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Sur la présomption de mauvaise foi du vendeur professionnel et la prescription de l’action en garantie des vices cachés

[ 6 février 2024 ] Imprimer

Droit des obligations

Sur la présomption de mauvaise foi du vendeur professionnel et la prescription de l’action en garantie des vices cachés

Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.

Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Com. 17 janvier 2024, n° 21-23.909 

Travail préparatoire

Rappel de méthodologie

Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.

En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.

En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.

Analyse de l’arrêt

Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :

– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;

– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;

– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;

– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;

– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.

Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :

■ Sélection des faits : : En avril 2007, la société Sogedep vend à la société STDA un tracteur. Le 10 janvier 2015, STDA, spécialisée dans les travaux forestiers, donne cet engin en location-vente à l'exploitant d'une entreprise de débardage. L’engin prend feu lors de son ravitaillement en carburant, générant des dégâts aux propriétés voisines. À l’appui d’une expertise ayant établi la cause des dommages occasionnés, le moteur de la pompe d’aspiration du carburant ne répondant pas aux normes anti-déflagrations, l'assureur de l'exploitant de l'entreprise de débardage assigne les sociétés Sogedep et STDA en indemnisation sur le fondement de la garantie des vices cachés. 

■ Qualification des faits : En avril 2007, une société spécialisée dans les travaux forestiers achète un engin agricole qu’elle donne, huit ans plus tard, en location-vente à l'exploitant d'une entreprise de débardage. Lors de son ravitaillement en carburant, l'engin prend feu. L'incendie s'étend aux parcelles avoisinantes, occasionnant des dommages excédant la seule perte de l'engin agricole. Une expertise conclut à l'existence d'un vice caché, à l’origine de l’entier préjudice. L'assureur de l'exploitant de l'entreprise de débardage assigne alors les deux sociétés en indemnisation sur le fondement de la garantie des vices cachés prévue à l'article 1645 du Code civil. 

■ Procédure : Qualifiant la société intermédiaire (STDA) de venderesse professionnelle, la cour d’appel la présume de mauvaise foi. Elle la condamne en conséquence à indemniser l’acquéreur et la déboute de son action récursoire contre la venderesse initiale, qu’elle juge irrecevable comme prescrite. 

■ Moyen du pourvoi : Devant la Cour de cassation, la société condamnée conteste avoir la qualité de vendeur professionnel : si elle est bien un professionnel des travaux forestiers, c’est à tort que la cour d’appel l’aurait assimilée à une venderesse professionnelle sans constater qu’elle se livre de manière habituelle, dans le cadre de sa profession, à la vente de véhicules d’occasion. La venderesse reproche également aux juges du fond d’avoir déclaré son action récursoire contre le fabricant irrecevable car prescrite. La cour d’appel avait en effet considéré qu’en application de l’article L. 110-4 du Code de commerce, son action en garantie des vices cachés ne pouvait être exercée qu’à l’intérieur d’un délai butoir de 5 ans en sorte que la vente étant intervenue au mois d’avril 2007, aucune action en garantie des vices cachés n’était plus recevable depuis le mois d’avril 2013, soit cinq ans après la vente. 

■ Problème de droit : La présomption irréfragable de connaissance du vice caché s’applique-t-elle à tout professionnel, ou au seul vendeur professionnel ? Quelle est la durée du délai butoir de l’action récursoire en garantie des vices cachés ?

■ Solution : D’une part, la Cour de cassation, au visa de l’article 1645 du Code civil, dont il résulte une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, reproche à la cour d’appel d’avoir retenu la qualité de vendeur professionnel de la société intermédiaire sans rechercher si cette société procède de façon habituelle à la vente d’engins agricoles. D’autre part, au visa des articles 1648, alinéa 1, et 2232 du Code civil, elle confirme que l’action en garantie des vices cachés doit être exercée par l’acquéreur dans un délai de prescription de deux ans, courant à compter de la découverte du vice, ou, en matière d’action récursoire, de l’assignation principale, sans pouvoir excéder un délai butoir de vingt ans suivant la date de la vente conclue par la partie recherchée en garantie. Elle ajoute que ce délai est applicable aux ventes commerciales ou mixtes conclues avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, si le délai de prescription décennal antérieur n’était pas expiré à cette date, compte étant alors tenu du délai déjà écoulé depuis celle du contrat conclu par la partie recherchée en garantie. Partant, en l’absence d’expiration de ce délai, l’action récursoire en l’espèce engagée aurait dû être jugée recevable.

