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Procédure pénale
La Grande chambre rend son arrêt Medvedyev
Mots-clefs : Trafic illicite de stupéfiants, Navire battant pavillon étranger, Arraisonnement, Privation de liberté (légalité, contrôle), Procureur de la République, Juge d'instruction
La Grande chambre de la Cour européenne a rendu, le 29 mars 2010, son arrêt dans le cadre de l'affaire Medvedyev. Une décision qui ne statue pas explicitement sur le statut du parquet, les requérants ayant été présentés à des juges d'instruction dès le jour de leur arrivée à Brest.
On rappellera brièvement le contexte de l'affaire. Les requérants sont les membres de l'équipage d'un cargo immatriculé au Cambodge, le Winner, soupçonné par l'Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS) de transporter une importante quantité de drogue destinée à atteindre les côtes européennes, via les îles Canaries, et qui fut arraisonné et dérouté par un navire de guerre français, le 13 juin 2002, au large des îles du Cap-Vert. On précisera que les autorités cambodgiennes avaient, par une note verbale du 7 juin, autorisé la prise de contrôle du navire, et que les membres de l'équipage avaient été consignés dans les cabines du cargo et maintenus sous la garde des militaires français pendant treize jours, avant d'être placés en garde à vue puis mis en examen.
La Cour européenne s'était prononcée une première fois sur cette affaire par un arrêt de chambre du 10 juillet 2008. Elle avait alors estimé que les normes juridiques invoquées par le gouvernement français n'offraient pas une protection adéquate contre les atteintes arbitraires au droit à la liberté, faute pour celles-ci de viser expressément la privation de liberté des membres de l'équipage du navire intercepté, d'encadrer ses conditions et de la placer sous le contrôle d'une autorité judiciaire. Sur ce dernier point, elle avait précisé que si les mesures prises en application de la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 avaient été placées sous le contrôle du procureur de la République, ce dernier n'était pas une « autorité judiciaire » au sens de la jurisprudence européenne (CEDH 4 déc. 1979, Schiesser c. Suisse). Elle avait retenu une violation de l'article 5, § 1er de la Convention européenne des droits de l’homme (mais pas de l'art. 5, § 3, en raison de l'impossibilité matérielle d'amener physiquement les requérants devant une autorité judiciaire dans un délai plus bref ; v. déjà, CEDH 12 janv. 1999, Rigopoulos c. Espagne).
Dans sa décision du 29 mars, la Grande chambre recherche d'abord, de nouveau, la base légale de la privation de liberté des requérants pendant le temps de déroutement du Winner vers la France. Repoussant tour à tour la convention de Montego Bay, inapplicable en ses articles 108 (faute de ratification du traité par le Cambodge et de demande visant un navire battant pavillon français) et 110 (la nationalité du cargo était connue dès le 7 juin), la loi française et la note verbale du ministre des Affaires étrangères cambodgien (qui n'établit pas l'existence d'un droit « clairement défini » de priver l'équipage de liberté, tout en n'étant pas prévisible quant à ses effets), elle conclut à l'irrégularité, au regard de l'article 5, § 1, de la privation de liberté à compter de l'arraisonnement et jusqu'à l'arrivée du navire à Brest.
Sur le second grief, la Grande chambre rappelle l'importance des garanties de l'article 5, § 3, qui vise à assurer que la personne arrêtée soit aussitôt physiquement conduite devant une autorité judiciaire, le contrôle juridictionnel devant être prompt, automatique et être exercé par un magistrat « habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » (le § 1, c), formant un tout avec le § 3). Sur ce point précis, elle indique que « le magistrat doit présenter les garanties d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l'instar du ministère public, et il doit avoir le pouvoir d'ordonner l'élargissement, après avoir entendu la personne et contrôlé la légalité et la justification de l'arrestation et de la détention » (§ 124). En l'espèce, la Grande chambre relève que le gouvernement a, devant elle, et ce pour la première fois durant la procédure, apporté des informations étayées sur la présentation des requérants, le jour même de leur arrivée à Brest, à des juges d'instruction chargés de l'affaire.
