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Droit administratif général
Obligation de destruction d’un ouvrage public situé sur un espace remarquable
Mots-clefs : Ouvrage public, Destruction, Injonction, Espace remarquable, Intérêt économique, Intérêt Environnemental, Théorie du bilan
Une personne publique peut être contrainte par le juge administratif de démolir une installation illégale, en l’espèce, un port de plaisance, permettant, pour un coût modéré, un retour à terme à un état naturel des lieux, a décidé le Conseil d’État dans un arrêt du 20 mai 2011.
Pour la première fois, le Conseil d’État applique la jurisprudence Commune de Clans (CE, Sect., 29 janv. 2003, Syndicat départemental de l’électricité et du gaz des Alpes-Maritimes et Cne de Clans) à un ouvrage public situé sur un espace remarquable, jurisprudence déterminant les conditions de démolition d’un ouvrage public irrégulièrement implanté. Selon cet arrêt de Section du Conseil d’État, le juge doit, dans un premier temps, rechercher si une régularisation de l’ouvrage est possible et, dans la négative, il doit prendre en considération :
- d’une part, les inconvénients que l’existence de l’ouvrage entraîne pour les intérêts publics et privés en présence ;
- d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général ;
- et apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général.
En l’espèce, la communauté d’agglomération du Lac du Bourget avait fait édifier, en 2003, un port de plaisance et différentes installations (aires de jeux et de loisirs, aires de stationnement…) sur une emprise totale de 16 000 m2. La Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature-Savoie et d’autres requérants avaient alors formé divers recours demandant la destruction de ces ouvrages.
La cour administrative d’appel de Lyon dans deux arrêts en date du 18 novembre 2008 avait confirmé les jugements du tribunal administratif de Grenoble par lesquels les juges annulaient, d’une part, l’arrêté préfectoral en date du 13 juin 2001 déclarant d’utilité publique au profit du Syndicat intercommunal à vocation multiple du Lac du Bourget un projet d’aménagement touristique et portuaire sur le territoire de la commune de Chindrieux et, d’autre part, l’autorisation d’installation et travaux divers en date du 29 octobre 2002 délivrée par le maire de cette commune. Cette même cour d’appel avait ensuite enjoint la communauté d’agglomération de procéder à la remise en état naturel du site dans un délai de huit mois à compter de la notification de l’arrêt sous astreinte de 150 euros par jour de retard.
Dans un premier temps, le Conseil d’État, saisi par la communauté d’agglomération, confirme les deux arrêts de la cour administrative d’appel de Lyon. Ainsi, le site sur lequel a été édifié l’aménagement litigieux doit être regardé comme un espace remarquable et un milieu nécessaire au maintien des équilibres biologiques au sens de l’article L. 146-6 du Code de l’urbanisme issu de la loi littoral. En effet, l’aménagement est implanté dans une partie naturelle du site inscrit du Lac du Bourget, le secteur n’est pas urbanisé et n’avait fait auparavant l’objet d’aucune altération du fait de l’activité humaine. Par ailleurs, l’aménagement litigieux ne peut être regardé comme un aménagement léger et n’entre pas dans le champ d’exception à l’inconstructibilité des espaces remarquables (art. L. 146-6, al. 2 et R. 146-2 C. urb.).
Dans un second temps, le Conseil d’État confirme l’arrêt de la cour administrative d’appel du 29 novembre 2009 ordonnant la remise en état du site en constatant l’impossibilité de régulariser l’ouvrage public litigieux et l’absence d’atteinte excessive à l’intérêt général résultant de la démolition de l’ouvrage.
Ainsi, pour écarter l’existence de toute possibilité de régularisation de l’ouvrage, la cour d’appel de Lyon a considéré que le port de plaisance doit être appréhendé dans son ensemble au regard de son emprise globale. Compte tenu des caractéristiques des différents aménagements composant l’ouvrage, les juges du fond ont refusé de prendre isolément les différents équipements afin de pouvoir qualifier certains d’entre eux d’aménagements légers susceptibles de pouvoirs être implantés dans un espace remarquable (art. R. 146-2 C. urb.).
Mais l’importance de l’arrêt réside dans l’application de la théorie du bilan à un espace remarquable. Ainsi, les juges du Palais Royal ont pris en considération deux intérêts parfois contradictoires : l’intérêt économique et l’intérêt environnemental pour confirmer que la démolition des aménagements réalisés et la remise en état des lieux ne portaient pas une atteinte excessive à l’intérêt général (la suppression de l’ouvrage pouvant être effectuée pour un coût modéré, même si l’installation a présenté un coût financier), eu égard à l’intérêt public qui s’attache à la préservation d’un espace naturel remarquable fragile et au maintien de sa biodiversité.
En l’espèce, l’intérêt touristique et économique résidait dans l’importance de la navigation de plaisance dans l’économie locale. Mais, l’aménagement litigieux n’a pas été considéré comme indispensable à cette activité de loisirs. En revanche, a primé ici l’intérêt environnemental.