I. L’indemnisation du préjudice résultant du vice caché

A. La condition liée à la mauvaise foi du vendeur

● C. civ., art. 1645 : action indemnitaire, sur le fondement de la garantie des vices cachés.

● Action indépendante des actions rédhibitoire ou estimatoire, permettant d'obtenir l'indemnisation de l'entier préjudice (et non une simple diminution / restitution du prix de vente).

● Condition : action ouverte à l’acheteur seulement en présence d'un vendeur de mauvaise foi, celle-ci résultant de la connaissance, avérée ou présumée, du vice caché. ; l’indemnisation de l’acheteur dépend donc de la mauvaise foi de son vendeur.

B. La condition liée à la qualité de vendeur professionnel

● Jurisprudence constante : présomption irréfragable de connaissance du vice pesant sur le vendeur professionnel ; en l’espèce, le débat portait sur la qualification de vendeur professionnel de la STDA. Il ne faisait pas de doute que cette société était une professionnelle des travaux forestiers, mais encore fallait-il établir sa qualité de venderesse ;

● L’assimilation par la cour d’appel des notions de « professionnel » et de « vendeur professionnel » justifie la censure de son arrêt pour défaut de base légale. Pour la Cour de cassation, la cour d’appel aurait dû rechercher « si la société STDA se livrait de façon habituelle à la vente d’engins agricoles » ;

● Critère de l’activité (contractuelle) habituelle ; tout professionnel n’est pas un vendeur professionnel ; il faut s’assurer que, par sa profession, il procède régulièrement à des ventes et est donc à même de déceler la présence du vice caché ; comp. droit prospectif ; avant-projet Stoffel-Munck, art. 1643-2 : « Est professionnel tout vendeur ou tout acheteur qui se livre de manière habituelle à des ventes ou à des achats de biens semblables à celui qui est vendu. Est assimilé à un vendeur ou un acheteur professionnel toute personne possédant les compétences techniques nécessaires à la connaissance du vice invoqué ».

II. La prescription de l’action en garantie des vices cachés

A. L’existence d’un double délai

● Ch. mixte, 21 juill. 2023 (4 arrêts) : le délai de deux ans prévu à l’article 1648, alinéa 1er, du Code civil est un délai de prescription et non de forclusion, qui court à compter de la découverte du vice ou, en matière d’action récursoire, de l’assignation principale (pourvoi n° 21-15.809) ; 

● En outre, ce délai biennal est lui-même enfermé dans un délai butoir de vingt ans (pourvoi n° 21-17.789 ; n° 21-19.936 ; n° 20-10.763), courant à compter de la naissance du droit qui correspond, en matière de garantie des vices cachés, au jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie ; 

● Au cas d’espèce d’une chaîne homogène de contrats, l’action récursoire du vendeur intermédiaire contre le vendeur initial se prescrit par deux ans à compter de l’assignation principale de l’acquéreur, sans pouvoir dépasser un délai de vingt ans (et non de 5 ans) suivant la vente à l’origine de la garantie invoquée au soutien de l’action récursoire – soit la vente initiale conclue avec le fabricant (pourvoi n° 21-19.936).

B. La computation du délai butoir 

● Confirmation de l’analyse de la chambre mixte sur la computation du délai butoir lorsque la vente a été conclue avant le 19 juin 2008, date d’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. Dans une telle situation, celle de l’espèce, application des dispositions transitoires prévues à l’article 26 de la loi du 17 juin 2008 – reprises à l’article 2222 du Code civil :

● Dans les ventes civiles, délai de vingt ans applicable à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, soit le 19 juin 2008, sans que sa durée totale ne puisse excéder la durée de trente ans prévue par l’ancien article 2262 du code civil ; dans les ventes commerciales ou mixtes, le délai vicennal s’applique lorsque la prescription anciennement décennale de l’article L. 110-4 du code de commerce n’était pas expirée au 19 juin 2008 et il est alors tenu compte du délai déjà écoulé depuis la vente conclue par la partie recherchée en garantie.

● En l’espèce, application du délai à une vente commerciale ; peu importe donc l’antériorité de sa conclusion à la réforme de 2008 ; la Cour en déduit que l’action récursoire pouvait être exercée par la venderesse dans un délai de 20 ans à compter de la vente initiale, ce qui emporte cassation de l’arrêt d’appel.

 


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