Puisque la qualité de « juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » ne peut être déniée au juge d'instruction, la seule question qui se posait était celle de savoir si la présentation des requérants à un juge, intervenue treize jours après leur arrestation, était compatible ou non avec la notion d'« aussitôt traduit » de l'article 5, § 3. Pour se prononcer, la Cour se penche sur les conditions matérielles d'acheminement du cargo vers la France (distance des côtes françaises, délabrement du cargo, etc.) et décide d'écarter la période de treize jours en mer. Ne retenant que la période postérieure à l'arrivée en France, elle relève que les requérants avaient été placés en garde à vue le 26 juin 2002 à 8 h 45 et présentés à un juge d'instruction à 17 h 05 le même jour, elle déduit que cette période de huit à neuf heures ayant séparé le début de la mesure de leur présentation à un juge était compatible avec l'article 5, § 3.
CEDH, Gde ch., 29 mars 2010, Medvedyev et autres c. France, req. n° 3394/03
Références
« Mesure par laquelle un officier de police judiciaire retient dans les locaux de la police, pendant une durée légalement déterminée, toute personne qui, pour les nécessités de l’enquête, doit rester à la disposition des services de police.
La durée de la garde à vue dépend de la nature de l’infraction : elle est plus longue en cas de criminalité ou de délinquance organisées (terrorisme, trafic de stupéfiants…). »
■ Loi n° 94-589 du 15 juillet 1994
■ CEDH 4 déc. 1979, Schiesser c. Suisse, Série A, n° 34.
■ CEDH 12 janv. 1999, Rigopoulos c. Espagne, Rec. des arrêts et décisions 1999-II.
■ CEDH 10 juill. 2008, Medvedyev c. France ; D. 2008. Jur. 3055, note Hennion-Jacquet ; ibid. 2009. Jur. 600, note Renucci ; RSC 2009. 176, obs. Marguénaud.
Droit à la liberté et à la sûreté
« 1 Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;
b s'il a fait l'objet d'une arrestation ou d'une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l'exécution d'une obligation prescrite par la loi;
c s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle‑ci;
d s'il s'agit de la détention régulière d'un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l'autorité compétente;
e s'il s'agit de la détention régulière d'une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d'un aliéné, d'un alcoolique, d'un toxicomane ou d'un vagabond;
f s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours.
2 Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.
3 Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience.
4 Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
5 Toute personne victime d'une arrestation ou d'une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »
■ Convention sur le droit de la mer du 10 déc. 1982
Article 108
« Trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes
1. Tous les Etats coopèrent à la répression du trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes auquel se livrent, en violation des conventions internationales, des navires naviguant en haute mer.
2. Tout Etat qui a de sérieuses raisons de penser qu'un navire battant son pavillon se livre au trafic illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes peut demander la coopération d'autres Etats pour mettre fin à ce trafic. »
Article 110
« Droit de visite
1. Sauf dans les cas où l'intervention procède de pouvoirs conférés par traité, un navire de guerre qui croise en haute mer un navire étranger, autre qu'un navire jouissant de l'immunité prévue aux articles 95 et 96, ne peut l'arraisonner que s'il a de sérieuses raisons de soupçonner que ce navire:
a) se livre à la piraterie;
b) se livre au transport d'esclaves;
c) sert à des émissions non autorisées, l'Etat du pavillon du navire de guerre ayant juridiction en vertu de l'article 109;
d) est sans nationalité; ou
e) a en réalité la même nationalité que le navire de guerre, bien qu'il batte pavillon étranger ou refuse d'arborer son pavillon.
2. Dans les cas visés au paragraphe 1, le navire de guerre peut procéder à la vérification des titres autorisant le port du pavillon. A cette fin, il peut dépêcher une embarcation, sous le commandement d'un officier, auprès du navire suspect. Si, après vérification des documents, les soupçons subsistent, il peut poursuivre l'examen à bord du navire, en agissant avec tous les égards possibles.
3. Si les soupçons se révèlent dénués de fondement, le navire arraisonné est indemnisé de toute perte ou de tout dommage éventuel, à condition qu'il n'ait commis aucun acte le rendant suspect.
4. Les présentes dispositions s'appliquent mutatis mutandis aux aéronefs militaires.
5. Les présentes dispositions s'appliquent également à tous autres navires ou aéronefs dûment autorisés et portant des marques extérieures indiquant clairement qu'ils sont affectés à un service public. »
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