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« Jeu de roumains, jeu de vilains » : de la délinquance juvénile à la délinquance roumaine
« Jeu de roumains, jeu de vilains », telle est la contre-vérité que le ministre de l’Intérieur Claude Guéant tente d’introduire dans l’esprit des Français. Et malheureusement, ce discours de campagne semble fonctionner. En rattachant certaines infractions à une communauté, le ministre adopte un discours sécuritaire et laisse croire que « tous les chemins mènent aux Roms », ce qui constitue un jeu dangereux.
Rappelons brièvement les faits à l’origine de cette polémique.
Tout a commencé en juillet 2010 lorsqu’une gendarmerie de Saint-Aignan a été attaquée par une cinquantaine de gens du voyage. Au lendemain de cet incident et à la demande de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, alors ministre de l’Intérieur, part en croisade, amalgamant au passage délinquance/Roms/Roumains. Il affirmait alors : « aujourd’hui, à Paris, la réalité est que près d’un auteur de vol sur cinq est un Roumain ». Ce discours de « la réalité » s’appuie sur une batterie de chiffres non vérifiés dont l’effet sur la population est très efficace. La délinquance des Roumains a augmenté de 259 % en 18 mois. Après une succession de discours stigmatisant les Roumains, la France est montrée du doigt par l’ONU et le pape et se fait taper sur les doigts par Bruxelles. Rien n’y fait apparemment car le nouveau et actuel ministre de l’Intérieur Claude Guéant prend le relais et, à partir du mois de juin 2011, multiplie les discours sur les Roumains en s’appuyant sur une série de pourcentages à partir desquels une seule conclusion semble s’imposer : « ils sont fous ces Roumains » ! En effet, pour renforcer son discours démagogue, le ministre use et abuse de la dictature des chiffres invérifiables. Il est d’ailleurs étrange qu’il puisse obtenir des détails sur les infractions selon les nationalités. En effet, les seules distinctions officielles et régulières opposent les délinquants étrangers et français et aucun classement par nationalité n’existe. Selon Claude Guéant, dans un discours du 29 août 2011, « Près de 1 200 ressortissants roumains ont été déférés devant la justice (…) pour les sept premiers mois de l’année à Paris. Les délinquants roumains représentent un déféré sur dix dans la capitale ». 2 % de la délinquance en France est d’origine roumaine et cette délinquance a augmenté de 72,4 % au premier semestre 2011 en région parisienne. Surtout, les mineurs roumains sont la cible privilégiée de notre cher ministre, mineurs qui constitueraient près de la moitié des délinquants. Cette suite de chiffres donne une sensation de vertige !
Pour lutter contre cette délinquance juvénile venue de l’Est, le ministre a annoncé, lundi 26 septembre 2011, la mise en place d’un « plan de lutte contre les jeunes roumains ». Ce plan consiste à interdire la mendicité aux Champs-Élysées, à installer un magistrat de liaison roumain à Paris pour organiser le rapatriement des mineurs, à restituer les enfants à leur famille et à procéder à leur expulsion.
Alors qu’une politique pénale pour lutter efficacement contre la délinquance dans les grandes villes françaises serait la bienvenue, le ministre se contente d’une entreprise de communication à quelques mois des élections. Il ne peut, en effet, ignorer que juridiquement l’ensemble des mesures préconisées est irréalisable. Les obstacles sont tant de nature internationale qu’interne. La Convention internationale sur les droits de l’enfant s’y oppose, tout d’abord. En effet, l’article 3 1° stipule « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ». Cette stipulation s’oppose à l’automaticité des sanctions que préconise notre ministre de l’Intérieur. Les enfants roumains sont des enfants, souvent victimes, avant d’être des délinquants. En droit interne, le relais est assuré, principalement, par deux dispositions du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : les articles L. 511-4 et L. 521-4. L’article L. 511-4 1°, modifié par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, dispose que « ne peuvent faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, l’étranger mineur de dix-huit ans (…) ». L’article L. 521-4 prévoit pour sa part que « L’étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l’objet d’une mesure d'expulsion ». En outre, le ministre évoque la remise des enfants délinquants roumains aux services de l’enfance roumaine. Un accord existait entre la France et les autorités roumaines, signé en 2002 et modifié en 2007, qui organisait le retour en Roumanie des mineurs isolés. Cet accord a été censuré par une décision du Conseil constitutionnel du 4 novembre 2010 pour violation de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En ne prévoyant aucun moyen de recours pour les mineurs expulsés, cet accord « méconnaît le droit du mineur ou de toute personne intéressée à exercer un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 ».
La France risque de s’exposer, en outre, aux foudres du Comité européen des droits sociaux qui a pour mission de juger la conformité du droit et de la pratique des États parties à la Charte sociale européenne et qui, dans le cadre de réclamations collectives, peut prendre des décisions contre les États. Trois procédures engagées contre la France sont actuellement en cours de traitement :
– une première a été engagée le 15 novembre 2010 par le Centre sur les droits au logement et les expulsions (COHRE) pour discriminations contre les Roms. (v. décision de recevabilité) ;
– la deuxième a été mise en œuvre le 28 janvier 2011 par le Forum européen des Roms et des gens du voyage pour violation de la Charte sociale européenne suite à une série d’expulsions massives et forcées de Roms (v. décision de recevabilité) ;
– la troisième et dernière vient de Médecins du Monde international le 19 avril 2011 qui juge que les politiques publiques françaises constituent une « discrimination indirecte » envers la communauté Rom, violant encore la Charte sociale européenne (art. E ; v. décision de recevabilité).
Les différents discours du ministre de l’Intérieur n’ont rien de juridique. Il s’agit d’un discours politique de campagne qui s’appuie sur un outil dont l’Histoire a révélé les dangers : celui du bouc émissaire.
En créant une catégorie d’infractions identitaires et communautaristes et en se focalisant sur les mineurs, on s’attaque au bas de l’échelle de la délinquance alors que la véritable cible se situe en amont, dans l’existence d’une organisation mafieuse qui exploite ces enfants. Les responsables politiques de l’immigration pourraient alors tirer les leçons d’un proverbe roumain : « Un escalier se balaie en commençant par le haut ! »
Références
■ Article 3 de la Convention internationale sur les droits de l’enfant
« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.
2. Les États parties s'engagent à assurer à l'enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.
3. Les États parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l'existence d'un contrôle approprié. »
■ Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile
« Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français :
1° L'étranger mineur de dix-huit ans ;
2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ;
3° (Abrogé)
4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention "étudiant" ;
5° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;
6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ;
7° L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ;
8° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est marié depuis au moins trois ans avec un ressortissant étranger relevant du 2°, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage ;
9° L'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % ;
10° L'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé ;
11° Le ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ainsi que les membres de sa famille, qui bénéficient du droit au séjour permanent prévu par l'article L. 122-1. »
« L'étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l'objet d'une mesure d'expulsion. »
■ Cons. const. 4 nov. 2010, n° 2010−614 DC, Loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et la Roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire français.
■ Article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
« Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »
■ Article E de la Charte sociale européenne révisée – Non-discrimination
« La jouissance des droits reconnus dans la présente Charte doit être assurée sans distinction aucune fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'ascendance nationale ou l'origine sociale, la santé, l'appartenance à une minorité nationale, la naissance ou toute autre situation ».
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