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[ 23 février 2015 ] Imprimer

Le juriste dans l'audiovisuel

S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.

Gestion des contrats, achat de séries, respect du droit à l'image, à la vie privée, coproduction... Pour assurer la diffusion des programmes TV, les chaînes s'entourent de juristes spécialisés dans l'audiovisuel, les médias. Hier juriste chez Canal +, Sophie Castellani travaille désormais pour une société de diffusion de programmes TV. Elle nous a expliqué son parcours, son quotidien et les enjeux de cette profession.

Quelles études avez-vous suivi et comment avez-vous démarré votre carrière ?

Je suis originaire de Lozère mais j'ai fait mes études à Aix-en-Provence. À la fin de ma licence, un Master Société-Communication-Culture s'est ouvert : j’ai opté pour cette formation sans trop connaître les débouchés. Puis j'ai obtenu un Master 2 droit et métiers de l'audiovisuel. Je n'ai pas trouvé de stage dans le Sud mais à Paris, trois mois au Conseil supérieur de l'Audiovisuel (CSA). C'était très intéressant, j'ai travaillé sur la protection de l'enfance et de l'adolescence, je faisais beaucoup de visionnage pour savoir quelle signalétique appliquer aux programmes. Puis j'ai obtenu un autre stage de trois mois à France Télévision. Honnêtement je n'y ai rien appris. Nous étions deux stagiaires dans un bureau au fond d'un couloir et si nous ne demandions pas du travail, personne ne venait nous en donner !

Puis j'ai intégré Canal + en tant que stagiaire à l'occasion de la campagne présidentielle de 2007 : je m'occupais de comptabiliser le temps de parole des hommes politiques, données que j'envoyais chaque jour au CSA. De là j'ai obtenu mon premier CDD au pôle édition, à l'administration des contrats. J'établissais des contrats types d'achat de programmes, encadrée par une juriste. C'était un très bon moyen de commencer car à la Fac je n'avais jamais appris à lire ni à rédiger un contrat. Par la suite, j'ai été juriste sur la partie vidéo à la demande, téléphonie mobile, site Internet de la chaîne ; j’ai rejoint Studio Canal où je m'occupais de la gestion des droits vidéo ; enfin, je suis retournée chez Canal à l’édition où j’étais en charge des contrats pour la chaine TPS Star. Au total, j'ai enchainé onze CDD chez Canal + en quatre ans... On m'avait évoqué un CDI mais il n'est pas venu.

Après une période de chômage de huit mois, j'ai passé des entretiens dans des chaînes de TV mais systématiquement on me demandait pourquoi je n'avais pas été embauchée en CDI chez Canal +. Alors j'ai tenté les boîtes de distribution et de production mais on me disait que j'étais trop spécialisée dans la diffusion.

Le métier de juriste dans l'audiovisuel est-il porteur ? Comment avez-vous finalement été recrutée dans votre entreprise actuelle ?

Non, ce n'est pas évident de trouver du travail dans l'audiovisuel, c'est un petit milieu ; je pense que c'est encore pire aujourd'hui car, contrairement à mon époque où il y avait encore peu de Master en audiovisuel, aujourd'hui, il y en a beaucoup en presse, en médias. Et les candidats sont nombreux alors qu’il n’y a pas autant de poste que cela. Sur ma promotion, trois personnes enchaînent toujours les CDD depuis 2006. Dans les petites sociétés comme la mienne, il y a deux juristes, voire un seul. Et tout se passe à Paris. Même France 3, qui a plusieurs antennes sur le territoire, a centralisé son service juridique à Paris. Quant aux chaînes locales et aux journaux, ils n'en ont souvent pas. 

Il faut souligner que les recruteurs ont tendance à nous mettre « dans des cases » : « tu as fait de la TV donc tu ne peux pas faire de la production, de la distribution ». Heureusement, tous les employeurs ne raisonnent pas ainsi. En répondant à une annonce pour la société de distribution Free Dolphin Entertainement, j’ai eu la chance de rencontrer une chef d'entreprise très ouverte qui m’a donné ma chance. Ayant travaillé à l’étranger, elle n'avait pas du tout un management à la française. Selon elle, tout s'apprend et, pour prétendre à un poste, il n’est pas toujours indispensable d’avoir fait la bonne école, d’avoir obtenu le bon diplôme. Pour preuve, j’y suis depuis quatre ans !

