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Droit administratif général
Principe de laïcité : précisions importantes du Conseil d’État à propos de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État
Mots-clefs : Laïcité, Aide publique, Intérêt public local, Culte, Édifice cultuel, Séparation des Églises et de l’État
Par cinq arrêts rendus le 19 juillet 2011, le Conseil d’État apporte de nouveaux éléments d’interprétation de la loi de 1905 afin de la rendre applicable à la laïcité contemporaine.
Orgue, ascenseur, abattoir, salle polyvalente, construction d’une mosquée, les cinq affaires rendues par les juges du Palais Royal intéressent différentes religions et différentes opérations. Néanmoins, les quatre premières affaires (nos 308544, 308817, 309161 et 313518) se rapportent à des dépenses des collectivités territoriales réalisées afin de soutenir un culte tout en poursuivant un intérêt public local. Le cinquième arrêt (n° 320796) est relatif à l’articulation entre la loi de 1905 et les dispositions législatives relatives au bail emphytéotique administratif en vue de la construction d’un édifice destiné à un culte.
▪ La première affaire (n° 308544) porte sur la question de savoir si une commune peut acquérir un bien « mixte » (à usage culturel et cultuel) et l’installer dans une église, lieu affecté à l’exercice d’un culte ? En l’espèce, la commune de Trélazé avait acheté et restauré un orgue afin de l’installer dans l’église communale dans le but de développer l’enseignement artistique et d’organiser des manifestations culturelles. Le Conseil d’État considère qu’une commune qui convient avec l’affectataire de l’église dont elle est propriétaire ou avec le propriétaire quand l’édifice n’appartient pas à son patrimoine, de l’installation d’un orgue dans l’église pour une utilisation dans le cadre de sa politique culturelle et éducative et également lors de l’accompagnement de l’exercice du culte ne constitue pas une aide au culte si une convention existe entre les deux parties. Cette convention doit de garantir une utilisation de l’orgue par la commune conforme à ses besoins et une participation de l’affectataire ou du propriétaire de l’édifice dont le montant est proportionné à l’utilisation qu’il pourra faire de l’orgue afin d’exclure toute libéralité et par suite toute aide au culte.
▪ La seconde décision (n° 308817) est relative à l’attribution par la commune de Lyon d’une subvention en vue de la réalisation d’un ascenseur facilitant l’accès aux personnes à mobilité réduite à la basilique de Fourvière. Le Conseil d’État a jugé que les dispositions de la loi de 1905 ne font pas obstacle à ce qu’une collectivité finance des travaux qui ne sont pas des travaux d’entretien ou de conservation d’un édifice cultuel soit en les prenant en tout ou partie en charge en qualité de propriétaire de l’édifice, soit en accordant une subvention lorsqu’il n’est pas propriétaire, en vue de la réalisation d’un équipement ou d’un aménagement en rapport avec cet édifice. Toutefois certaines conditions doivent être respectées. L’équipement ou l’aménagement doit présenter un intérêt public local en lien avec l’importance de l’édifice pour le rayonnement culturel ou le développement touristique et économique du territoire de la collectivité et il ne doit pas être destiné à l’exercice du culte. Par ailleurs, il convient que soit garanti, notamment par voie contractuelle, que la participation au financement des travaux n’est pas versée à une association cultuelle et que son affectation soit exclusivement réservée au financement du projet.
▪ Le troisième arrêt (n° 309161) est relatif à la décision de la communauté urbaine du Mans de financer les travaux d’aménagement d’un abattoir pour ovins destinés à fonctionner essentiellement pendant les trois jours de l’Aïd-el-kébir. Les juges du Palais Royal estiment qu’une collectivité, dans le cadre de ses compétences, peut construire ou acquérir un équipement, autoriser l’utilisation d’un équipement existant afin de permettre l’exercice de pratiques à caractère rituel relevant du libre exercice des cultes. Toutefois, deux conditions sont nécessaires :
– la première concerne l’existence d’un intérêt public local, tenant notamment au fait que les cultes doivent être exercés dans des conditions conformes aux impératifs de l’ordre public, en particulier de salubrité et de santé publiques ;
– la seconde tient à ce que le droit d’utiliser l’équipement doit être concédé dans des conditions, notamment tarifaires, qui respectent le principe de neutralité à l’égard des cultes et qui excluent toute libéralité, et par suite toute aide à un culte.
