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L'avocat aux Conseils
S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.
Si les étudiants en droit ont tous une idée assez précise du métier d'avocat à la Cour, il en va bien autrement de celui d'avocat aux Conseils, autrement dit avocat spécialisé dans le contentieux porté devant le Conseil d'État et la Cour de cassation. C'est précisément parce qu'il n'existait aucune information sur la question, « pas même un module sur la technique de cassation », que Julie Buk Lament a découvert sa vocation sur le tard, dans le cadre de son activité professionnelle. Elle nous explique les ressorts de cette profession qui la passionne.
Quel parcours avez-vous suivi avant de devenir avocate aux Conseils ?
J'ai suivi un parcours assez classique. Très tôt j'ai su que je voulais faire un métier dans le droit mais je n'ai pas su déterminer tout de suite lequel. Je pensais à magistrate, juge des enfants. Mais, autour de moi, on m'en dissuadait. Malgré plusieurs stages auprès d'avocats à la Cour, je ne trouvais pas ma vocation. Embêtée mais persuadée que le droit était fait pour moi, j'ai passé un DEA (Master 2, ndlr) de droit privé général à la Sorbonne car il avait bonne réputation et que ça me semblait être la meilleure voie pour ceux qui ne savent pas quel métier exercer.
CRFPA obtenu, j'ai commencé à donner des cours de TD et, aimant la recherche, je me suis inscrite en thèse.
C'est au cours de mon stage de l'EFB, dans un cabinet d'avocat, que l'un des associés m'a parlé du métier d'avocat aux Conseils et m’a convaincu que c’était fait pour moi. Si bien que lorsque je suis sortie de l'EFB j'ai envoyé mes CV uniquement chez des avocats aux Conseils et après être entrée comme collaboratrice dans un cabinet, j'ai décidé d'abandonner ma thèse. Je n’ai jamais été collaboratrice dans un cabinet d’avocat à la Cour.
Qu'est-ce qui vous a poussé à passer le concours de l'Institut de formation et de recherche des avocats aux Conseils (IFRAC) et comment avez-vous vécu ces nouvelles années d'études ?
Tout le monde me disait que l'IFRAC était très dur mais c’est un passage obligé pour devenir avocats aux Conseil. La formation est difficile, les examens aussi et l’ensemble demande quelques sacrifices personnels. J'ai donc suivi les cours, tout en continuant à traiter des dossiers pour le cabinet et à assurer ma vie familiale.
Étant privatiste, j'ai appris à faire des mémoires dans toutes les autres matières d'abord à l'IFRAC puis pour le cabinet.
La spécificité de l'avocat aux Conseils c'est précisément de connaître toutes sortes de droit, de représenter le justiciable devant la plus Haute juridiction administrative et la plus Haute juridiction judiciaire quel que soit son contentieux. C'est cette diversité qui fait la beauté de notre métier. Le passage initiatique est long mais indispensable parce qu'être avocat aux Conseils nécessite un recul, une maturité.
L’obtention du CAPAC reste un des plus beaux jours de ma vie ! Après avoir été nommée par arrêté du garde des Sceaux quelques temps plus tard, j'ai re-prêté serment, cette fois devant la Cour de cassation et devant le Conseil d'État. C'était en février 2010, soit onze ans après ma première prestation de serment en tant qu'avocate à la Cour ! J'ai eu la chance que l'un des associés du cabinet où je travaillais souhaite prendre sa retraite et me propose de racheter ses parts au sein de la SCP (société civile professionnelle, ndlr).
En quoi consiste votre quotidien ? Qu'est-ce qui vous distingue d'un avocat à la Cour ?
L'avocat à la Cour prend le dossier à l'origine, il a l'être humain devant lui. Il doit prouver ce que lui dit son client, rassembler le maximum de preuves. Cela demande une grande rigueur, beaucoup d'écoute. La difficulté c'est de déterminer l'action adéquate de son client, déterminer le fondement. La difficulté est accrue parce que la jurisprudence impose à l'avocat de trouver le meilleur fondement dès l'origine du procès, il ne pourra plus y revenir par la suite.
Nous, avocats aux Conseils, n'exerçons pas du tout le même métier. Nous n'avons plus la grosse pile de pièces. Les faits sont censés être établis, on se concentre exclusivement sur la façon dont le juge a appliqué la règle de droit.
Nos recherches sont axées sur le texte, la jurisprudence, la doctrine, c'est une discussion vraiment juridique. C'est un métier qui nous permet d'aller fouiller dans le droit, nos connaissances et nos raisonnements sont d'ailleurs transversaux. Pour chaque dossier, on doit systématiquement s’approprier la matière, se replonger au besoin dans les manuels. Un aspect non négligeable de notre activité c'est de pouvoir être à l'origine de l'évolution de la jurisprudence. C'est assez fascinant.
