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Cour de cassation : les modifications de la loi justice du XXIe siècle
Les articles 38 à 43 de la loi n° 2016-1547 du18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle sont consacrés à la procédure devant la Cour de cassation, certaines dispositions méritent un éclairage que Soraya Amrani Mekki, professeur à l'Université Paris Ouest - Nanterre La Défense, membre du Conseil Supérieur de la Magistrature, Vice-Présidente de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme et membre du Centre de Droit Pénal et de Criminologie, a bien voulu nous apporter.
Les articles 38 à 43 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle sont consacrés à la procédure devant la Cour de cassation, certaines dispositions méritent un éclairage que Soraya Amrani Mekki, professeur à l'Université Paris Ouest - Nanterre La Défense, membre du Conseil Supérieur de la Magistrature, Vice-Présidente de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme et membre du Centre de Droit Pénal et de Criminologie, a bien voulu nous apporter.
Avant la loi Justice 21, la Cour de cassation statuait en droit. L’article L. 411-3 du Code de l’organisation judiciaire permet maintenant à la Cour de cassation, de statuer, notamment en matière civile, au fond lorsque l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie. Est-ce une révolution ?
Il s’agit à tout le moins d’une évolution notable des pouvoirs de la Cour de cassation dont la teneur dépendra en grande partie de l’usage qui en sera fait. En effet, la Cour de cassation dispose déjà du pouvoir de ne pas renvoyer l’affaire après cassation en effleurant parfois les faits. Il s’agit de ce que l’on nomme la cassation sans renvoi qui peut se faire dans deux hypothèses, la seconde intéressant les faits. Dans le premier cas, le défaut de renvoi est quasi mécanique et résulte de ce qu’il ne reste plus rien à juger. Ainsi, si la Cour de cassation considère qu’une action en justice est prescrite, il n’y a plus lieu de statuer. Dans le second cas, au contraire, il est permis à la Cour de cassation de statuer au fond « lorsque les faits, tels qu’ils ont été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, lui permettre d’appliquer la règle de droit appropriée ». La Cour de cassation n’est alors pas directement juge du fait mais peut les utiliser pour appliquer la règle de droit en évitant ainsi un renvoi après cassation, source d’allongement des procédures. Il faut savoir, en effet, que la juridiction de renvoi statue comme si elle était première juridiction saisie, ce qui implique une possible évolution du litige. De plus, le renvoi peut donner lieu à un second pourvoi en cassation. Pour éviter cela, dans la limite des conditions posées, la Cour de cassation pouvait déjà appliquer les faits au droit mais n’a utilisé cette faculté que rarement (de 2 à 5%).
La loi de modernisation de la justice du 21e siècle va beaucoup plus loin. Elle reprend, d’abord, la possible cassation aux mêmes conditions qu'auparavant mais limitée cette fois ci à la matière pénale (COJ, art. L. 411-3, al. 2). Cela permet de mettre un point final à une procédure dont les enjeux en termes de droits et libertés fondamentaux sont particulièrement importants. Surtout, elle assouplit les conditions de la cassation sans renvoi puisqu’il suffit désormais que cela soit dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Or, une telle condition confère indubitablement un pouvoir discrétionnaire aux juges dans la mesure où cette notion malléable et modulable peut justifier tout type de décision. Elle est ainsi déjà utilisée dans le Code procédure civile à l’article 568 pour permettre à la cour d’appel d’évoquer une affaire au fond, c’est-à-dire de statuer sur l’entier litige, alors qu’elle n’était saisie que d’un appel immédiat relatif à une mesure d’instruction ou à un incident susceptible de mettre fin à l’instance. C’est la raison pour laquelle il faudra attendre l’usage qui sera fait d’un tel pouvoir pour en mesurer les conséquences. Elles pourraient être d’ampleur dans la mesure où le nouvel article dispose plus directement que la Cour de cassation peut « statuer au fond » et ce, alors même que les faits n’auraient pas été constatés et appréciés par les juges du fond, car ces restrictions ont disparu. Elle serait alors juge du fond à l’instar du Conseil d’État qui dispose déjà d’un pouvoir similaire (CJA, art. L. 821-2, al. 1er : « S'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d'État peut (…) régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie »). Mais alors que pour ce dernier statuer au fond est une prérogative historique, parfois même en premier et dernier ressort, il s’agit d’une nouveauté importante pour la Cour de cassation qui deviendrait ainsi, au besoin, juge du fait.
