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[ 26 octobre 2023 ] Imprimer

Établissements scolaires, République et Harcèlement

Le décret n° 2023-782 du 16 août 2023 relatif au respect des principes de la République et à la protection des élèves dans les établissements scolaires relevant du ministre chargé de l’éducation nationale modifie le Code de l’éducation de manière significative. Marc Debène, professeur émérite, ancien Recteur d’académie, a bien voulu répondre à nos 4 questions.

Quels sont les objectifs du décret disciplinaire du 16 août 2023 ?

Le décret du 16 août 2023 a un double objectif énoncé dans son intitulé, le respect des principes de la République, la protection des élèves. En modifiant les articles du Code de l’éducation relatifs à la discipline des élèves issus du décret de 1985 modifié il se réfère aux principes adoptés par la loi du 24 août 2021 dite « loi séparatisme » et anticipe le plan interministériel de lutte contre le harcèlement à l’école annoncé par la première ministre le 23 septembre 2023 autour du triptyque « prévenir, détecter, traiter ». Ces deux politiques publiques ont un volet répressif. D’abord pénal. La loi de 2021 définit le délit le séparatisme ou l’intimidation (C. pén., art. 433-3-1) et sanctionne le fait d’entraver l’exercice de la fonction d’enseignant (C. pén., art. 431-1, al. 3). Si la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance affirmant le droit à la scolarité sans harcèlement ne définissait ni incrimination, ni sanctions spécifiques, la loi Balanant du 2 mars 2022 érige les faits de harcèlement moral (dont le cyberharcèlement) commis à l’encontre d’un élève en délit spécifique (C. pén., art. 222-33-2-2, visant ainsi les violences scolaires et la provocation au suicide). Même si l’ article 40 du Code de procédure pénale impose au personnel éducatif, notamment au chef d’établissement, de signaler les délits au procureur de la République, les difficultés rencontrées pour établir les faits et leur imputation comme les règles applicables aux mineurs (présomption de non-discernement pour les moins de 13 ans, mesures d’atténuation prévue par le Code de la justice pénale des mineurs) limitent la portée de la répression pénale ; de nombreux signalements ont pu aboutir à un simple rappel à la loi (l’avertissement pénal probatoire qui le remplace depuis le 1er janvier 2023 exclut toutefois les violences physiques) ou à des mesures éducatives judiciaires (par exemple un stage de citoyenneté). Reste alors la répression disciplinaire qui relève du droit scolaire. Aussi le décret du 16 août 2013 apporte plusieurs modifications aux dispositions du Code de l’éducation relatives à la discipline dans les établissements publics locaux d’enseignement (EPLE) ; il s’attache aussi à la discipline dans les écoles.

Quelle est la nouvelle procédure prévue dans les écoles par le nouvel article R. 411-11-1 du Code de l’éducation ?

Même si des règles nouvelles sont introduites, il ne s’agit pas d’une nouvelle procédure mais de l’intégration dans le Code de l’éducation de la procédure jusque-là prévue par circulaire (circulaire n° 2014-088 du 9 juillet 2014). En adoptant un nouvel article R*. 411-11-1 dans les règles concernant l’organisation des écoles récemment modifiées par le décret du 14 août 2023, suite à la loi Rilhac du 21 décembre 2021 créant la fonction de directrice ou de directeur d'école, le décret la rehausse dans la hiérarchie des normes. S’il n’y a pas à l’école de sanctions disciplinaires comme au collège et au lycée, les élèves peuvent faire l’objet de réprimandes prévues par le règlement intérieur, visant notamment les atteintes à l’intégrité physique des autres élèves ; elles doivent être immédiatement portées à la connaissance de leurs représentants légaux ; elles ne peuvent en aucun cas porter atteinte à l'intégrité morale ou physique d'un enfant. La nécessité du dialogue et la recherche de solutions éducatives mises en avant par la circulaire sont reprises par le décret du 16 août qui ajoute un article R*. 411-11-1 précisant que le comportement de l’élève doit être « intentionnel et répété » et faire peser « un risque caractérisé sur la sécurité et la santé d’un autre élève », éléments caractéristiques du harcèlement scolaire.

Dans un premier temps, le dialogue doit permettre de rechercher une solution éducative dans le cadre de l’école pour améliorer le comportement de l’élève ; le directeur doit réunir, désormais dans les plus brefs délais (autre décret du même jour) l’équipe éducative qui comprend les maîtres, les parents, le psychologue scolaire, éventuellement l’infirmière, le médecin scolaire (C. éduc., art. D. 321-16) avant d’envisager, en association avec les parents, une solution dans la classe, dans une autre classe ou par la prise en charge de l'élève par les enseignants des réseaux d'aide spécialisés aux élèves en difficulté (circulaire n° 2009-088 du 17 juillet 2009) ; le chef d’établissement peut alors, à titre conservatoire, prendre une mesure d’éloignement de l’élève pour une durée maximale de cinq jours.