On a aussi un très grand rôle de conseil pour le client en amont. Dans la majorité des cas, il nous demande notre avis avant de s’engager. Quand on rédige cet avis sur les chances de succès du pourvoi, on est vraiment dans la position du magistrat et on donne toujours au client la vérité, bonne ou mauvaise. On connaît les textes et la jurisprudence, on a toujours ce devoir de l'éclairer sur l'issue possible du procès.
C'est un métier incontestablement technique, nous avons une grille de lecture très particulière que nous appliquons pour chaque dossier.
Ce métier n’est pas solitaire. Pour ma part, j'ai un associé et des collaborateurs avec lesquels j'échange beaucoup. Il y a un foisonnement, même entre confrères. Chaque dossier est un nouveau challenge juridique, une nouvelle découverte, on ne s'ennuie jamais.
La profession a-t-elle beaucoup évolué depuis que vous le pratiquez ?
Il y a eu une petite révolution quand j'ai commencé mon métier, ce sont les arrêts de non-admission (loi n° 2001-539 du 25 juin 2001 qui instaure la non-admission des pourvois « irrecevables ou non fondés sur un moyen sérieux de cassation », ndlr).
J'étais collaboratrice à l'époque mais je voyais mes employeurs très embêtés d'avoir à envoyer ce type d'arrêt. Étant, maintenant avocate aux Conseils, j'arrive à l'expliquer aux clients. Ils sont souvent prévenus psychologiquement. De temps en temps on n'est pas d'accord avec ces arrêts et on se bat. Globalement, c'est une évolution qui n'est pas si négative. Lorsqu'on explique bien au client la portée de cette décision, on arrive à la faire accepter.
Par ailleurs quand j'ai prêté serment, il y a eu la réforme des questions prioritaires de constitutionnalité (loi n° 2008-724 du 23 juillet 2008 qui autorise le justiciable à demander au Conseil constitutionnel de vérifier la constitutionnalité d'une disposition législative, ndlr). C'est une réforme majeure mais ces demandes ne constituent pas le quotidien des avocats aux Conseils. Nous en recevons peu parce que cela concerne plutôt les lois résiduelles, plus anciennes.
Enfin, comme je l’ai souligné, on nous demande de plus en plus de consultations, d'avis, en amont. Le justiciable ne se lance pas les yeux fermés, il a besoin d'un conseil. Alors on rédige des pourvois à titre conservatoire pour préserver les intérêts, on délivre une consultation et on se désiste : c'est généralement suivi par le client. Cela revient à faire un travail exhaustif sur les chances de succès du pourvoi, on pèse le pour et le contre. C'est une grosse partie de notre métier et ça s'explique sans doute par le fait que nous traversons une période difficile. Aller jusqu'au bout c'est prendre le risque d'être condamné à l'article 700 du Code de procédure civile en cas d'échec, ce sont donc des frais en plus. Ce n'est pas énorme mais dans ce contexte de crise il y a une certaine prudence.
À l'heure de la disparition de certains monopoles juridiques, votre profession est-elle menacée ?
Le projet de loi « croissance et activité » (projet Macron, ndlr) n'est pas sorti donc nous ne savons pas si nous sommes concernés par la réforme mais je doute que le métier disparaisse.
Je pense que nous avons un rôle fondamental à jouer tant que la Cour de cassation et le Conseil d'État existeront. Notre profession est en perpétuelle évolution. La preuve : nous sommes de plus en plus nombreux. En 1978, une réforme nous a permis d'exercer notre charge sous forme de SCP et un décret de 2013 a rendu possible le passage de trois à quatre avocats aux Conseils au sein des 60 charges. Aujourd'hui nous sommes presque le double de ce que nous étions en 1978. Nous avons aussi la possibilité d'être salarié, de travailler pour un cabinet sans avoir acheté une partie de la charge. Enfin, depuis un décret de 2008, il est possible de créer de nouvelles charges, au-delà des 60 existantes.
C'est bien la démonstration que notre métier n'est pas voué à disparaître. Nous sommes des techniciens de la cassation, c’est notre spécificité. Notre métier mérite d’être mieux connu pour comprendre notre rôle particulier devant la Cour de cassation et le Conseil d’État.
Questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur/pire souvenir d'étudiant ?
Mon meilleur souvenir : il s'agit de mon DEA à l'Université Paris 1 Panthéon-Assas. C'était difficile, je n'ai jamais autant travaillé mais il y avait une émulation incroyable, de vrais liens d'amitié se sont créés avec les étudiants de la promotion. Nous passions nos semaines à travailler et nos week-end à nous voir. Ça a été une merveilleuse année.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Adèle Blanc-Sec, personnage créé par l'auteur et dessinateur de BD Jacques Tardi. C'est une femme moderne au début du xxe siècle, à une époque où la femme n'avait pas une très grande place. Elle est maligne, libre, volontaire, réalise des enquêtes incroyables. C'est une belle héroïne.