CE 20 mai 2011, Communauté d’agglomération du Lac du Bourget, n° 325552
Références
« Méthode de contrôle de la légalité d’un acte administratif élaborée par la juridiction administrative à propos du contentieux de la légalité des déclarations d’utilité publique, et qu’elle a étendue à d’autres domaines, selon laquelle cette utilité est absente lorsque la comparaison des inconvénients et des avantages de l’opération projetée lui fait apparaître que les premiers seraient excessifs par rapport aux seconds. On peut, semble-t-il, rapprocher cette théorie de celle de l’erreur manifeste d’appréciation. »
Source : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
Article L. 146-6
« Les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l'occupation et à l'utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. Un décret fixe la liste des espaces et milieux à préserver, comportant notamment, en fonction de l'intérêt écologique qu'ils présentent, les dunes et les landes côtières, les plages et lidos, les forêts et zones boisées côtières, les îlots inhabités, les parties naturelles des estuaires, des rias ou abers et des caps, les marais, les vasières, les zones humides et milieux temporairement immergés ainsi que les zones de repos, de nidification et de gagnage de l'avifaune désignée par la directive européenne n° 79-409 du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages et, dans les départements d'outre-mer, les récifs coralliens, les lagons et les mangroves.
Toutefois, des aménagements légers peuvent y être implantés lorsqu'ils sont nécessaires à leur gestion, à leur mise en valeur notamment économique ou, le cas échéant, à leur ouverture au public. Un décret définit la nature et les modalités de réalisation de ces aménagements qui incluent, selon leur importance et leur incidence sur l'environnement, soit une enquête publique, soit une mise à disposition du public préalablement à leur autorisation.
En outre, la réalisation de travaux ayant pour objet la conservation ou la protection de ces espaces et milieux peut être admise, après enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l'environnement.
Le plan local d'urbanisme doit classer en espaces boisés, au titre de l'article L. 130-1 du présent code, les parcs et ensembles boisés existants les plus significatifs de la commune ou du groupement de communes, après consultation de la commission départementale compétente en matière de nature, de paysages et de sites. »
Article R. 146-2
« En application du deuxième alinéa de l'article L. 146-6, peuvent être implantés dans les espaces et milieux mentionnés à cet article, après enquête publique dans les cas prévus par les articles R. 123-1 à R. 123-33 du code de l'environnement, les aménagements légers suivants, à condition que leur localisation et leur aspect ne dénaturent pas le caractère des sites, ne compromettent pas leur qualité architecturale et paysagère et ne portent pas atteinte à la préservation des milieux :
a) Lorsqu'ils sont nécessaires à la gestion ou à l'ouverture au public de ces espaces ou milieux, les cheminements piétonniers et cyclables et les sentes équestres ni cimentés, ni bitumés, les objets mobiliers destinés à l'accueil ou à l'information du public, les postes d'observation de la faune ainsi que les équipements démontables liés à l'hygiène et à la sécurité tels que les sanitaires et les postes de secours lorsque leur localisation dans ces espaces est rendue indispensable par l'importance de la fréquentation du public ;
b) Les aires de stationnement indispensables à la maîtrise de la fréquentation automobile et à la prévention de la dégradation de ces espaces par la résorption du stationnement irrégulier, sans qu'il en résulte un accroissement des capacités effectives de stationnement, à condition que ces aires ne soient ni cimentées ni bitumées et qu'aucune autre implantation ne soit possible ;
c) La réfection des bâtiments existants et l'extension limitée des bâtiments et installations nécessaires à l'exercice d'activités économiques ;
d) À l’exclusion de toute forme d'hébergement et à condition qu'ils soient en harmonie avec le site et les constructions existantes :
- les aménagements nécessaires à l'exercice des activités agricoles, pastorales et forestières ne créant pas plus de 50 mètres carrés de surface de plancher ;
- dans les zones de pêche, de cultures marines ou lacustres, de conchyliculture, de saliculture et d'élevage d'ovins de prés salés, les constructions et aménagements exigeant la proximité immédiate de l'eau liés aux activités traditionnellement implantées dans ces zones, à la condition que leur localisation soit rendue indispensable par des nécessités techniques ;
e) Les aménagements nécessaires à la gestion et à la remise en état d'éléments de patrimoine bâti reconnus par un classement au titre de la loi du 31 décembre 1913 ou localisés dans un site inscrit ou classé au titre des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de l'environnement.
Les aménagements mentionnés aux a, b et d du présent article doivent être conçus de manière à permettre un retour du site à l'état naturel. »
■ CE, Sect., 29 janv. 2003, Syndicat départemental de l’électricité et du gaz des Alpes-Maritimes et Cne de Clans, Lebon 21, AJDA 2003. 784, note Sablière, RFDA 2003. 477, concl. Maugüé.
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