Il est possible de s’interroger sur ce que fera la Cour de cassation de ce nouveau pouvoir mais la réponse ne peut être envisagée que dans un contexte plus global. Alors que la Cour de cassation réfléchit à la manière de limiter son office aux questions de principe en opérant un filtrage dont les critères ne sont pas encore fixés, l’extension de ses pouvoirs aux faits pourrait être paradoxale. En réalité, il faut le comprendre comme une évolution de son office vers celui d’une cour suprême, au-dessus de tous et de tout, qui choisirait les affaires méritant d’être traitées et qui les jugerait globalement et définitivement. Appliquer de cette manière extrême, c’est le dialogue avec les juges du fond qui y perdrait. La Cour de cassation pourrait aussi vouloir ne statuer au fond que dans les seuls cas où les faits ont été constatés et souverainement appréciés par les juges du fond pour ne pas bouleverser son office. Autrement dit, le texte actuel permet le statu quo. Elle pourrait, enfin, vouloir étendre la cassation sans renvoi en statuant au fond dès lors qu’elle a dans le débat les éléments factuels nécessaires à l’application de la règle de droit, quitte à ce qu’il n’aient pas été spécialement débattus ni même soulevés par les parties. On songe notamment aux faits qualifiés d’aventices. Le champ des possibles est ouvert.
De l’évolution des pouvoirs à la révolution il n’y a qu’un pas mais il faut attendre de voir s’il sera franchi.
La loi Justice 21 permet également pour chacune des chambres de la Cour de cassation de se prononcer pour avis (COJ, art. L. 441-2) à la place d’une formation spéciale, présidée par le Premier président de la Cour de cassation. Pourquoi ce changement ?
La loi de modernisation de la justice du 21e siècle prévoit effectivement une nouvelle formation compétente pour rendre les avis. Anciennement, l’article L. 441-2 du Code de l’organisation judiciaire disposait que la formation pour avis était présidée par le premier Président ou, en cas d’empêchement, par le président de chambre le plus ancien. L’article R. 441-1 COJ précisait quant à lui que la formation pour avis en matière civile était composée, outre le premier président, des présidents de chambres et de deux conseillers désignés par chaque président de chambre concernée. La formation était ainsi solennelle mais compétente pour tout type de demande d’avis. La réforme a officiellement souhaité réserver cette solennité aux questions de principes et a finalement pris pour modèle les formations compétentes selon la nature du pourvoi. L’article L. 441-2 COJ dispose désormais que les avis seront soumis à des formations différentes selon leur nature. La formation normalement compétente est la chambre à laquelle la question serait attribuée en cas de pourvoi. Lorsque la question intéresse plusieurs chambres, elle est attribuée à une formation mixte. Enfin, lorsqu’elle pose une question de principe, c’est une formation plénière pour avis qui est compétente. L’orientation de l’avis est décidée par ordonnance non motivée du premier Président ou de la chambre saisie et le renvoi est de droit lorsque le parquet général en fait la demande (COJ, art. L. 441-2-1).
Alors que la Cour de cassation souhaite redonner une seconde jeunesse à la procédure pour avis insuffisamment utilisée, notamment en motivant mieux les avis avec le concours du parquet général, l’objectif est de favoriser la lisibilité des avis donnés et de suggérer qu’ils sont plus ou moins importants. Le temps est à la sélection des avis comme des pourvois. À côté de cet objectif louable, on peut aussi souligner que la formation pour avis telle qu’elle était conçue auparavant avait pour défaut que des non spécialistes de la matière concernée étaient en majorité dans la formation. Le risque était que la formation pour avis soit d’un avis différent de la chambre spécialisée. Bien que fort rare, une illustration patente est fournie par la question de la communication des pièces en appel. La formation pour avis avait, en effet, considéré que si les pièces n’étaient pas communiquées simultanément aux conclusions, elles devaient être rejetées bien que l’article 906 du Code de procédure civile ne prévoit pas de sanction (Cass., avis, 25 juin 2012, n° 12-00.005). Elle a, par la suite, précisé que ce sont les juges du fond et non le conseiller de la mise en état qui devait en décider (Cass., avis, 21 janv. 2013, n° 12-00.017). Pourtant, un arrêt postérieur de la chambre de la procédure est allé à contresens considérant qu’il suffit que les pièces soient communiquées en temps utile, le seul défaut de simultanéité n’entraînant pas le rejet (Civ. 2e, 30 janv. 2014, n° 12-24.145). Cette position a été confirmée par la suite en assemblée plénière (Cass., ass. plén., 5 déc. 2014, n° 13-19.674). L’intérêt à soumettre la demande d’avis à la chambre spécialisée est ainsi notable pour éviter un manque de cohérence.
