentement.

Se plaçant au seul jour de la conclusion du contrat pour apprécier le vice de violence invoqué, la Cour de cassation retint, au contraire, que les menaces proférées avaient contraint sa victime à signer la convention.

Cette solution confirme qu’en ce cas, la violence résulte moins d’une contrainte exercée lors de la signature de l’acte que des pressions ayant forcé sa conclusion. Surtout, elle innove sur deux points : d’une part, la requalification inédite de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse écarte, pour une meilleure indemnisation de la salariée (C. trav., art. L. 1235-3 et L. 1235-5), la sanction naturelle de la nullité du contrat ; d’autre part, le refus de la Cour de subordonner la validité d'une rupture conventionnelle à l'absence de différend entre les parties permet de clore enfin un débat qui opposait les juridictions du fond : il est clair, désormais, que le vice du consentement du salarié ne peut être seulement déduit du litige qui l’oppose à son employeur.

Soc. 23 mai 2013, n°12-13.865

Références

 Soc. 9 mars 2011, n° 10-11.581.

■ Soc. 6 févr. 2013, n° 11-27.000.

■ Soc. 30 janv. 2013, n° 11-22.332.

 G. Loiseau, « Rupture du troisième type : la rupture conventionnelle du contrat de travail », Dr. soc. 2010. 297.

 Sur la division sur ce point des juges du fond, v. dans le même sens  : Montpellier, 16 nov. 2011, n° 10/04670 ; Lyon 7 mai 2012, JCP G 2012. 777.

■ Contra  : Riom, 18 janv. 2011, n° 10/00658 Versailles, 15 déc. 2011, n° 10/06409JCP E 2012. 1188, note F. Taquet ; RJS 2012 n° 243 ; Reims, 16 mai 2012, n° 11/00624RJS 2012, n° 791 ; CAA Marseille 2 oct. 2012, JCP S 2012, 1535, concl. S. Deliancourt ; RJS 2013, n° 148.

■ Article 1112 du Code civil

« Il y a violence lorsqu'elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu'elle peut lui inspirer la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent. 

On a égard, en cette matière, à l'âge, au sexe et à la condition des personnes. »

■ Code du travail

Article L. 1235-3

« Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. 

Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9. »

Article L. 1235-5

« Ne sont pas applicables au licenciement d'un salarié de moins de deux ans d'ancienneté dans l'entreprise et au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, les dispositions relatives : 

1° Aux irrégularités de procédure, prévues à l'article L. 1235-2 ; 

2° A l'absence de cause réelle et sérieuse, prévues à l'article L. 1235-3 ; 

3° Au remboursement des indemnités de chômage, prévues à l'article L. 1235-4. 

Le salarié peut prétendre, en cas de licenciement abusif, à une indemnité correspondant au préjudice subi. 

Toutefois, en cas de méconnaissance des dispositions des articles L. 1232-4 et L. 1233-13, relatives à l'assistance du salarié par un conseiller, les dispositions relatives aux irrégularités de procédure prévues à l'article L. 1235-2 s'appliquent même au licenciement d'un salarié ayant moins de deux ans d'ancienneté et au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés. »

Article L. 1237-11

« L'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. 

La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties. 

Elle résulte d'une convention signée par les parties au contrat. Elle est soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties. »

 

Auteur :M. H.


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