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Procédure pénale
Point sur… la légalité des gardes à vue
Mots-clefs : Convention européenne des droits de l'homme, défense, avocat, droit à un procès équitable
Le 17 novembre 2009, le bâtonnier de Paris affirmait la contrariété du régime de la garde à vue avec le droit de la Convention européenne des droits de l'homme, en se fondant sur deux arrêts rendus par la Cour de Strasbourg à l'encontre de la Turquie. Cette affirmation était immédiatement démentie par la Chancellerie pour qui cette jurisprudence semble, au contraire, consacrer le système français. Retour sur les termes du débat.
Par ses arrêts Salduz (27 nov. 2008) et Dayanan (13 oct. 2009), la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la Turquie pour violation des articles 6, § 1 (droit à un procès équitable) et 6, § 3 (droit à l'assistance d'un avocat) de la Convention.
Dans l'arrêt Salduz, rendu en Grande chambre (la formation plénière de la Cour de Strasboug), elle a considéré que « dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière [du gardé à vue] ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s’incriminer lui-même » (§ 54) et qu’« il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation » (§ 55). En l'espèce, le requérant — alors mineur — avait été placé en garde à vue selon le régime des lois turques antiterroristes, qui exclut l'assistance par un avocat, pour avoir étendu une banderole sur un pont en soutien au fondateur du PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan. Il avait, à l'issue de la procédure judiciaire, été condamné à deux ans et demi d'emprisonnement. Dans sa décision, la Cour condamne la Turquie en raison de l'exclusion de l'avocat. Elle estime que l'effectivité du droit à un procès équitable requiert que l'accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sauf s'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ; mais même dans ce cas, elle précise que pareille restriction ne doit pas indûment préjudicier aux droits de l'accusé. Elle considère qu'il est possible de se passer d'avocat, mais que la violation de l'article 6 doit être constatée si des déclarations incriminantes sont faites. C'est de cette affirmation que les autorités françaises déduisent la conventionalité de la garde à vue française relevant de la criminalité et de la délinquance organisée (art. 706-88 C. pr. pén.), la décision de condamnation ne s'appuyant pas uniquement sur les déclarations faites par le suspect lors des interrogatoires de police (l'avocat pouvant, par ailleurs, intervenir de façon différée à l'issue de la quarante-huitième ou de la soixante-douzième heure).
Dans l'arrêt Dayanan, la Cour (2e section) précise que « comme le souligne les normes internationales généralement reconnues […], un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit », qu'« en effet, l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil » et qu'« à cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer » (§ 32). En l'espèce, le requérant, militant d'un parti islamiste kurde, avait subi la même procédure que dans l'affaire Salduz, à la différence qu'il avait gardé le silence pendant sa garde à vue. Cette seconde décision est plus claire : l'absence d'avocat lors de la garde à vue, lorsque la loi y fait obstacle, suffit à entrainer la violation de l'article 6, indépendamment de l'attitude du suspect.
C'est sur cet arrêt, qui précise le rôle que doit pouvoir jouer l’avocat pendant la garde à vue, que s'appuie le bâtonnier Christian Charrière-Bournazel pour soutenir que l'intervention de l'avocat pendant la garde à vue, telle que prévue par l'article 63-4 du Code de procédure pénale, relève d'une simple « visite de courtoisie ». On rappellera que le suspect a droit à un entretien — de trente minutes maximum — avec un avocat « dès le début de la garde à vue » mais que ce dernier n'a pas accès à la procédure, ne reçoit pas communication des éléments de preuve recueillis et n'est pas informé de la qualification des faits reprochés (mais seulement « de la nature et de la date présumée de l'infraction sur laquelle porte l'enquête »). Sur ce point, l'inconventionalité du régime actuel de la garde à vue semble difficilement contestable.
La Cour européenne vient de réitérer, dans les arrêts Kolesnik contre Ukraine (19 nov. 2009) et Adalmis et Kilic contre Turquie (1er déc. 2009), la solution adoptée dans l'arrêt Salduz, s'agissant de condamnations pénales fondées sur des déclarations faites, lors de la garde à vue, en l'absence d'avocat.
Références
« Mesure par laquelle un officier de police judiciaire retient dans les locaux de la police, pendant une durée légalement déterminée, toute personne qui, pour les nécessités de l’enquête, doit rester à la disposition des services de police.
La durée de la garde à vue dépend de la nature de l’infraction : elle est plus longue en cas de criminalité ou de délinquance organisées (terrorisme, trafic de stupéfiants…). »
Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.
■ Convention européenne des droits de l’homme : article 6 – Droit à un procès équitable
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a. être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b. disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c. se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d. interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e. se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »
Article 63-4
« Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s'entretenir avec un avocat. Si elle n'est pas en mesure d'en désigner un ou si l'avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu'il lui en soit commis un d'office par le bâtonnier.
Le bâtonnier est informé de cette demande par tous moyens et sans délai.
L'avocat désigné peut communiquer avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l'entretien. Il est informé par l'officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire de la nature et de la date présumée de l'infraction sur laquelle porte l'enquête.
À l'issue de l'entretien dont la durée ne peut excéder trente minutes, l'avocat présente, le cas échéant, des observations écrites qui sont jointes à la procédure.
L'avocat ne peut faire état de cet entretien auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue.
Lorsque la garde à vue fait l'objet d'une prolongation, la personne peut également demander à s'entretenir avec un avocat dès le début de la prolongation, dans les conditions et selon les modalités prévues aux alinéas précédents.