La réforme de la formation compétente pour rendre des avis n’est ainsi pas que pure question d’administration de la justice. Elle révèle la volonté de la Cour de cassation de mieux faire passer son message jurisprudentiel par une plus grande lisibilité et cohérence.
Enfin, pourquoi les articles relatifs au « réexamen en matière civile » (COJ, art. L. 452-1 à L. 452-6) ont-ils été ajoutés dans le COJ ?
Le réexamen des affaires après condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme n’est pas chose évidente car l’autorité irrévocable de chose jugée est remise en cause du fait de l’intervention d’une juridiction supranationale. Il a cependant été admis en matière pénale par la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence avec un mécanisme de filtre et une procédure spécifique visant à ne remettre en cause que les décisions où la violation des droits de l’homme a pu avoir une influence sur le sens de la décision (COJ, art. L. 451-1 renvoyant au C. pr. pén., art. 622 s.). Depuis plusieurs années, les voix s’élevaient pour l’étendre en matière civile car les droits fondamentaux y sont également en cause (v. not. P.Y. Gautier, « De l'obligation pour le juge civil de réexaminer le procès après une condamnation par la Cour européenne des droits de l'Homme », D. 2005. 2773.) C’est ce qui est désormais chose partiellement faite car le réexamen en matière civile n’est possible que relativement à l’état des personnes. Les articles L. 452-1 à 452-6 du Code de l’organisation judiciaire créent donc une procédure de réexamen qui entrera en vigueur après un décret pris en Conseil d’État et au plus tard six mois après la date de la publication de la loi.
Le réexamen est soumis à plusieurs conditions. Il faut, premièrement, que la demande émane de la partie intéressée ou de son représentant légal en cas d’incapacité. En cas de décès ou d’absence, elle est présentée par son conjoint ou pacsé, son concubin, ses enfants, parents, ses petits-enfants ou arrière-petits enfants, légataires universels ou à titre universel. La demande de réexamen doit, deuxièmement, être faite dans le délai d’un an suivant la décision de condamnation ou un an suivant l’entrée en vigueur des dispositions si la condamnation lui est antérieure. Troisièmement, et c’est là une condition essentielle mais soumise à appréciation, il faut que la satisfaction équitable accordée par la Cour européenne des droits de l’homme (art. 41) qui n’est qu’une somme d’argent demeure insuffisante au regard des conséquences dommageables de la décision.
La demande de réexamen devra être faite à une cour composée de treize magistrats de la Cour de cassation (contre 18 en matière pénale) présidée par le doyen des présidents de chambre et formée de douze magistrats désignés par l’assemblée générale de la Cour pour une durée de trois ans renouvelable une fois. Le président de la Cour a un office particulier car il peut rejeter la demande lorsqu’elle est manifestement irrecevable par ordonnance motivée mais non susceptible de recours. Si la Cour estime la demande fondée, elle annule la décision en cause et renvoie à une juridiction de même nature et de même degré. Elle peut aussi, lorsqu’il est fait droit à une demande de réexamen du pourvoi du requérant renvoyer l’affaire à l’assemblée plénière de la Cour de cassation.
Cette nouvelle procédure, bien que limitée à l’état des personne, inscrit encore un peu plus la Cour européenne des droits de l’homme dans la hiérarchie judiciaire. Bien qu’elle ne se transforme toujours pas en quatrième degré de juridiction, son influence sur les procédures internes se fait ressentir plus fortement. On comprend alors le besoin ressenti d’éviter des condamnations après un contrôle de proportionnalité qu’opère systématiquement la Cour européenne des droits de l’homme mais qui n’était pas officiellement affirmé en France jusqu’à il y a peu, notamment en matière d’état des personnes (V. Civ. 1re, 4 déc. 2013, n° 12-26.066 qui refuse une demande d’annulation de mariage).
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Sans hésitation, les cours d’histoire du droit du professeur Romuald Szramkiewicz choisis en option chaque année. Nous étions totalement subjugués. Ce n’étaient pas des cours mais des moments passionnant, hors du temps.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Han solo.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Il me semble qu’ils sont indissociables les uns des autres mais que le noyau dur demeure celui du respect de la personne humaine, dans sa vie, son intégrité et avec ses différences.
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