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Le billet

[ 22 octobre 2013 ] Imprimer

Considérations critiques sur la décision du Conseil constitutionnel écartant l'exigence d'une « clause de conscience » des maires en matière de célébration du mariage de personnes du même sexe

En jugeant le 18 octobre dernier que la liberté de conscience ne justifiait pas qu'une « clause de conscience » soit accordée aux officiers d'état civil pour refuser de prononcer le mariage de personnes du même sexe, le Conseil constitutionnel a rendu une décision qui est fort loin d'emporter la conviction.

Entendons-nous, il ne s'agit pas ici d'une appréciation sur le bien-fondé de la solution retenue, avec laquelle nous aurions tendance à être d'accord, mais des motifs qui permettent au Conseil constitutionnel de parvenir à cette solution.

Pour point de départ de cette analyse critique, on peut utiliser un instrument intellectuel très simple et qui doit toujours guider le juriste qui interprète une décision de justice (comme d'ailleurs à notre sens celui qui la rédige). Cet instrument se résume en un mot : « pourquoi ? ».

Relisons donc cette décision à l'aune de cette question : « pourquoi la liberté de conscience n'impose-t-elle pas que soit établie une clause de conscience au profit des officiers d'état civil relativement à la célébration du mariage de deux personnes du même sexe ? ».

Force est alors de constater qu'il n'y a pas de réponse à ce « pourquoi ? », si ce n'est à la fin du considérant 10 de la décision : « qu'eu égard aux fonctions de l'officier de l'état civil dans la célébration du mariage, il [le législateur] n'a pas porté atteinte à la liberté de conscience ».

Quant aux fonctions de l'officier d'état civil, elles sont rappelées aux considérants 8 et 9 par une série de citation de textes, sans qu'aucune ratio legis dans le domaine de la liberté de conscience n'en soit déduite.

Bref, à la seule lecture de la décision il est impossible de comprendre pourquoi la définition des fonctions d'officier d'état civil prohibe cette clause de conscience.

Cette absence de justification est d'autant plus critiquable que le Conseil constitutionnel a déjà admis dans d'autres domaines liés à des fonctions publiques la constitutionnalité d'une clause de conscience. Tel est en particulier le cas dans sa décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001 sur la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et à la contraception.

Répondre à la question « pourquoi ? » supposait donc d'expliquer en quoi la situation de l'officier d'état-civil était différente de celle du médecin hospitalier qui lui a le droit de refuser de pratiquer un acte pourtant reconnu en droit par des dispositions législatives.

Si l'on veut trouver une esquisse de réponse à ces questions, c’est non pas à la décision du Conseil constitutionnel qu'il faut se référer, mais à son « commentaire » mis en ligne par la juridiction en même temps que la décision elle-même.

Ici, on lit « Premièrement, il résulte des articles L. 2122-27 et L. 2122-32 du CGCT que le maire, officier de l’état civil, est un officier public agissant au nom de l’État pour l’accomplissement d’une mission de service public qui consiste à assurer l’application et le respect de la loi en matière d’état civil. Le respect de la loi est inhérent à la fonction de l’officier de l’état civil.

Deuxièmement, le principe de neutralité du service public s’oppose à ce qu’un maire puisse s’abstenir, pour des motifs philosophiques ou religieux, d’accomplir un acte auquel il est légalement tenu, tout en conservant sa fonction (…). 

Troisièmement, l’acte accompli est un acte juridique qui n’implique pas la conscience de son auteur dans des conditions comparables à l’acte de diagnostic ou thérapeutique du médecin (a fortiori l’IVG). Il y a des particularités dans l’accomplissement de l’acte médical qu’on ne retrouve pas dans les missions de l’officier de l’état civil ».

Ces justifications posent quatre séries de questions, qui sont autant de critiques.

1 – D'abord, force est de constater que la réponse au « pourquoi ? », est loin d'être complète, même ainsi précisée par le commentaire. On voudrait ainsi savoir « pourquoi » un acte juridique n'implique pas la conscience de son auteur dans les mêmes conditions qu'un acte médical ?