En quoi consiste votre métier ? Que faîtes-vous au quotidien ?

Il n'y a pas de semaine qui se ressemble, c'est très varié.

Notre cœur de cible c'est le téléfilm, nous avons environ 500 titres dont 90% d'étrangers, essentiellement américains. Nous sommes neuf et c'est vraiment très intéressant de travailler dans une petite structure car, à la différence des grandes entreprises où chacun a sa tâche à faire et ne doit pas déborder sur le travail de son voisin, nous travaillons tous ensemble. Quand je suis arrivée, j'ai été très vite autonome. En travaillant dans une petite structure, vous vous responsabilisez plus rapidement que dans une grosse entreprise où il y a toujours quelqu'un pour relire ce que vous faîtes.

Aussi, je vois un peu tous les aspects, du scénario au casting jusqu'au moment où il va y avoir l'écriture puis la commercialisation du téléfilm, la vente. Ici au moins, je connais le produit que l'on va vendre ou acheter. Au quotidien, je fais aussi du visionnage de programmes pour soulager un peu les commerciaux. On se partage les tâches, tout le monde visionne pour déterminer à qui le programme peut être vendu. Toutefois si je peux faire des missions de commercial et aider certaines personnes, l'inverse n'est pas possible : un commercial ne rédige pas de contrat. Le juriste a une place importante dans une société parce qu'on ne le remplace pas.

En l'occurrence, je travaille avec deux commerciaux, l'un s'occupe de la France, l'autre de l'international et je prépare tous les contrats. Ainsi, je m'occupe des contrats de vente avec les chaînes de télévision françaises et étrangères à qui nous revendons les programmes, les contrats vidéos et VOD (vidéos à la demande). Je rédige les contrats d'acquisition entre les producteurs et l'entreprise, en anglais (contrat pour Taïwan, la Suède, mais ça peut être Hong Kong, l'Espagne ou l'Italie…). Sur la partie acquisition des téléfilms, lorsque c'est vraiment très complexe, c'est la responsable juridique qui s'en charge.

Quelle est l'évolution du secteur ?

Mon entreprise existe depuis vingt ans et travaille avec toutes les chaînes, hertziennes, TNT, câble ou satellite. À l'origine nous étions une société d'édition vidéo, mais il a fallu se diversifier en se lançant dans la télévision et, depuis 2013, dans la vente à l'international, dans la production, dans la VOD. Aujourd'hui il est impératif de réfléchir aux nouveaux modes de consommation de la TV.

Nous sommes l'un des plus gros indépendants en France. On connaît le besoin des chaînes de TV, on sait exactement le produit qu'ils recherchent. C'est donc nous qui allons négocier avec le producteur pour obtenir des droits, généralement sur 10 à 20 ans. Le problème aujourd'hui c'est que les chaînes ont énormément de stock et achètent moins qu'auparavant. Alors on commence à faire un travail d’agent, on prend des films en représentation qu'on vend pour la France et le monde. 

Nous sommes allés sur le marché de l'édition DVD même s'il n'a pas un avenir glorieux. On édite nous-mêmes ou on travaille avec des éditeurs vidéos et depuis quelques mois on s'est lancés dans la production de téléfilms pour les chaînes. Puisqu'on sait exactement le genre de téléfilms qu'elles recherchent, on s'est dit que nous pourrions les produire nous-mêmes et les leur vendre en direct. On fait donc de la coproduction avec des producteurs américain, canadien et belge. Et on tourne en Bulgarie car on souhaite faire un téléfilm européen. Les chaînes de TV ont un quota à respecter vis-à-vis du CSA et sont à la recherche d'œuvres européennes. C'est intéressant car on assure un travail complet : en collaboration avec des scénaristes, nous sommes à l’origine de l'histoire et participons au casting.

À quelles difficultés êtes-vous confrontés dans ce secteur ?

Au piratage des films que nous achetons. On le voit par rapport à notre chiffre. On se bat tous les jours contre ça en essayant par exemple de regarder ce qui est piraté. On envoie des tonnes de mails à YouTube, aux sites Internet qui diffusent illégalement nos téléfilms, pour leur dire de retirer la vidéo de leur site. Un jour on la supprime, une semaine après elle est revenue... C'est un combat sans fin.

