Actualité > Le billet

Le billet

[ 4 novembre 2013 ] Imprimer

La perpétuité réelle

Ariel Castro était mieux connu sous le nom du tortionnaire de Cleveland. Pendant de nombreuses années, il avait séquestré et violé trois femmes. Peu avant son suicide en prison, Ariel Castro avait accepté de plaider coupable afin d’éviter la peine de mort. De fait, il s'était vu infliger une peine de perpétuité réelle, appelée aux États-Unis : « Life without possibility of parole » ou « life without parole ».

Lors de l’audience au cours de laquelle il allait plaider coupable, le juge s’assura assez longuement qu'Ariel Castro avait bien compris la portée de la peine qu’il allait subir. Le juge lui demanda notamment s’il avait le moindre espoir de sortir un jour de prison, tout espoir étant en l'espèce illusoire. En effet, une personne condamnée à la perpétuité réelle n’a aucune chance de sortir de prison. Elle y passera le restant de ses jours, sans dérogation possible.

Assez paradoxalement, aux États-Unis, les plus fervents partisans de la perpétuité réelle sont les défenseurs de l’abolition de la peine de mort. Certains avancent, notamment, qu’il serait plus « cruel » de condamner un individu ayant commis des actes particulièrement abjects à une vie en prison, plutôt que de le condamner à mort. Reste à savoir si la Société, qui réagit contre ceux qui ont brisé le pacte social, même de façon radicale, doit faire preuve de cruauté. Plus précisément, il n’est en rien certain que la cruauté d’une peine soit un étalon admissible dans une Société démocratique et policée.

La perpétuité réelle existe-t-elle en France ? La période de sûreté accompagnant une peine de prison perpétuelle, période au cours de laquelle le condamné ne peut bénéficier d’aucun aménagement de peine, est, en principe, de dix-huit à vingt-deux ans (C. pén., art. 132-3). Elle peut aller jusqu'à trente ans dans les cas les plus graves, tels l'assassinat commis sur un mineur de quinze ans (C. pén., art. 221-3). Au-delà de cette période, le condamné pourra donc demander un aménagement de peine.

Le droit pénal français connaît toutefois une peine de réclusion criminelle dite parfois « incompressible ». En effet, « la cour d'assises peut, par décision spéciale, (…) si elle prononce la réclusion criminelle à perpétuité, décider qu'aucune des mesures énumérées à l'article 132-23 ne pourra être accordée au condamné » (C. pén., art. 221-3, al. 2). La période de sûreté est alors illimitée. Le condamné ne pourra donc bénéficier d’aucun aménagement de peine, sans limitation de durée.

Mais, même dans ces situations extrêmes, le Tribunal d’application des peines pourra, au bout de trente ans, mettre fin à la période de sûreté (C. pr. pén., art. 720-4, al. 3). En définitive, la durée de la période de sûreté accompagnant la réclusion criminelle à perpétuité est, soit limitée dans le temps, soit révocable après expiration d’un délai de trente ans (elle peut l'être également pour motif médical : C. pr. pén., art. 720-1-1). La période de sûreté n’est donc jamais définitive, et la peine infligée n'est pas strictement incompressible.

Le condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, même assortie d’une peine de sûreté illimitée, pourra donc, au bout de trente ans, espérer recouvrer la liberté, s’il a donné des « gages sérieux de réadaptation sociale » (C. pén., art. 720-4). Rien ne dit cependant qu'un tribunal décidera de suspendre la période de sûreté et/ou d’accorder un aménagement de peine de type semi-liberté ou libération conditionnelle. Cela dit, le droit pénal français laisse un espoir, même extrêmement ténu, de libération à la personne condamnée à une peine de réclusion criminelle à perpétuité.

En ces temps où la démagogie électoraliste connaît des sommets, et où les extrêmes promettent tout et son contraire, il est ainsi bon de rappeler que le législateur français est allé aussi loin que ses engagements internationaux le lui permettent (sauf à les dénoncer...). Dans un arrêt du 9 juillet 2013, la Cour européenne des droits de l’homme a en effet décidé que les peines de perpétuité réelle constituaient des traitements inhumains et dégradants contraires, comme tels, à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH, gde ch., 9 juill. 2013, Vinter et autres c. Royaume-Uni). « La Cour considère [en effet] qu’en ce qui concerne les peines perpétuelles, l’article 3 doit être interprété comme exigeant qu’elles soient compressibles, c’est-à-dire soumises à un réexamen permettant aux autorités nationales de rechercher si, au cours de l’exécution de sa peine, le détenu a tellement évolué et progressé sur le chemin de l’amendement qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne permet plus de justifier son maintien en détention » (cons. 119).

Chacun jugera la position de la Cour européenne. Quoi qu'il en soit, l'absence de perpétuité réelle dans l'arsenal répressif français ne signifie pas, loin s'en faut, que l'on ne meurt pas en prison (v. D. Mazeaud)...

Références

■ CEDH, gde ch., 9 juill. 2013, Vinter et autres c. Royaume-Uni, n° 66069/09, 130/10, 3896/10.