Quel est votre droit de l'homme préféré ?
C'est l'article 8 de la Conv. EDH dans son acception large, celle de la Cour européenne : le droit au respect de la vie privée et familiale. Cela recoupe par exemple les arrêts sur le transsexualisme, la vie familiale exercée telle qu'on la souhaite. Grâce à cet article il y a eu d'énormes avancées dans la société. Je souhaite que ce soit toujours dans ce sens-là.
Carte d'identité de l'avocat aux Conseils
Les avocats aux Conseils traitent des dossiers provenant de tout le territoire français. La plupart du temps ce sont les avocats à la Cour qui leur transmettent les dossiers et leurs liens avec ces confrères sont permanents. À la différence de ces derniers, en revanche, leurs déplacements sont rares, y compris devant les juridictions devant lesquelles ils portent ces dossiers, étant donné que la procédure demeure écrite, sans plaidoirie.
■ Les chiffres
– 108 avocats aux conseils ;
– 34 d'entre eux sont des femmes ;
– 54 ans d'âge moyen.
■ La formation et les conditions d'accès
Nul ne peut accéder à la profession d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation s'il ne remplit un certain nombre de conditions prévues par le décret n° 91-1125 du 28 octobre 1991 relatif aux conditions d'accès à la profession d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation.
Le candidat à cette profession doit :
– collaborer auprès d'un avocat aux Conseils ;
– suivre l’enseignement dispensé par l'Institut de formation et de recherche des avocats aux Conseils (IFRAC) ;
– participer au concours d'éloquence de la Conférence du stage.
L’accès à la profession est ouvert :
– aux titulaires du CAPAC ;
– aux conseillers d’État, conseillers à la Cour de cassation, conseillers à la Cour de comptes ;
et sous certaines conditions :
– aux professeurs d’Université, aux maîtres des requêtes et anciens maîtres des requêtes du Conseil d’État ;
– aux conseillers référendaires et anciens conseillers référendaires à la Cour de cassation ou à la Cour des comptes ;
– aux titulaires de diplômes équivalents délivrés par un État membre de l’Union européenne ou à ceux qui justifient de l’exercice de cette même profession dans un État membre.
■ Les domaines d'intervention
La spécificité de ce métier est justement qu'il touche à tous les secteurs du droit, du divorce au contrat d'assurance en passant par le droit pénal et le droit de l'environnement.
■ Le salaire
Il n'a pas été possible d'obtenir une information large sur cette question. Tout dépend de la taille et de la structure du cabinet et des honoraires facturés qui sont libres. Globalement, il semblerait que les avocats aux Conseils gagent nettement mieux leur vie que la moyenne des avocats à la Cour.
■ Les qualités requises
Pédagogie, rigueur, discipline, écoute, persévérance, connaissance pointue et transversale des disciplines, capacité à synthétiser, à se mettre à la place du juge, à rechercher, fouiller dans le droit, la doctrine, la jurisprudence, la loi.
■ Les règles professionnelles
Elles reposent sur les mêmes principes que celles des avocats à la Cour et ont fait l'objet d'un règlement général relayé sur le site de l'Ordre des avocats aux Conseils. Il y est notamment question de leur indépendance, dignité, conscience, probité, humanité, honneur, loyauté, désintéressement, confraternité, délicatesse, modération et courtoisie mais aussi compétence à l'égard de son client, diligence, prudence, accès égal et libre du justiciable.
Par ailleurs une charte de coopération entre l'ordre des avocats à la Cour et l'ordre des avocats aux conseils a été adopté afin de préciser les modalités de leur collaboration.
■ Sites Internet
– Ordre des avocats aux conseils : http://www.ordre-avocats-cassation.fr/
– Règlement général de déontologie :
http://www.ordre-avocats-cassation.fr/upload/pages/reglement-general-de-deontologie_9.pdf
– Charte organique de collaboration entre avocats à la Cour et avocats aux conseils :
http://www.ordre-avocats-cassation.fr/upload/signature-d-une-charte-organique-de-_17.pdf
– Site du cabinet Potier de la Varde - Buk Lament : http://www.juliebuklament.fr/
Références
■ Marie-Noëlle Jobard-Bachellier, Xavier Bachellier, Julie Buk Lament, La technique de cassation, Pourvois et arrêts en matière civile, 8e éd., Dalloz, 2013.
■ Article 700 du Code de procédure civil
« Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. Néanmoins, s'il alloue une somme au titre du 2° du présent article, celle-ci ne peut être inférieure à la part contributive de l'État. »
■ Article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
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