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[ 16 novembre 2015 ] Imprimer

A propos des contrats d’assurance vie en déshérence

C’est le 1er janvier 2016 que la loi Eckert n° 2014-617 du 13 juin 2014 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance vie en déshérence entre en vigueur. Son dispositif vise à renforcer les obligations pesant sur les sociétés d’assurance et établissements bancaires tenus de rechercher, au décès de leur client, les bénéficiaires des assurances vie qu’il a pu souscrire et de ses comptes bancaires. Ce volet législatif entend mettre un terme au scandale des contrats en déshérence et à la passivité des assureurs dans le traitement des dossiers (V. notamment J.-M. Levaux, audition devant les commissions des finances des assemblées parlementaires en tant que personnalité pressentie pour exercer les fonctions de vice-président de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution de la Banque de France (ACPR), oct. 2013).

Plusieurs dispositifs avaient pourtant déjà été mis en œuvre. C’est d’abord la loi du 15 décembre 2005 (C. assur., art. L. 132-9-2) qui a instauré un dispositif permettant au bénéficiaire potentiel d’un contrat d’assurance vie de s’adresser à un guichet unique (Agira 1 – Demande adressée à l’association Agira, chargée de la transmettre sous quinze jours à tous les assureurs. Lorsqu’un contrat existe, l’assureur est tenu d’en informer le bénéficiaire potentiel sous un mois). Dans ce cadre, 38 500 consultations ont été réalisés en 2012 (dont 45 % à la demande de notaires), 13 % seulement ont permis d’identifier des contrats pour lesquels le décès de l’assuré n’était pas connu de l’assureur pour un encours de 129 M€ (C. comptes, Les avoirs bancaires et les contrats d’assurance vie en déshérence, p. 96 s.).

C’est ensuite la loi du 17 décembre 2007 (C. assur., art. L. 132-9-3) qui a inversé le dispositif en faisant obligation aux assureurs de vérifier que leurs clients sont toujours vivants et si ce n’est pas le cas, de rechercher les bénéficiaires de ces contrats « dénoués par décès » (Agira 2). Pour ce faire, les assureurs ont accès au registre national d’identification des personnes physiques (RNIPP). Entre 2009 et 2012, 107 065 contrats pour lesquels le décès de l’assuré n’était pas connu de l’assureur ont été identifiés, pour un encours de 1,78 Md€ (C. comptes, Rapport, préc. p. 99).

Enfin la loi de séparation et de régulation des activités bancaires de juillet 2013 a fait obligation aux assureurs de vérifier au moins une fois par an les décès de leurs assurés en consultant le RNIPP.

Des obligations qui représentent un coût financier significatif, expliquant que les assureurs ne se soient pas préoccupés réellement du sujet en dépit de cette incitation législative. Autre explication avancée par la Cour des comptes à propos des comptes courants inactifs, l’application de frais de gestion annuels qui peut conduire la banque à prélever une partie importante des sommes inactives (préc., p. 46).

En juin 2013, la Cour des comptes a estimé que le montant de l’encours des contrats d’assurance vie et de capitalisation non réclamés pouvait s’évaluer à 2,76 Md€ minimum (préc., p. 19). Elle a conclu à une estimation basse du nombre réel de décès que la consultation du RNIPP aurait dû révéler. Ceci en raison des critères restrictifs retenus par les assureurs pour effectuer leurs recherches avec, notamment un ordre de priorité accordé aux contrats de plus de 2 000 euros, inactifs depuis plus de deux ans et dont l’assuré est âgé de plus de 90 ans (préc., p. 18).

Ce constat a conduit le Parlement à compléter encore le dispositif législatif. Avec la loi Eckert n° 2014-617 du 13 juin 2014 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance vie en déshérence, l’obligation de rechercher les ayants droit est étendue aux banquiers s’agissant de leurs comptes inactifs (comptes courant, épargne réglementée, livrets…). Ils doivent rechercher les titulaires de comptes décédés au moyen d’une consultation annuelle du répertoire national d’identification des personnes physiques et sont tenus de publier, chaque année, le nombre de comptes inactifs et le montant total des dépôts et avoirs concernés.