■ Article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme – Interdiction de la torture

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

 D. Mazeaud, « Mourir en prison », Dalloz Actu Étudiant, « Le Billet », 5 janv. 2010.

■ Code pénal

Article 132-3

« En cas de condamnation à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, dont la durée est égale ou supérieure à dix ans, prononcée pour les infractions spécialement prévues par la loi, le condamné ne peut bénéficier, pendant une période de sûreté, des dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de la peine, le placement à l'extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle.

La durée de la période de sûreté est de la moitié de la peine ou, s'il s'agit d'une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, de dix-huit ans. La cour d'assises ou le tribunal peut toutefois, par décision spéciale, soit porter ces durées jusqu'aux deux tiers de la peine ou, s'il s'agit d'une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, jusqu'à vingt-deux ans, soit décider de réduire ces durées.

Dans les autres cas, lorsqu'elle prononce une peine privative de liberté d'une durée supérieure à cinq ans, non assortie du sursis, la juridiction peut fixer une période de sûreté pendant laquelle le condamné ne peut bénéficier d'aucune des modalités d'exécution de la peine mentionnée au premier alinéa. La durée de cette période de sûreté ne peut excéder les deux tiers de la peine prononcée ou vingt-deux ans en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité.

Les réductions de peines accordées pendant la période de sûreté ne seront imputées que sur la partie de la peine excédant cette durée. »

Article 132-23

« En cas de condamnation à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, dont la durée est égale ou supérieure à dix ans, prononcée pour les infractions spécialement prévues par la loi, le condamné ne peut bénéficier, pendant une période de sûreté, des dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de la peine, le placement à l'extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle. 

La durée de la période de sûreté est de la moitié de la peine ou, s'il s'agit d'une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, de dix-huit ans. La cour d'assises ou le tribunal peut toutefois, par décision spéciale, soit porter ces durées jusqu'aux deux tiers de la peine ou, s'il s'agit d'une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, jusqu'à vingt-deux ans, soit décider de réduire ces durées. 

Dans les autres cas, lorsqu'elle prononce une peine privative de liberté d'une durée supérieure à cinq ans, non assortie du sursis, la juridiction peut fixer une période de sûreté pendant laquelle le condamné ne peut bénéficier d'aucune des modalités d'exécution de la peine mentionnée au premier alinéa. La durée de cette période de sûreté ne peut excéder les deux tiers de la peine prononcée ou vingt-deux ans en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité. 

Les réductions de peines accordées pendant la période de sûreté ne seront imputées que sur la partie de la peine excédant cette durée. »

Article 221-3

« Le meurtre commis avec préméditation ou guet-apens constitue un assassinat. Il est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.

Les deux premiers alinéas de l'article 132-23  relatif à la période de sûreté sont applicables à l'infraction prévue par le présent article. Toutefois, lorsque la victime est un mineur de quinze ans et que l'assassinat est précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie ou lorsque l'assassinat a été commis sur un magistrat, un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de l'administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l'autorité publique, à l'occasion de l'exercice ou en raison de ses fonctions, la cour d'assises peut, par décision spéciale, soit porter la période de sûreté jusqu'à trente ans, soit, si elle prononce la réclusion criminelle à perpétuité, décider qu'aucune des mesures énumérées à l'article 132-23 ne pourra être accordée au condamné ; en cas de commutation de la peine, et sauf si le décret de grâce en dispose autrement, la période de sûreté est alors égale à la durée de la peine résultant de la mesure de grâce. »

■ Code de procédure pénale

Article 720-4 

« Lorsque le condamné manifeste des gages sérieux de réadaptation sociale, le tribunal de l'application des peines peut, à titre exceptionnel et dans les conditions prévues par l'article 712-7, décider qu'il soit mis fin à la période de sûreté prévue par l'article 132-23 du code pénal ou que sa durée soit réduite. 

Toutefois, lorsque la cour d'assises a décidé de porter la période de sûreté à trente ans en application des dispositions du dernier alinéa des articles 221-3 et 221-4 du code pénal, le tribunal de l'application des peines ne peut réduire la durée de la période de sûreté ou y mettre fin qu'après que le condamné a subi une incarcération d'une durée au moins égale à vingt ans. 

Dans le cas où la cour d'assises a décidé qu'aucune des mesures énumérées à l'article 132-23 du code pénal ne pourrait être accordée au condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, le tribunal de l'application des peines ne peut accorder l'une de ces mesures que si le condamné a subi une incarcération d'une durée au moins égale à trente ans. 

Les décisions prévues par l'alinéa précédent ne peuvent être rendues qu'après une expertise réalisée par un collège de trois experts médicaux inscrits sur la liste des experts agréés près la Cour de cassation qui se prononcent sur l'état de dangerosité du condamné. 

Par dérogation aux dispositions du troisième alinéa de l'article 732, le tribunal de l'application des peines peut prononcer des mesures d'assistance et de contrôle sans limitation dans le temps. » 

Article 720-1-1

«  Sauf s'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction, la suspension peut également être ordonnée, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n'a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu'ils sont atteints d'une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention, hors les cas d'hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux. »

 

 

Auteur :Mathias Latina


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr