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[ 10 novembre 2009 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Le port de la burqa dans les lieux publics : étude de droit comparé

Mots-clefs : Laïcité, Burqa, Niqab ; Voile islamique, Égalité, Intégration

Une étude du Sénat d’octobre 2009 a analysé la question à l'étranger du port de la burqa dans les lieux publics, et notamment la manière dont les autres pays européens ont adopté ou pas des dispositions sur le port du voile intégral.

Le Sénat a relevé dans son étude de droit comparé publiée en octobre 209 qu’en France, après la polémique suscitée par « l'affaire du voile » et l'adoption de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, la question du port du voile intégral dans les lieux publics occupe désormais une place importante dans le débat public.

Au cours de l'année 2008, plusieurs éléments de réponse ont été apportés à la question du port du voile intégral dans l'espace public. Ainsi, un arrêt du Conseil d'État du 27 juin 2008 a confirmé le refus de la nationalité française à une Marocaine qui portait la burqa au motif qu'elle avait adopté « une pratique radicale de la religion incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française, et notamment avec le principe de l'égalité des sexes ». Saisie d'une demande d'avis, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité a déclaré, le 15 septembre 2008, que l'interdiction du port de la burqa dans le cadre d'une formation linguistique obligatoire en vertu d'un contrat d'accueil et d'intégration était conforme aux exigences des articles 9 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, au motif que « la burqa porte une signification de soumission de la femme qui dépasse sa portée religieuse et pourrait être considérée comme portant atteinte aux valeurs républicaines présidant à la démarche d'intégration et d'organisation de ces enseignements ». Elle a également mis en avant des exigences de sécurité publique ainsi que la protection des droits et libertés d'autrui.

Le 23 juin 2009, une mission d'information parlementaire a été instituée par la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale. Son objectif est d'établir « un état des lieux de la pratique du port du voile intégral en France » et d'examiner également ses « conséquences concrètes dans la vie sociale » ainsi que « son articulation avec les principes de la République française, et, en particulier, celui de la liberté et de la dignité des femmes ». La mission d'information envisage de rendre son rapport et ses recommandations au plus tard à la fin du mois de janvier 2010.

Dans ces circonstances, il a paru utile d'examiner si les autres pays européens avaient adopté des dispositions normatives sur le port du voile intégral et si la question y suscitait un débat public. L'analyse comparative montre qu’aucun pays ne s'est doté de règles nationales sur le port de la burqa dans les lieux publics. Toutefois en Allemagne, en Belgique, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, il existe des interdictions de portée limitée. Enfin, dans tous les pays européens, le port de la burqa dans les lieux publics suscite des controverses plus ou moins vives.

Étude de législation comparée n° 201, octobre 2009, Le port de la burqa dans les lieux publics

 

Références

Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE)

« Autorité administrative indépendante, installée en 2005, compétente en cas de discrimination prohibée par la loi ou par un traité signé par la France, en matière de race, de sexe, d’origine ethnique, de convictions religieuses ou autres, d’âge, de handicap ou d’orientation sexuelle. Elle peut être saisie de différentes façons, notamment par simple lettre de la victime, ou s’auto-saisir, et dispose de pouvoirs importants et diversifiés pour faire cesser ou prévenir les discriminations. Elle établit annuellement un rapport public sur son activité. »

Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.

