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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Mise en cause de Clearstream dans un documentaire : fait justificatif de la bonne foi
Mots-clefs : Presse, Diffamation, Action civile, Bonne foi (critères, enquête sérieuse)
La première Chambre civile casse et annule, au visa de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, l’arrêt qui avait exclu la bonne foi de l’auteur d’un documentaire consacré à la société Clearstream.
Le 1er mars 2010, Canal Plus diffusait un documentaire (« Les dissimulateurs »), mettant en cause la transparence de la société Clearstream dans ses opérations de compensation financière, coréalisé par Denis R., l’auteur de deux ouvrages déjà consacrés au sujet. La société luxembourgeoise faisait assigner le directeur de publication de la chaine, le réalisateur en question et la société Canal Plus, sur le fondement des articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881, demandant réparation pour ce qui constituait, selon elle, une diffamation publique.
Devant la cour d’appel, la bonne foi du réalisateur a été exclue, les juges du fond ayant certes admis le but légitime poursuivi (rechercher si la société en cause offrait des garanties de transparence nécessaires), de même que l’absence d’animosité personnelle, mais estimé que l’enquête menée ne confortait pas les imputations litigieuses et que son auteur s’était livré à des interprétations hasardeuses, en assimilant notamment des comptes non publiés à des comptes occultes servant à enregistrer des transactions frauduleuses.
La chambre criminelle censure donc cette appréciation par un arrêt « FS-P+B+R+I » du 3 février 2011, rendu au visa des articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Faisant primer la notion, bien connue dans la jurisprudence européenne, de « question ou débat d’intérêt général » (V. CEDH 25 nov. 1996, Wingrove ; 11 mai 2010, Fleury), elle estime qu’« en statuant ainsi, quand l’intérêt général du sujet traité et le sérieux constaté de l’enquête, conduite par un journaliste d’investigation, autorisaient les propos et les imputations litigieux, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
Ce faisant, elle inscrit très clairement sa démarche dans la jurisprudence européenne, pour laquelle la sanction des abus commis dans l’exercice de la liberté d’expression ne doit pas prendre la forme d’une condamnation « propre à décourager la libre discussion de sujets d’intérêt général » (CEDH 25 juin 1992, Thorgeir Thorgeirson). Ainsi l’exigence d’information du public est-elle susceptible, le cas échéant, de primer sur la présomption d’innocence (CEDH 3 oct. 2000, Du Roy et Malaurie) ou la protection de la réputation ou des droits d’autrui (CEDH 21 janv. 1999, Fressoz et Roire, pour la révélation d’éléments du patrimoine d’une personne publique), à la condition qu’une certaine déontologie ait été respectée, déontologie qui s’exprime dans les critères posés par la jurisprudence pour pouvoir bénéficier de la bonne foi, à savoir : la prudence dans l’expression, la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle et le travail sérieux d’enquête. C’est cette dernière condition qui, pour les juges du fond, faisait défaut (ces critères étant cumulatifs, le défaut d’enquête sérieuse suffit, à lui seul, à exclure la bonne foi ; v. par ex. Crim. 4 déc. 2007). Sur ce point, la chambre criminelle relève la qualité de l’auteur de l’enquête — journaliste d’investigation — et, substituant sa propre appréciation à celle faite par la cour d’appel, elle estime que le caractère sérieux de l’enquête était établi avant de conclure que les limites acceptables à l’exercice de la liberté d’expression n’ont pas été franchies.
Civ. 1re, 3 févr. 2011, no 09-10.301, FS-P+B+R+I
Références
« Allégation ou imputation d’un fait, constitutive d’un délit ou d’une contravention selon son caractère public ou non, qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne ou d’un corps constitué. »
Sources : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
Loi du 29 juillet 1881
« Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.
Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure. »
« La diffamation commise envers les particuliers par l'un des moyens énoncés en l'article 23 sera punie d'une amende de 12000 euros.
La diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée sera punie d'un an d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement.
Sera punie des peines prévues à l'alinéa précédent la diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap.
En cas de condamnation pour l'un des faits prévus par les deux alinéas précédents, le tribunal pourra en outre ordonner :
1° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal. [...] »
Convention européenne des droits de l’homme
« Liberté d'expression.
1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
■ Sudre F., Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, PUF, coll. « Thémis-droit », 2009, 437.
■ CEDH 25 nov. 1996, Wingrove c. Royaume-Uni, Rec. CEDH, p. 1996-V, § 58.
■ CEDH 11 mai 2010, Fleury c. France, Dalloz actualité, 28 mai 2010, obs. L. Priou-Alibert.
■ CEDH 25 juin 1992, Thorgeir Thorgeirson c. Islande, série A n° 239, § 68.
■ CEDH 3 oct. 2000, Du Roy et Malaurie c/ France, Rec. CEDH, p. 2000-X, § 28 s.
■ CEDH 21 janv. 1999, Fressoz et Roire c. France, Rec. CEDH, p. 1999-I, § 50 s.
■ Crim. 4 déc. 2007AJ 298 ; AJ pénal 2008. 92., Bull. crim. n° 301 ; D. 2008.
■ Sur le devoir de vérification du journaliste, préalable à toute publication, v. la jur. citée ss l’art. 29 L. 29 juill. 1881, in Code pénal Dalloz 2011, Appendice, Presse, nos 97 s.
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