▪ La quatrième affaire (n° 313518) traite de la question de savoir dans quelles conditions une collectivité territoriale peut décider de mettre un local à la disposition d’une association pour l’exercice d’un culte sans méconnaître les dispositions de la loi de 1905. En l’espèce, à la suite de la construction d’une salle polyvalente, une convention a été signée entre la commune et une association franco-marocaines pour une période d’un an renouvelable afin que cette salle soit utilisée de façon exclusive comme lieu de culte par l’association. Le Conseil d’État rappelle qu’une commune peut autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité, l’utilisation d’un local lui appartenant pour l’exercice d’un culte par une association, dès lors que les conditions financières excluent toute libéralité et par suite toute aide à un culte (art. L. 2144-3 CGCT). De plus, une commune ne peut rejeter une demande d’utilisation d’un local communal au seul motif que la demande est adressée par une association dans le but d’exercer un culte.
▪ La cinquième et dernière décision (n° 320796) concerne l’articulation entre la loi de 1905 et l’article L. 1311-2 du CGCT qui ouvre aux collectivités territoriales, la faculté, dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité, d’autoriser un organisme qui entend construire un édifice du culte ouvert au public (en l’espèce, la construction d’une mosquée sur un terrain de la commune de Montreuil-sous-Bois) à occuper pour une longue durée une dépendance de leur domaine privé ou de leur domaine public, dans le cadre d’un bail emphytéotique, dénommé bail emphytéotique administratif et soumis aux conditions particulières posées par l’article L. 1311-3 du CGCT. Le Conseil d’État considère que le législateur a dérogé à l’interdiction posée par la loi de 1905, de toute contribution financière à la construction de nouveaux édifices cultuels afin de permettre aux collectivités de faciliter la réalisation de tels édifices. Toutefois, le bail emphytéotique administratif conclu en vue de la construction d’un nouvel édifice cultuel exige des contreparties. Ainsi, l’emphytéote doit verser une redevance modique et à l’expiration du bail, l’édifice construit sera incorporé dans le patrimoine de la collectivité qui n’aura pas à supporter les charges de conception, de construction, d’entretien ou de conservation.
On retiendra que ces décisions précisent l’existence de dérogations à l’interdiction de principe posée par la loi de 1905 de toute aide à l’exercice d’un culte, que ces dérogations soient expressément prévues par cette même loi ou qu’il convienne de les appliquer en tenant compte d’autres législations. Par ailleurs, la décision ou le financement de projets par une collectivité territoriale relatifs à des édifices cultuels ou à des pratiques religieuses ne sont possibles qu’à deux conditions :
– la décision doit répondre à un intérêt public local (politique culturelle et éducative concernant l’acquisition d’un orgue dans une église, rayonnement culturel et développement touristique et économique pour un ascenseur dans une basilique, salubrité et santé publiques pour la construction d’un abattoir) ;
– et respecter le principe de neutralité à l’égard des cultes et le principe d’égalité, ce qui exclut toute libéralité, et par suite toute aide à un culte particulier.
CE, 19 juillet 2011, Commune de Trélazé, n°308544
CE, 19 juillet 2011, Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône et M. P., n°308817
CE, 19 juillet 2011, Communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole, n°309161
CE, 19 juillet 2011, Commune de Montpellier, n°313518
CE, 19 juillet 2011, Mme V., n°320796
Références
« 1°° Expression signifiant que l’État est par nature un phénomène non religieux (par opposition par ex. à la Cité antique ou à l’État musulman selon la conception stricte du Coran).
