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[ 3 novembre 2014 ] Imprimer

Faites un effort, mangez du porc ! L’affaire de la cantine municipale de Lagny-le-Sec

La saga du menu des cantines scolaires s’est récemment enrichie d’un nouvel épisode. La mairie de Lagny-le-Sec a décidé de jouer un tour de cochon à certains de ses électeurs en modifiant les menus de la cantine scolaire qui n’offrent plus de choix lorsque du porc est servi aux élèves. Cinq fruits et légumes par jour et du porc une fois par semaine, tel est en quelque sorte le nouveau régime alimentaire de cette commune. Au lendemain de cette annonce, deux camps se sont, comme à l’habitude, formés : celui des « cochonnards » et celui des « anti-cochonnards ». Afin de clarifier le débat et d’éviter toute polémique totalement infondée et contreproductive, il faut revenir aux principes juridiques trop souvent malmenés par ceux qui, de manière démagogique, saisissent cette occasion pour défendre des positions extrémistes.

Il convient de rappeler au profit des deux camps que les plats de substitution proposés à l’école ne relèvent pas du principe de laïcité et que l’absence de plats de substitution ne peut absolument pas être analysée comme une atteinte à la liberté religieuse.

 L’existence de plats de substitution à la viande de porc ne relève pas du principe de laïcité contrairement à ce que soutient le maire de la commune de Lagny-le-Sec. En effet, à la suite d’une décision du conseil municipal du 23 juin 2014, le maire a envoyé une lettre aux habitants au sein de laquelle on pouvait lire que les élus avaient décidé de « supprimer l'offre de repas répondant à des convictions philosophiques ou religieuses » car « la cantine est un lieu soumis au principe de laïcité. C'est cet esprit et ces seules considérations qui ont guidé la réflexion, [...] au nom de la confidentialité des opinions de chacun ».

Brandir le principe de laïcité rappelle l’argument soulevé en avril 2014 par la présidente du Front National qui promettait de supprimer tout menu alternatif dans les communes gagnées par les élus d’extrême droite. Pourtant, le principe de laïcité rattaché au principe de neutralité du service public, principe à valeur constitutionnelle (Const., art. 1er) et principe fondamental reconnu par les lois de la République, n’est pas du tout concerné. 

Comme l’a très pertinemment rappelé Jean-Louis Bianco, en qualité de président de l’Observatoire de la laïcité, dans un communiqué du 24 octobre 2014, « si aucune obligation ne contraint la commune dans le cadre d’un service facultatif, (…) cependant (…) la laïcité ne saurait être invoquée pour refuser la diversité de menus ». Au président de renvoyer alors au guide « Laïcité et collectivités locales », qui « rappelle ainsi que les cantines scolaires proposent généralement une diversité de menus, avec ou sans viande. Cette offre de choix ne répond pas à des prescriptions religieuses mais à la possibilité pour chacun de manger ou non de la viande tout en empêchant la stigmatisation d’élèves selon leurs convictions personnelles ». Contrairement à ce que soutient le maire, c’est donc l’absence de menu de substitution qui pourrait être à l’origine d’une stigmatisation des élèves et non le contraire.

Si l’existence d’un plat de substitution n’est en aucun cas une atteinte au principe de laïcité, l’absence d’une telle alternative ne constitue pas pour autant une atteinte à la liberté religieuse.

■ Par Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales (JO 17 août), il a été transféré aux collectivités territoriales (conseil municipal et conseil général selon les types d’établissement) la pleine compétence en matière de restauration scolaire.

Une circulaire du 20 août 2011 du ministère de l’Intérieur rappelle en ce sens que « la cantine scolaire est un service public facultatif » et que « le fait de prévoir des menus en raison de pratiques confessionnelles ne constitue ni un droit pour les usagers ni une obligation pour les collectivités ».

Le juge des référés du Conseil d’État a jugé en ce sens que l’absence de repas de substitution ne méconnaissait pas la liberté religieuse (CE 25 oct. 2002, Commune d’Orange). Le tribunal administratif de Marseille avait déjà jugé le 1er octobre 1996 (n° 96-3523) qu’il n’existe aucune obligation pour les communes de mettre en place des menus adaptés pour tenir compte des prescriptions ou d’interdits alimentaires religieux, le choix relevant de la compétence du conseil municipal.

Manifestement, le maire de Lagny-le-Sec a le droit de son côté.

Cependant, n’est-ce pas une vision quelque peu dogmatique de la situation ? Pourquoi est-on aussi réfractaire au choix de mesures qui relèvent d’accommodements raisonnables, choix fait en outre par la majorité des cantines françaises ? Ces mesures ne constituent aucunement une atteinte au principe de laïcité qui respecte toutes les religions et ne constitue pas un principe anti-religion.

Au-delà des convictions religieuses, refuser un plat de substitution, c’est stigmatiser les enfants qui ne mangent pas de porc par conviction personnelle ou religieuse. Le Défenseur des droits recommande timidement d'afficher les menus à l'avance afin de permettre aux parents de prévoir les jours de présence de leur enfant. Mieux encore, une note de service du 21 décembre 1982 prévoit la possibilité de prendre en compte les « habitudes et coutumes alimentaires familiales, notamment pour les enfants d’origine étrangère » pour édicter des menus (note de service n° 82-598). Certes une note de service n’est pas une source de droit mais elle témoigne d’une volonté appréciable de privilégier une approche pragmatique et non dogmatique du principe de laïcité.

Le principe de laïcité s’oppose, à raison, à ce qu’on puisse imposer la distribution de viande hallal ou cacher dans les cantines municipales. En revanche, ce principe peut et doit servir à fonder des mesures qui respectent les convictions de chacun et faciliter ainsi le vivre ensemble.

Références

 CE 25 oct. 2002, Commune d’Orange, n°251161.

■ Article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.

La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales. »

■ Guide Laïcité et collectivités locales : http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2014/07/guide_laicite_et_collectivites_locales.pdf

 

Auteur :Mustapha Mekki


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