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Environnement et développement durable : éthique ou rhétorique ?
La discrétion des candidats à la présidence sur la question écologique a été remarquée. L’objectif n’est pas ici de débattre au fond et en détails de la protection de l’environnement et de la promotion du développement durable (sur ce point v., C. Aubertin et M.-P. Blin-Franchomme, I. Desbarrats, G. Jazottes et V. Vidalens), mais de poser une question citoyenne au lendemain de la semaine annuelle, qui s’est déroulée au début du mois d’avril, consacrée à la célébration du développement durable : l’environnement et le développement durable relèvent-ils d’une ambitieuse éthique économique ou ne sont-ils qu’une nouvelle preuve de la rhétorique trompeuse instrumentalisée par le marché et par les entreprises ?
▪ En théorie : l’éthique
La protection de l’environnement et la promotion du développement durable constituent une nouvelle forme d’éthique économique tant en termes de production que de consommation. La protection de l’environnement a d’abord été perçue par le monde du marché comme une restriction à la liberté d’entreprendre et à la libre concurrence. Le débat d’idées a rapidement laissé sa place à un débat d’experts discutant des effets réels ou non de certains produits ou comportements sur l’environnement : gaz à effet de serre et incidences sur la couche d’ozone, danger pour la santé et l’agriculture naturelle des produits OGM, effets néfastes de certains médicaments… Puis, prenant conscience de la difficulté à penser une société de consommation sans la collaboration du marché qui en est une composante nécessaire, le discours écologique a évolué. L’objectif n’a plus été d’imposer un environnement sain au détriment de l’activité économique et des libertés économiques mais de concilier les valeurs que véhicule le marché avec celles de l’écologie et de la dignité humaine. L’intérêt général est devenu tout autant économique qu’écologique.
C’est dans cet esprit qu’apparaît, dans les années 1970, la notion de développement durable qui s’appuie sur l’idée qu’il faut, pour les générations présentes et les générations futures, concilier la protection de l’environnement, le développement économique et le progrès social.
Le droit, droit dur ou droit souple (self-service normatif selon l’expression d’A. Supiot), a évolué depuis une quarantaine d’années afin d’intégrer dans les politiques publiques cette dialectique entre protection de la nature, de l’homme et de l’activité économique. Surtout, l’idée a été d’inciter les entreprises à s’engager dans cette politique, à prendre leur responsabilité. Les incidences de l’activité des entreprises ne sont pas purement économiques mais aussi sociales et environnementales. Naît alors le concept de responsabilité sociétale ou sociale de l’entreprise qui désigne « l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et dans leurs relations avec les parties prenantes » (Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, COM (2001), 366, final). L’activité des entreprises est alors évaluée au moyen de trois capteurs, selon le concept du « triple bottom line » : la performance économique, la performance sociale et la performance environnementale. Nombre de règles imposées ou acceptées sont adressées aux entreprises qui sont « socialement » responsabilisées. Quant au développement durable, il bénéficie aujourd’hui d’une consécration formelle intégrant la norme fondamentale. En effet, après avoir été consacré par la loi Barnier du 2 février 1995 (art. L. 110-1-II C. env.), il a été sacralisé après l’introduction de la Charte de l’environnement au rang de texte constitutionnel. Son 7e considérant se réfère au développement durable et l’article 6 de la Charte dispose que « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable (…) ». Enfin, les lois Grenelle I n° 2009-967 du 3 août 2009 et Grenelle II n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement ont intensifié le mouvement. Cette responsabilité sociale des entreprises a été récemment renforcée par un décret n° 2012-557 du 24 avril 2012, relatif à leurs obligations de transparence en matière sociale et environnementale, décret finalement publié malgré la pression exercée par les représentants des entreprises. On peut encore citer, en droit interne, la proposition de loi de B. Retailleau en faveur d’un nouvel article 1382-1 du Code civil consacrant la réparation du dommage à l’environnement (v. F. Rome). L’Europe s’est engagée de son côté dans ce processus avec l’intégration du développement durable dans les politiques communautaires (art. 6 du traité sur l’Union européenne par exemple) et par la mise en place d’une stratégie de développement durable de l’Union européenne dès 2009. Le développement durable est devenu un « enjeu global » (v. F.-G. Trébulle).
Le thème est enthousiasmant. Pour preuve encore, la proposition d’une nomenclature des préjudices environnementaux (v. L. Neyret et Gilles J. Martin), le débat qui a eu lieu le 3 mai 2012 – les cafés du droit – organisé par l’école des Hautes études appliquées de droit ou encore les initiatives d’une association qui promeut le droit au bonheur (v. not. L’observatoire international du bonheur<cite>)</cite>.
Que de bonnes intentions, sur le plan théorique, pour « moraliser » l’activité économique. En revanche, les actes eux laissent plus dubitatif. En pratique, le développement durable reste au rang bien peu valorisant de rhétorique séduisante mais souvent trompeuse.