Aussi, nous allons à la rencontre des responsables de YouTube qui essaient de lutter contre ce piratage. Ils ont mis en place un système d'empreinte numérique du film qui permet de bloquer la vidéo si une seule image du film apparaît. Mais cela a un coût. YouTube propose aussi la monétisation des films c'est-à-dire que plus ils vont être vus, plus le distributeur va gagner d'argent grâce à la publicité...

Éradiquer le piratage est donc extrêmement compliqué. Hadopi n'a pas vraiment fonctionné. La TV en pâti. Dans mon milieu, il faut sans cesse se poser la question de l'avenir, essayer d'anticiper. Il n'est pas exclu qu'on investisse un jour dans les webséries. En termes de droit c'est compliqué mais ce sont des formats qui fonctionnent. Si jamais demain, il y a vraiment une chaîne diffusée seulement sur Internet, ça peut être une option. L'important c'est d'essayer de se diversifier.

 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur ou pire souvenir d'étudiant ?

Le pire moment c'est le stress des examens. Maintenant que j'ai passé plein d'entretiens d'embauche, je me dis que c'était ridicule de stresser autant et que je préférerais repasser des examens.

Mon meilleur souvenir ce sont les personnes rencontrées à la Fac et avec lesquelles je suis toujours amie. Les moments de partage, d'entraide, les fous rires en amphi.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Ma série du moment c'est Super fun night. C'est l'histoire de Kimberly, une jeune avocate brillante, qualifiée d'« obèse ». Elle a énormément d'humour et arrive à séduire par son intelligence. Elle vit dans un appartement avec deux copines qui elles-mêmes ont des soucis notamment avec les garçons. Je trouve cette série super car l'héroïne est complètement décomplexée par rapport à son apparence physique et ça fait du bien.

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

Le respect de la vie privée, surtout de nos jours. J'ai l'impression que la vie privée est étalée partout et qu'il n'y a plus de respect, que c'est normal d'être hyper intrusif dans la vie des gens, à travers les réseaux sociaux mais pas seulement. On ne voit plus la limite entre ce qu'on pense être du respect et ce qui ne l'est pas, la plupart des gens aujourd'hui confondent. Un comédien, s'il marche dans la rue ou s'il est assis sur la banquette d'à côté, les gens considèrent que c'est totalement normal d'aller lui parler, de lui poser des questions. Sur Internet aussi, on a l'impression d'être pisté partout. Toutes les publicités apparaissent une fois qu'on a fait une recherche, c'est inquiétant de retrouver ça en navigant dans ses mails ou sur Facebook.

Carte d'identité du juriste dans l'audiovisuel

Si les formations pour devenir juriste dans l'audiovisuel fleurissent à travers l'hexagone depuis quelques années, les postes se font de plus en plus rares. Dans la promotion 2006 du Master 2 droit et métiers de l'audiovisuel qu'a fait Sophie Castellani, plusieurs sont devenus avocats, professeurs à la Faculté, une est directrice de casting, un régisseur, un scénariste et plusieurs travaillent pour le centre national du cinéma et de l'image animée (CAC) ou pour la société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). « Le droit mène à tout », conclut la juriste.

■ La formation et les conditions d'accès

Masters à Paris Assas, la Sorbonne, Aix-Marseille III, Toulouse 1...

■ Les domaines d'intervention

Droit de l'audiovisuel, droit des contrats, droit de la diffusion, droit commercial.

■ Le salaire

– 25 à 30 K€ en tout début de carrière.

– 35 à 40 K€ à 3-7 ans d'expérience.

■ Les qualités requises

Rigueur, aisance relationnelle, maîtrise de l'anglais, intérêt pour la télévision, connaissance des programmes TV, ouverture d'esprit, confidentialité, autonomie.

■ Les règles professionnelles

L'Association françaises des juristes d'entreprise (AFJE) a édicté un code de déontologie pour la profession, rendu public le 18 novembre 2014.

L'Association européenne des juristes d'entreprise (ECLA) a également adopté un code de déontologie européen du juriste d'entreprise.

■ Sites Internet

− Free Dolphin Entertainement : http://www.freedolphin.fr

− Téléjuris, le portail des juristes : http://telejuris.fr

− AFJE : http://www.afje.org/

− ECLA : http://www.ecla.org/

 

Auteur :A. C.


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