Si malgré la mise en œuvre de ces mesures éducatives, la situation ne s’est pas améliorée, il peut être envisagé dans un second temps, à titre exceptionnel, une solution hors de l’école. Lorsque le maintien d'un élève dans un établissement scolaire représente un risque pour la santé ou la sécurité d'autres élèves, le directeur de l’école peut saisir le DASEN pour qu’il demande au maire de procéder à la radiation de l'élève et à sa réinscription dans une autre école de la même commune ; lorsque la commune ne compte qu'une seule école publique, la radiation ne peut intervenir que si le maire d'une autre commune accepte de procéder à son inscription. Même si la loi de 2019 permet d’autoriser un élève dont l’intégrité physique ou morale a été menacée à être instruite dans sa famille (C. éduc., art. L. 131-5), l’idée est de protéger l’élève harcelé en lui garantissant un climat favorable dans son école, en écartant l’élève harceleur. Si ses parents ont pu être consultés et dialoguer avec le chef d’établissement et l’autorité académique, cette mesure peut être prise sans leur accord. L’élève sanctionné fera l’objet, dans son nouvel établissement, d'un suivi pédagogique et éducatif renforcé. En attendant la décision du maire, le directeur de l’école peut encore prendre des mesures conservatoires pour l’éloigner de l’école pour la durée de la procédure. 

Quels sont les deux nouveaux cas de saisine obligatoire du conseil de discipline dans les collèges et les lycées ?

Dans les établissements publics locaux d’enseignement, collèges ou lycées, c’est au chef d’établissement qu’il revient de saisir le conseil de discipline ; depuis 2011, il peut décider de prononcer seul, sans réunir le conseil de discipline, toute sanction disciplinaire, à l’exception de l’exclusion définitive d’un élève (C. éduc., art. R. 511-14) et dans le cas où un membre du personnel de l’établissement a été victime de violence physique (C. éduc., art. R. 421-10, dernier alinéa). S’il est juge de l’opportunité des poursuites, il est tenu de réunir le conseil lorsque l’élève est l’auteur de violence verbale vis-à-vis d’un membre du personnel de l’établissement ou lorsqu’il commet un acte grave à l’égard d’un membre du personnel ou d’un autre élève.

Le décret de 2023 ajoute deux cas de saisine obligatoire du conseil de discipline.

Le premier vise les actes portant une atteinte grave aux principes de la République, notamment au principe de laïcité (C. éduc., art. R. 421-10, avant-dernier al.). L’atteinte ici visée doit être grave, caractéristique qui peut être cernée tant par ses effets sur les autres élèves, les personnels ou l’établissement que par la sanction encourue (notamment l’exclusion). S’agissant de laïcité tel sera le cas du refus de tenir compte de l’interdiction du port de signes et tenues religieux manifestant ostensiblement une appartenance religieuse formulée par la loi du 15 mars 2004 (C. éduc., art. L.141-5-1, du voile islamique à l’abaya) mais aussi de la contestation d’un enseignement, du refus d’une activité scolaire, de la suspicion de prosélytisme... la gravité pouvant résulter de la répétition des faits. Il pourrait en être de même dans le champ politique (port d’un signe, par exemple un T-shirt marqué du Z de soutien à l’armée russe, propagande...) portant alors atteinte à la neutralité. Il en serait de même en cas d’atteinte à l’égalité (discriminations), la liberté (entrave) ou à la dignité. 

Ici aussi, le chef d'établissement a, dans l'attente de la décision du conseil de discipline, la possibilité, en cas de nécessité d'interdire à un élève l'accès à l'établissement ; l’« exclusion immédiate » n'est pas une sanction mais une mesure conservatoire (C. éduc., art. D. 511-33).

 

Le second vise les actes de harcèlement à l’encontre d’un autre élève. Sont ici visés des actes de violence (physiques, verbales ou psychologiques) dont le caractère répétitif installe un rapport de domination à l'encontre de l’élève stigmatisé notamment en raison de son apparence physique, son genre, son orientation sexuelle, son handicap ou son appartenance à un groupe social ou culturel vrai ou supposé, pouvant entraîner une baisse des résultats scolaires, des absences répétées allant jusqu'au décrochage scolaire, un mal-être, une souffrance, des conduites déviantes, autodestructrices et suicidaires. Si le décret n’exige pas ici que ces actes soient graves, leur répétition et leurs conséquences leur confèrent cette qualité (À noter que le Conseil d’État a récemment jugé que la situation de harcèlement ne caractérise pas une situation d'urgence au sens du Code de justice administrative permettant de déroger à la carte scolaire ; il a alors souligné le caractère isolé et relativement ancien des violences qui n’avaient pas nécessité la mise en place d'un suivi médical ou psychologique particulier ni eu de répercussion sur les résultats scolaires des enfants (CE 23 mai 2023, n° 473879)). Le décret apporte deux précisions : l’élève harceleur peut être scolarisé dans un autre établissement que l’élève harcelé ; le harcèlement peut passer par les techniques de communication, le décret visant comme la loi pénale le cyberharcèlement, le harcèlement via internet (mails, réseaux sociaux, un forum, un jeu vidéo multijoueur, un blog). Comme la confiscation des appareils de communication, le bannissement des réseaux sociaux envisagé dans le cadre du plan interministériel est suspendu à l’intervention d’une loi.