Principe de laïcité

« “La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. ” (Art. 1er de la Const. – v. aussi Préambule de la Const. de 1946). Si le principe et sa valeur juridique sont clairement posés, il en va autrement pour la définition d’un concept historiquement marqué par les luttes anticléricales. La loi de séparation des Églises et de l’État, de 1905, a “ clôturé la période fondatrice de la laïcité républicaine. La République assurait la liberté de conscience. Elle garantissait le libre exercice des cultes. Mais elle ne reconnaissait, ne salariait, ni ne subventionnait aucun culte ” (A. Bergounioux, Pouvoirs no 75, p. 20). Cette loi, aujourd’hui encore applicable, amène le juge administratif à annuler des décisions subventionnant certains cultes (CE 9 oct. 1992, Cne de St-Louis, Rec. 358; CAA Marseille, 21 déc. 2007, Cne de Montpellier, 06MA03165 – CAA Nantes, 24 avril 2007, Cne de Trelaze, 05NT01941). Ledit principe implique normalement que l’État n’exerce aucun pouvoir religieux et l’Église aucun pouvoir politique. L’État, tout à la fois, est indifférent au fait religieux et tolérant pour ce même fait (C. Durand-Prinborgne). La laïcité est étroitement liée au principe de neutralité, mais aussi à la liberté de religion et au principe d’égalité (v. Const., art. 1er). La liberté religieuse reconnue par la Constitution ne se borne pas à la liberté de croire; elle suppose aussi celle de manifester ses croyances, lors d’un culte ou dans la vie quotidienne (Déclaration de 1789, art. 10). Les services publics ne pouvant totalement ignorer les comportements religieux, revient alors aux juges la redoutable tâche de tirer les conséquences du principe de laïcité. Le débat a été relancé devant le juge administratif avec l’affaire du voile islamique dans les établissements d’enseignement public. “ Le principe de la laïcité de l’enseignement public… qui est l’un des éléments de la laïcité de l’État et de la neutralité de l’ensemble des services publics, impose que l’enseignement soit dispensé dans le respect, d’une part, de cette neutralité par les programmes et par les enseignants et, d’autre part, de la liberté de conscience des élèves; il interdit… toute discrimination qui serait fondée sur les convictions ou croyances religieuses des élèves… Le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité… ” (Pour les limites apportées à cette liberté : CE, Avis du 27 nov. 1989, RFDA 1990. 6; CE 21 nov. 1992 Kherouaa et a., Rec. 389, RFDA 1993. 112, concl. Kessler.) Pour les agents du service, il en va différemment. S’ils bénéficient de la liberté de conscience, “ le principe de laïcité fait obstacle à ce qu’ils disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses ”. “ Le fait pour un agent du service de l’enseignement public de manifester dans l’exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations ” (CE Avis 3 mai 2000, Mlle Marteaux, RFDA 2001, 146). La Cour européenne des droits de l’homme a une position voisine, quoique plus nuancée (15 févr. 2001, Mme Dahlab c/ Suisse. AJDA 2001, 480. Note J.-F. Flauss). Le juge administratif a dû aussi se prononcer sur les autorisations d’absence nécessaires à l’exercice d’un culte ou à la célébration d’une fête religieuse (14 avril 1995, Consistoire central des israélites de France et a. – Koen, Rec. 171 et 168, RFDA 1995. 585, concl. Aguila), et sur la campagne d’information des lycéens et collégiens sur la contraception. Le principe de laïcité ne saurait faire obstacle à une telle campagne organisée notamment dans un but de santé publique (CE 6 oct. 2000, Association Promouvoir et autres, AJDA 2000, 1060). Le législateur, en 2004, est venu encadrer « en application du principe de laïcité le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles et lycées publics » (C. Durand-Prinborgne, “ La loi sur la laïcité, une volonté politique au centre de débats de société ”, AJDA 2004. 705). En vertu de l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation, (art. 1er de la loi du 15 mars 2004) “ dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève ”. Saisi de la circulaire du 18 mai 2004, relative à la mise en œuvre de cette loi, (O. Dord, “Laïcité à l’école : l’obscure clarté de la circulaire ‘ Fillon ’ du 18 mai 2004”, AJDA 2004. 523) le CE a estimé que les dispositions de ladite circulaire “ ne méconnaissaient ni les stipulations de l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni celles de l’article 18 du pacte international des droits civils et politiques, relatives à la liberté de pensée, de conscience et de religion, dès lors que l’interdiction édictée par la loi et rappelée par la circulaire attaquée ne porte pas à cette liberté une atteinte excessive, au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans les établissements scolaires publics ”(CE 8 oct. 2004, Union française pour la cohésion nationale, AJDA 2005. 43. Note F. Rolin.). Le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi de cette loi de 2004 (Voir en revanche : 2004-505 DC du 19 nov. 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe. Considérant no 18. Article critique de F. Sudre, RFDA 2005. 34). Pour des applications récentes, par le juge administratif, de l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation : CE 5 déc. 2007, 2 espèces : M. Singh, M. et Mme Ghazal (req. 285394 et 295671).

Une charte de la laïcité dans les services publics a été adoptée par voie de circulaire en avril 2007 (13 avril, no 5209/SG – C. Durand-Prinborgne, “Autour du projet de charte de la laïcité dans les services publics”, AJDA 2007, 721).

Ce débat sur la laïcité est d’autant moins serein que s’affrontent deux conceptions : la première, militante, vit la laïcité comme un combat d’ordre philosophique et politique, voire une mystique liée à celle de la République; pour la seconde, la laïcité est l’acceptation des différences, l’ouverture aux autres cultures et croyances. Dans les deux cas, la notion de laïcité rejoint celle d’unité de la République : unité par l’intégration-assimilation dans le premier cas, par acceptation des différences dans le second, au risque de favoriser le communautarisme. »

Source : V. Van Lang, G. Gondouin, V. Inserguet-Brisset, Dictionnaire de droit administratif, 5e éd., Sirey, coll. « Dictionnaire », 2008.

Convention européenne des droits de l'homme

Article 9. Liberté de pensée, de conscience et de religion

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 14. Interdiction de discrimination

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

CE 27 juin 2008, AJDA 2008. 1997, étude H. Zeghbib, et 2013, note Ph. Chrestia, D. 2009. 345, note Ch. Vallar.

 

 

Auteur :E.R.


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