Certes on peut bien comprendre ce qui sous-tend cette logique : l'activité juridique serait moins impliquante psychologiquement que l'intervention sur le vivant. Mais on peut sérieusement critiquer cette assertion car elle revient en définitive à faire de l'activité de « bureau » une activité publique moindrement investie que l'activité matérielle et partant soumise à des contraintes morales moins importantes.

2 – Ensuite, on est amené à constater que ces justifications sont puisées dans des dispositions dont seule la valeur législative est affirmée, ce qui pose un sérieux problème de hiérarchie des normes : comment peut-on écarter la critique tirée de l'inconstitutionnalité d'une loi sur la base de dispositions législatives ? On aurait parfaitement pu considérer que ces dispositions législatives, en tant précisément qu'elles ne permettaient pas cette clause de conscience étaient elles-mêmes frappées de la même inconstitutionnalité. La logique juridique aurait voulu que l'on affirmât que certaines de ces dispositions législatives avaient, en réalité, une valeur constitutionnelle (ce qui était sans doute le cas), pour pouvoir asseoir la solution.

3 – Ensuite toujours, il faut faire remarquer qu'il existe un point obscur dans la décision, lié à l'absence de mention de l'existence, en fait sinon en droit, d'une clause sinon de conscience, du moins d'abstention de la célébration du mariage par les officiers d'état civil. On sait, en effet, que les dispositions du CGCT prévoient que le maire et tous les adjoints sont conjointement officiers d'état civil. Dès lors il est parfaitement loisible à un de ces officiers de demander à un de ses collègues de célébrer un mariage qu'il ne souhaite pas célébrer lui-même. Et la pratique montre que ses « déports » sont très fréquents. Le silence de la décision sur ce point ouvre dès lors une alternative : peut-on considérer que cette pratique peut continuer d'être mise en œuvre ou bien faut-il au contraire considérer qu’un maire ou un adjoint qui invoquerait une clause de conscience pour demander à un de ses collègues de procéder à la célébration en ses lieux et place commettrait ipso facto un manquement à ses obligations ?

4 – Enfin, et d'une manière plus générale, si l'on peut effectivement admettre qu'une juridiction explicite la portée de ses solutions dans un « commentaire » qui les rend accessibles à un public plus large qui n'est pas informé du vocabulaire technique de la motivation des décisions de justice, force est de constater que nous sommes ici très au-delà du commentaire puisque de toute évidence celui-ci ajoute à la décision des éléments qui ne sont absolument pas contenus dans celle-ci.

Or une telle manière de procéder n'est pas acceptable : c'est la décision de justice, et elle seule, qui doit contenir, en vertu de l'exigence de motivation, les justifications de la solution qu'elle énonce. Il ne doit pas se former une « jurisprudence du commentaire » lequel, aussi informé soit-il, n’est revêtu d'aucune des formes ou des garanties liées au prononcé de la décision.

Cette pratique du Conseil constitutionnel a déjà maintes fois été critiquée sans succès, y compris par l'auteur de ces lignes (v. not. Denis Baranger). Il faudrait aujourd’hui que le Conseil constitutionnel assume, spécialement depuis l'avènement de la QPC qui suppose un contrôle plus concret que celui exercé dans le cadre de l'examen a priori de la constitutionnalité des lois, de renoncer à cette rédaction hyper formaliste de ses décisions qui dissimule tous les enjeux et toutes les motivations qui les fondent.

À défaut le Conseil constitutionnel s'expose à ce que sa jurisprudence soit moins comprise et acceptée que celle des institutions comparables dans les autres systèmes juridiques et à rester en deçà des standards qui permettent de reconnaître internationalement les grandes juridictions constitutionnelles.

Références

■ Cons. const. 18 oct. 2013, M. Franck M. et autres, n° 2013-353 QPC, Dalloz Actu Étudiant 21 oct. 2013.

http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/download/2013353QPCccc_353qpc.pdf

■ Cons. const. 27 juin 2001, n° 2001-446 DC.

■ Denis Baranger, Sur la manière française de rendre la justice constitutionnelle, Jus politicum n°7.

■ Code général des collectivités territoriales.

Article L. 2122-27

« Le maire est chargé, sous l'autorité du représentant de l'État dans le département :

Article L. 2122-32

« Le maire et les adjoints sont officiers d'état civil. »

 

Auteur :Frédéric Rolin


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