Quels sont les rôles respectifs du chef d’établissement et de l’autorité académique dans les poursuites disciplinaires pour les atteintes aux principes de la République ?

Le décret s’attache aux cas d’atteinte grave aux principes de la République, notamment à la laïcité. Après la phase de dialogue au cours de laquelle le chef d’établissement a pu bénéficier de l’assistance des experts de la cellule académique valeurs de la République (chargées de former les personnels, de leur apporter un appui concret et de répondre aux situations d’atteinte à la laïcité), s’ouvre la phase disciplinaire ; les poursuites peuvent être délicates tant pour la qualité des débats (sérénité) que pour le climat scolaire (ordre et sécurité dans l’établissement). Aussi peut-on envisager un dépaysement de la procédure : c’est ce que prévoyait le décret de 1985 en instituant un conseil de discipline départemental présidé par l’autorité académique, alors inspecteur d’académie (C. éduc., art. R. 511-5). Le chef d’établissement peut le saisir en cas d’atteinte grave aux personnes et aux biens commis par un élève à la condition alternative qu’il ait été exclu définitivement d’un précédent établissement ou fasse l’objet de poursuites pénales (C. éduc., art. R. 511-44) ; le décret de 2023 ajoute qu’il peut en être de même en cas d’atteinte grave aux principes de la République, notamment à la laïcité. Si les conditions tenant à l’élève ne sont pas remplies, le conseil de discipline de l’établissement reste compétent, malgré la gravité des faits qui lui sont reprochés ; pour tenir compte de la complexité des affaires en cause, le chef d’établissement peut dorénavant solliciter l’autorité académique, désormais le DASEN, pour qu’il désigne une personne compétente pour siéger avec voix consultative (C. éduc., R. 511-20-1, al.1) ; en motivant sa demande par le souci de garantir la sérénité de la procédure, le chef d’établissement peut en outre solliciter le DASEN pour qu’il assure la présidence du conseil de discipline de l’établissement (C. éduc., art. R. 511-20-1). Enfin, sans qu’il soit besoin que les atteintes aux principes soient graves, le DASEN peut se substituer au chef d’établissement à sa demande en engageant la procédure disciplinaire et en prononçant seules les sanctions, sous réserve de l’exclusion définitive (C. éduc., art. R. 511-44). Le chef d’établissement, représentant de l’État au sein de l’établissement garde alors la main. On peut considérer la possibilité d’appel au DASEN comme une garantie donnée au chef d’établissement, combattant ainsi sa solitude devant l’obstacle ; d’autres y verront une déresponsabilisation du représentant de l’État au sein de l’établissement. Que la décision soit prise par le conseil de discipline de l’établissement présidé par le chef d’établissement ou le DASEN ou par le conseil de discipline départemental, elle peut être déférée au recteur d'académie, dans un délai de huit jours à compter de la notification, soit par le représentant légal de l'élève, ou par ce dernier s'il est majeur, soit par le chef d'établissement (C. éduc., art. R. 511-49) ; la décision rectorale qui intervient dans le délai d’un mois après avis d'une commission académique d'appel doit être motivée ; elle purge les irrégularités éventuelles de la décision du conseil de discipline.

Comment, selon vous, ces dispositions s’insèrent-elles dans le droit de la vie scolaire existant ?

Comme le droit pénal, le droit disciplinaire est un droit de l’échec qui sanctionne des comportements qui n’auraient jamais dû se produire. Il peut certes avoir un effet dissuasif ; en outre, la procédure comme les sanctions doivent toujours avoir un caractère éducatif. Mais le droit de la vie scolaire est aussi un droit institutionnel qui met en place les structures et les règles permettant le bon fonctionnement du service public, l’efficacité de la mission éducatrice. L’organisation de la vie scolaire comme le statut des élèves ne se réduisent pas ni à la discipline ni aux questions de responsabilité. La loi met à la disposition des communautés éducatives des outils, comme les projets d’école et d’établissement permettant de décliner les objectifs nationaux dans le respect des principes qui structurent le droit de la vie scolaire.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Ma première année de droit quand j’ai réalisé que son contenu correspondait exactement à ce que je recherchais.

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

Tout dépend du moment. Je reviens de Grèce. C’est donc Ulysse et Antigone

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

La fraternité car elle humanise et socialise à la fois les deux principes cardinaux et pour moi indissociables de la liberté et de l’égalité. 

 

Auteur :MBC


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