▪ En pratique : la rhétorique
Les nombreux incidents nucléaires relativisés par les pouvoirs publics (par ex. l’incendie du réacteur Penly en Seine-Maritime), l’exploitation du gaz de schiste qui revient au programme des instances européennes à la demande appuyée de certains pays tels que la Pologne, le détournement d’espaces naturels sensibles par certains élus locaux dans un intérêt égoïste, la remise en cause probable du préjudice écologique dans l’affaire Erika… Tous ces exemples confirment que la balance penche trop souvent du côté économique et que le développement durable demeure parfois un vain mot.
Surtout, le rapport de force entre les puissantes et influentes entreprises et les défenseurs du développement durable est souvent déséquilibré. Pour ne prendre qu’une seule illustration, il suffit de se référer à la récente réglementation de la publicité par la loi Grenelle II qui a subi les influences occultes et donc illégitimes de nombreux lobbyistes de la publicité.
Rappelons brièvement les origines de cette polémique. La loi « Grenelle 2 » du 12 juillet 2010 entendait, conformément au Grenelle de l’environnement, lutter contre la prolifération des panneaux publicitaires qui défiguraient l’ensemble du paysage français. Ces panneaux pouvaient même être installés dans les parcs naturels régionaux (PNR), les secteurs sauvegardés, les zones de protection du patrimoine urbain et paysager, etc. La loi avait prévu un certain nombre de restrictions auxquelles les entreprises publicitaires devaient se soumettre dans un délai initial de deux années. Les entreprises de publicité avaient alors dénoncé une mesure qui menacerait plus de 15 000 emplois. Un décret n° 2012-118 du 30 janvier 2012 relatif à la publicité extérieure, aux enseignes et aux préenseignes a été publié et a vidé la loi d’une grande partie des engagements qui avaient été pris lors du Grenelle de l’environnement. Surtout, le scandale est venu de la loi Warsmann de simplification du droit et des démarches administratives du 22 mars 2012 (L. n°2012-387) qui comportait un amendement discret de dernière minute qui a rallongé le délai de mise en œuvre, passé de 2 à 6 ans. Valable tant pour la réglementation nationale qu’au niveau local, ce nouveau délai est venu bouleverser les prévisions de certaines villes telles que Paris qui avait voté son nouveau règlement local en juin 2011, prévoyant de réduire en 2013 de 30 % la publicité extérieure notamment en supprimant plus de 920 panneaux 4 x 3. Cela ne sera plus possible avant 2017. Au-delà de l’environnement, c’est ce type de lois « fourre-tout » qu’il faut condamner car elles font la part belle aux lobbyistes.
Le droit de l’environnement et du développement durable n’est pas pour l’instant un droit suffisamment pris au sérieux. La célèbre formule de François Mauriac peut modestement servir de guide : « Il ne sert à rien à l’homme de gagner la lune s’il vient à perdre la Terre » (Fr. Mauriac). En attendant, à l’heure actuelle, les impératifs économiques continuent de guider les pas du législateur : la rhétorique l’emporte encore sur l’éthique !
Références
■ C. Aubertin, Le développement durable : enjeux politiques, économiques et sociaux, La Documentation française, 2010.
■ M.-P. Blin-Franchomme, I. Desbarrats, G. Jazottes et V. Vidalens, Entreprise et développement durable, Lamy Axe Droit, 2011.
■ A. Supiot, « Du nouveau au self-service normatif : la responsabilité sociale des entreprises », in Études J. Pélissier, Dalloz, 2004, p. 52.
■ F. Rome, « Allez les Verts ! », D. 7 juin 2012, n° 22, édito.
■ F.-G. Trébulle, « Le développement durable, un enjeu global », Cah. Dr. entr. 2010, Fasc. 3, spéc. 21.
■ L. Neyret et Gilles J. Martin, « Entretien », D. 2012. 1256.
■ Fr. Mauriac, Bloc-notes, « Lundi 21 juillet 1969 », Éd. du Seuil, 1993.
■ Article L. 110-1 du Code de l’environnement
« I. - Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l'air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation.
II. - Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leur gestion sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants :
1° Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ;
2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable ;
3° Le principe pollueur-payeur, selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ;
4° Le principe de participation, selon lequel chacun a accès aux informations relatives à l'environnement, y compris celles relatives aux substances et activités dangereuses, et le public est associé au processus d'élaboration des projets ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire.
III. - L'objectif de développement durable, tel qu'indiqué au II, répond, de façon concomitante et cohérente, à cinq finalités :
1° La lutte contre le changement climatique ;
2° La préservation de la biodiversité, des milieux et des ressources ;
3° La cohésion sociale et la solidarité entre les territoires et les générations ;
4° L'épanouissement de tous les êtres humains ;
5° Une dynamique de développement suivant des modes de production et de consommation responsables.
IV. - L'Agenda 21 est un projet territorial de développement durable. »
■ Charte de l'environnement de 2004
Article 4
« Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi. »
« Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. »
■ Article 6 du traité sur l’Union européenne (ex-article 6 TUE)
« 1. L'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu'adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités.
Les dispositions de la Charte n'étendent en aucune manière les compétences de l'Union telles que définies dans les traités.
Les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte sont interprétés conformément aux dispositions générales du titre VII de la Charte régissant l'interprétation et l'application de celle-ci et en prenant dûment en considération les explications visées dans la Charte, qui indiquent les sources de ces dispositions.
2. L'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités.
3. Les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux. »
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