2° Expression signifiant que l’État adopte à l’égard des Églises et des religions une attitude sinon d’ignorance, du moins d’impartialité, de neutralité. »
« Bail de longue durée, de 18 à 99 ans, portant sur un immeuble et conférant au preneur un droit réel. Il existe un bail administratif, réservé aux seules collectivités territoriales et aux établissements publics de santé et destiné à la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de leur compétence.
Il existe, aussi, un bail emphytéotique administratif, dont l’objet est un bien immobilier appartenant à l’État ou à certains établissements publics (réseaux des chambres de commerce, des chambres de métiers, des chambres d’agriculture), conclu en vue de la réparation, de la restauration ou de la mise en valeur dudit bien. »
« Vaste conception d’ensemble de la vie en commun sur le plan politique et juridique. Son contenu varie évidemment du tout au tout selon les régimes. À l’ordre public s’opposent, d’un point de vue dialectique, les libertés individuelles dites publiques ou fondamentales et spécialement la liberté de se déplacer, l’inviolabilité du domicile, la liberté de pensée, la liberté d’exprimer sa pensée. L’un des points les plus délicats est celui de l’affrontement de l’ordre public et de la morale. »
Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
■ Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État
« Art. 1er La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.
Art. 2 La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes.
Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.
Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l'article 3.
…
Art. 13 Les édifices servant à l'exercice public du culte, ainsi que les objets mobiliers les garnissant, seront laissés gratuitement à la disposition des établissements publics du culte, puis des associations appelées à les remplacer auxquelles les biens de ces établissements auront été attribués par application des dispositions du titre II.
La cessation de cette jouissance, et, s'il y a lieu, son transfert seront prononcés par décret, sauf recours au Conseil d'État statuant au contentieux :
1° Si l'association bénéficiaire est dissoute :
2° Si, en dehors des cas de force majeure, le culte cesse d'être célébré pendant plus de six mois consécutifs :
3° Si la conservation de l'édifice ou celle des objets mobiliers classés en vertu de la loi de 1887 et de l'article 16 de la présente loi est compromise par insuffisance d'entretien, et après mise en demeure dûment notifiée du conseil municipal ou, à son défaut du préfet :
4° Si l'association cesse de remplir son objet ou si les édifices sont détournés de leur destination ;
5° Si elle ne satisfait pas soit aux obligations de l'article 6 ou du dernier paragraphe du présent article, soit aux prescriptions relatives aux monuments historiques.
La désaffectation et ces immeubles pourra, dans les cas ci-dessus prévus être prononcée par décret rendu en Conseil d'État. En dehors de ces cas, elle ne pourra l'être que par une loi.
Les immeubles autrefois affectés aux cultes et dans lesquels les cérémonies du culte n'auront pas été célébrées pendant le délai d'un an antérieurement à la présente loi, ainsi que ceux qui ne seront pas réclamés par une association cultuelle dans le délai de deux ans après sa promulgation, pourront être désaffectés par décret.
Il en est de même pour les édifices dont la désaffectation aura été demandée antérieurement au 1er juin 1905.
Les établissements publics du culte, puis les associations bénéficiaires, seront tenus des réparations de toute nature, ainsi que des frais d'assurance et autres charges afférentes aux édifices et aux meubles les garnissant.
L'État, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale pourront engager les dépenses nécessaires pour l'entretien et la conservation des édifices du culte dont la propriété leur est reconnue par la présente loi.