Si la personne est gardée à vue pour une infraction mentionnée aux 4°, 6°, 7°, 8° et 15° de l'article 706-73, l'entretien avec un avocat ne peut intervenir qu'à l'issue d'un délai de quarante-huit heures. Si elle est gardée à vue pour une infraction mentionnée aux 3° et 11° du même article, l'entretien avec un avocat ne peut intervenir qu'à l'issue d'un délai de soixante-douze heures. Le procureur de la République est avisé de la qualification des faits retenue par les enquêteurs dès qu'il est informé par ces derniers du placement en garde à vue. »
Article 706-88
« Pour l'application des articles 63, 77 et 154, si les nécessités de l'enquête ou de l'instruction relatives à l'une des infractions entrant dans le champ d'application de l'article 706-73 l'exigent, la garde à vue d'une personne peut, à titre exceptionnel, faire l'objet de deux prolongations supplémentaires de vingt-quatre heures chacune.
Ces prolongations sont autorisées, par décision écrite et motivée, soit, à la requête du procureur de la République, par le juge des libertés et de la détention, soit par le juge d'instruction.
La personne gardée à vue doit être présentée au magistrat qui statue sur la prolongation préalablement à cette décision. La seconde prolongation peut toutefois, à titre exceptionnel, être autorisée sans présentation préalable de la personne en raison des nécessités des investigations en cours ou à effectuer.
Lorsque la première prolongation est décidée, la personne gardée à vue est examinée par un médecin désigné par le procureur de la République, le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire. Le médecin délivre un certificat médical par lequel il doit notamment se prononcer sur l'aptitude au maintien en garde à vue, qui est versé au dossier. La personne est avisée par l'officier de police judiciaire du droit de demander un nouvel examen médical. Ces examens médicaux sont de droit. Mention de cet avis est portée au procès-verbal et émargée par la personne intéressée ; en cas de refus d'émargement, il en est fait mention.
Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, si la durée prévisible des investigations restant à réaliser à l'issue des premières quarante-huit heures de garde à vue le justifie, le juge des libertés et de la détention ou le juge d'instruction peuvent décider, selon les modalités prévues au deuxième alinéa, que la garde à vue fera l'objet d'une seule prolongation supplémentaire de quarante-huit heures.
La personne dont la garde à vue est prolongée en application des dispositions du présent article peut demander à s'entretenir avec un avocat, selon les modalités prévues par l'article 63-4, à l'issue de la quarante-huitième heure puis de la soixante-douzième heure de la mesure ; elle est avisée de ce droit lorsque la ou les prolongations lui sont notifiées et mention en est portée au procès-verbal et émargée par la personne intéressée ; en cas de refus d'émargement, il en est fait mention. Toutefois, lorsque l'enquête porte sur une infraction entrant dans le champ d'application des 3° et 11° de l'article 706-73, l'entretien avec un avocat ne peut intervenir qu'à l'issue de la soixante-douzième heure.
S'il ressort des premiers éléments de l'enquête ou de la garde à vue elle-même qu'il existe un risque sérieux de l'imminence d'une action terroriste en France ou à l'étranger ou que les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement, le juge des libertés peut, à titre exceptionnel et selon les modalités prévues au deuxième alinéa, décider que la garde à vue en cours d'une personne, se fondant sur l'une des infractions visées au 11° de l'article 706-73, fera l'objet d'une prolongation supplémentaire de vingt-quatre heures, renouvelable une fois.
À l'expiration de la quatre-vingt-seizième heure et de la cent-vingtième heure, la personne dont la prolongation de la garde à vue est ainsi décidée peut demander à s'entretenir avec un avocat, selon les modalités prévues par l'article 63-4. La personne gardée à vue est avisée de ce droit dès la notification de la prolongation prévue au présent article.
Outre la possibilité d'examen médical effectué à l'initiative du gardé à vue, dès le début de chacune des deux prolongations supplémentaires, il est obligatoirement examiné par un médecin désigné par le procureur de la République, le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire. Le médecin requis devra se prononcer sur la compatibilité de la prolongation de la mesure avec l'état de santé de l'intéressé.
S'il n'a pas été fait droit à la demande de la personne gardée à vue de faire prévenir, par téléphone, une personne avec laquelle elle vit habituellement ou l'un de ses parents en ligne directe, l'un de ses frères et sœurs ou son employeur, de la mesure dont elle est l'objet, dans les conditions prévues aux articles 63-1 et 63-2, elle peut réitérer cette demande à compter de la quatre-vingt-seizième heure. »
■ CEDH, Gde ch., 13 oct. 2009, Dayanan c. Turquie, n° 7377/03, Dalloz actualité 2 nov. 2009, obs. Léna.
■ CEDH, 2e sect., 27 nov. 2008, Salduz c. Turquie, n° 36391/02.
■ CEDH, 5e sect., 19 nov. 2009, Kolesnik c. Ukraine, n° 17551/02.
■ CEDH, 2e sect., 1er déc. 2009, Adalmis et Kilic c. Turquie, n° 25301/04.
■ « La garde à vue : questions pratiques », Dossier AJ pénal 2008. 257 s., spéc. E. Daoud et E. Mercinier, « Garde à vue : la French touch », ibid. 269.
■ B. Dumontet, « L'avocat et la garde à vue : aspects pratiques et critiques », AJ pénal 2004. 275.
■ J. Hodgson et G. Rich, « L'avocat et la garde à vue : expérience anglaise et réflexion sur la situation actuelle en France », RSC 1995. 319.
■ A. Fossaert-Sabatier, « Le contrôle de la Cour de cassation en matière de garde à vue », Dr. pénal 1997. Chron. 13.
■ Rép. pén. Dalloz, V° « Aveu », par C. Ambroise-Castérot.
■ Note d'information du 1er déc. 2009 de la Commission « Libertés et Droits de l'Homme » du Conseil national des barreaux (www.cnb.avocat.fr).
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