Ce nouveau dispositif doit permettre d’optimiser les recherches de bénéficiaires et un règlement rapide des successions. Ainsi, dans les quinze jours suivant la connaissance du décès par l’assuré (ou le terme du contrat), les assureurs doivent informer le bénéficiaire et procéder au versement. Cette démarche est facilitée par la possibilité qu’a l’assureur d’interroger l’administration fiscale afin d’obtenir les coordonnées d’un éventuel bénéficiaire.

Si ce versement n’est pas réalisé dans les délais impartis (et alors que toutes les pièces justificatives ont été adressées à l’établissement), des pénalités de retard correspondant au double du taux légal durant deux mois, puis au triple de ce taux sont infligées à l’assureur.

Qu’il s’agisse des contrats d’assurance-vie ou des comptes inactifs, obligation est faite aux établissements détenteurs de transférer, à l’issue d’un délai de dix ans à compter de la date de prise de connaissance du décès de l’assuré/du détenteur du compte, le montant de ces contrats à la Caisse des dépôts et consignations. Cette dernière est tenue d’organiser une « publicité appropriée » permettant d’identifier le souscripteur du contrat et doit, lorsque la demande lui en est faite, procéder au versement des fonds.

Si au bout de trente années (soit 20 ans après le dépôt auprès de la Caisse), aucun bénéficiaire n’a été trouvé, la Caisse des dépôts et consignations reverse à l’État le montant de ces dépôts. Ces fonds doivent alimenter le fonds de réserve des retraites (CGPPP, art. L. 1126-1, 5°).

La loi rappelle également l’obligation annuelle de consultation du RNIPP, pour tous les contrats sans critère d’âge ni de seuil minimal.

Lors d’une succession, les notaires auront également à consulter le Ficovie (fichier recensant les contrats d’assurance vie) et le Ficoba (fichier national des comptes bancaires).

Enfin, la loi prévoit un mécanisme de revalorisation post-mortem du capital garanti pour tous les contrats, même pour ceux qui ne comportent pas de valeur de rachat et interdit le prélèvement de frais de gestion (il n’est donc pas possible de prélever sur le versement du capital, les frais générés par les recherches menées par l’établissement pour retrouver le bénéficiaire de l’assurance vie).

Ces différentes étapes législatives témoignent de l’insuffisance des premières dispositions adoptées. Le coût représenté par ces recherches expliquait la réticence des assureurs à les réaliser. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution de la Banque de France a pris les mesures qui s’imposaient en sanctionnant les assureurs récalcitrants. Ainsi Allianz Vie, filiale française de l’assureur allemand Allianz a écopé d’un blâme et d’une amende record de 50 millions d’euros (Décision de la Commission des sanctions de l’ACPR du 19 déc. 2014) pour n’avoir pas mis en œuvre les efforts nécessaires pour identifier ses clients décédés et rechercher les bénéficiaires des contrats non réclamés. Même cause, même effet pour la CNP Assurances (31 oct. 2014, blâme et amende de 40 millions d’euros), Cardif assurance vie, filiale de BNP Paribas (7 avr. 2014, 10 millions d’euros) et Groupama GAN Vie (25 juin 2015, blâme et 3 millions d’euros).

On peut supposer que le risque financier encouru par les assureurs apparaissent désormais suffisamment dissuasif pour garantir aux nouvelles dispositions applicables une certaine effectivité. Au regard du montant des amendes susceptibles d’être infligées, on peut supposer que cela sera le cas. A suivre…

 

Dans le pire des cas, la déshérence profitera à l’État avec des montants dont on peut supposer qu’ils seront plus significatifs qu’ils n’ont pu l’être, la Cour des comptes avait chiffré ces montants à 49,3 M€ en 2012 au titre des comptes bancaires prescrits et 6,4 M€ entre 2008 et 2012 au titre des contrats d’assurance-vie prescrits (préc., p. 22).

 

Auteur :Stéphanie Damarey


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