…
Art. 19 dernier alinéa Elles [les associations formées pour subvenir aux frais, à l'entretien et à l'exercice public d'un culte] ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'État, des départements et des communes. Ne sont pas considérées comme subventions les sommes allouées pour réparations aux édifices affectés au culte public, qu'ils soient ou non classés monuments historiques. »
■ Code général des collectivités territoriales
« Un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l'objet d'un bail emphytéotique prévu à l'article L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime, en vue de l'accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d'une mission de service public ou en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt général relevant de sa compétence ou en vue de l'affectation à une association cultuelle d'un édifice du culte ouvert au public ou en vue de la réalisation d'enceintes sportives et des équipements connexes nécessaires à leur implantation ou, à l'exception des opérations réalisées en vue de l'affectation à une association cultuelle d'un édifice du culte ouvert au public, de leur restauration, de la réparation, de l'entretien-maintenance ou de la mise en valeur de ce bien ou, jusqu'au 31 décembre 2013, liée aux besoins de la justice, de la police ou de la gendarmerie nationales ou, jusqu'au 31 décembre 2013, liée aux besoins d'un service départemental d'incendie et de secours. Ce bail emphytéotique est dénommé bail emphytéotique administratif.
Un tel bail peut être conclu même si le bien sur lequel il porte, en raison notamment de l'affectation du bien résultant soit du bail ou d'une convention non détachable de ce bail, soit des conditions de la gestion du bien ou du contrôle par la personne publique de cette gestion, constitue une dépendance du domaine public, sous réserve que cette dépendance demeure hors du champ d'application de la contravention de voirie.
Tout projet de bail emphytéotique administratif présenté pour la réalisation d'une opération d'intérêt général liée aux besoins de la justice, de la police ou de la gendarmerie nationales dont le loyer est supérieur à un montant fixé par décret en Conseil d'État est soumis à la réalisation d'une évaluation préalable dans les conditions fixées à l'article L. 1414-2.
Les conclusions de baux mentionnées aux alinéas précédents sont précédées, le cas échéant, d'une mise en concurrence et de mesures de publicité, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'État. »
« Les baux passés en application de l'article L. 1311-2 satisfont aux conditions particulières suivantes :
1° Les droits résultant du bail ne peuvent être cédés, avec l'agrément de la collectivité territoriale, qu'à une personne subrogée au preneur dans les droits et obligations découlant de ce bail et, le cas échéant, des conventions non détachables conclues pour l'exécution du service public ou la réalisation de l'opération d'intérêt général ;
2° Le droit réel conféré au titulaire du bail de même que les ouvrages dont il est propriétaire sont susceptibles d'hypothèque uniquement pour la garantie des emprunts contractés par le preneur en vue de financer la réalisation ou l'amélioration des ouvrages situés sur le bien loué.
Ces emprunts sont pris en compte pour la détermination du montant maximum des garanties et cautionnements qu'une collectivité territoriale est autorisée à accorder à une personne privée.
Le contrat constituant l'hypothèque doit, à peine de nullité, être approuvé par la collectivité territoriale ;
3° Seuls les créanciers hypothécaires peuvent exercer des mesures conservatoires ou des mesures d'exécution sur les droits immobiliers résultant du bail.
La collectivité territoriale a la faculté de se substituer au preneur dans la charge des emprunts en résiliant ou en modifiant le bail et, le cas échéant, les conventions non détachables. Elle peut également autoriser la cession conformément aux dispositions du 1° ci-dessus ;
4° Les litiges relatifs à ces baux sont de la compétence des tribunaux administratifs ;
5° Les constructions réalisées dans le cadre de ces baux peuvent donner lieu à la conclusion de contrats de crédit-bail. Dans ce cas, le contrat comporte des clauses permettant de préserver les exigences du service public ;
6° Lorsqu'une rémunération est versée par la personne publique au preneur, cette rémunération distingue, pour son calcul, les coûts d'investissement, de fonctionnement et de financement. »
« Des locaux communaux peuvent être utilisés par les associations, syndicats ou partis politiques qui en font la demande.
Le maire détermine les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent être utilisés, compte tenu des nécessités de l'administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l'ordre public.
Le conseil municipal fixe, en tant que de besoin, la contribution due à raison de cette utilisation. »
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