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Le billet

[ 24 avril 2012 ] Imprimer

De la notation des copies et de ses rapports complexes avec le droit des marchés publics (Billet où l'on ne parle pas des élections présidentielles)

Ayant dû corriger, le pistolet sur la tempe, un paquet de près de 150 copies de droit de l’urbanisme au cours des derniers jours, j'ai été amené, comme tous mes collègues et amis qui s'adonnent au même plaisir subtil de l'annotation de papier de couleur au coin cacheté à m’interroger sur « ce que je note ».

Il ne s'agit pas ici, du moins directement, de la banale interrogation sur le point de savoir si je suis ou non sévère dans ma notation, mais de celle de comprendre par quelle opération je traduis en une note chiffrée le contenu d'une copie.

Mais cette méditation, en ce qui me concerne, entre en résonance avec une matière du droit public économique à laquelle j'ai la faiblesse de m'adonner de temps à autre : le droit des marchés publics.

En effet, depuis que le droit communautaire des marchés publics à largement pénétré notre droit national voilà que l'administration pour choisir « l'offre économiquement la plus avantageuse » parmi les différentes entreprises qui ont soumissionné, doit s'appuyer sur des critères « liés à l'objet du marché », lesquels doivent être pondérés et surtout doivent être mentionnés, ainsi que leur pondération, dans les avis d'appels publics à la concurrence.

En clair l'entreprise qui soumissionne saura à l'avance ce sur quoi elle sera notée et quels sont les points de son offre qui seront les plus importants pour le choix final.

La jurisprudence a ajouté à cela que les critères ne doivent pas laisser une trop grande part de pouvoir d'appréciation à l'administration. Ainsi un critère « esthétique » pour le choix de mobilier urbain, doit être précisé car énoncé aussi brièvement il laisse entière l'appréciation de l'administration.

Si l'on en revient à nos copies, on se rend compte que le système de notation académique repose sur un dispositif exactement inverse : les critères de notation ne sont pas révélés, leur pondération et la matière dont ils sont appréciés, pas davantage, la subjectivité du correcteur n'est pas encadrée.

Bref, là où l'administration est placée dans un système de contrôle certes formel mais contrôle néanmoins, le correcteur est lui entièrement libre de son cadre de référence et de la manière dont il l'appréhende.

Cette différence de traitement des entreprises et des étudiants appelle plusieurs séries d’observations.

On constatera d'abord que l'une des différences fondamentale provient de ce que la notation des étudiants se présente comme une notation absolue, qui note une copie par rapport à une échelle de perfection, alors que la notation des entreprises est relative : elle vise à classer les offres entre elles sans se préoccuper de savoir si aucune d'elle n’atteint la perfection.

Pourtant, et c'est une deuxième remarque importante, on peut se demander si la notation des étudiants est véritablement une notation absolue : cette échelle de perfection se déploie bien évidemment dans un contexte spécifique. Par rapport aux attentes du cours et de son enseignant, comment l'étudiant a-t-il rempli les attentes que l'on peut attendre de tout étudiant placé dans la même situation.

Troisième point : le fait que l'étudiant ne connaisse pas les critères de notation avant de passer l'examen a sans doute une influence sur la manière dont il révise, et réalise ses épreuves : il est lui aussi amené à se référer à un idéal type, celui de l'idée qu'il se fait de la somme de connaissances et de raisonnements qu'il est nécessaire de mettre en œuvre pour escompter atteindre un certain résultat.

Autrement dit, la notation en valeur absolue sur des critères non déterminés entraîne des stratégies d'acteurs qui reposent sur des échelles implicites et peu satisfaisantes.

Ne vaudraient-ils pas mieux s'inspirer du droit des marchés publics, en considérant que les étudiants ont droit d'avoir une information sur la manière dont ils seront notés et peut-être même un droit d'être notés de manière relative et non absolue, en considérant qu'il n'existe pas des copies plus ou moins idéales et des étudiants plus ou moins parfaits mais des objectifs à atteindre, des attentes à remplir et cela en relation avec le niveau général d'un groupe ?

Je livre cela à votre réflexion sans prétendre conclure, sinon en soulignant que l’exercice de correction de copies auquel il m'a été donné de me livrer m'a une fois encore donné le sentiment d'un système qui mériterait d'être repensé et réformé.

 

Auteur :Frédéric Rolin


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