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« L’affaire Kerviel » : coupable mais pas responsable !
Jérôme Kerviel peut clamer haut et fort : je suis coupable mais pas responsable ! Du moins, n’est-il pas le seul responsable. Par un arrêt du 19 mars 2014 (n° 12-87.416), la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt très attendu dans l’affaire très médiatisée du courtier malchanceux de la Société générale. Si la Cour de cassation confirme le volet pénal de sa responsabilité, en revanche elle procède à une cassation partielle du volet civil considérant que les juges du fond ont violé l’article 2 du Code de procédure pénale et l’article 1382 du Code civil en ne prenant pas en considération les fautes commises par la banque victime lors de la détermination du montant de l’indemnisation. En plein, la solution apporte une rectification attendue sur les effets de la faute de la victime face à l’auteur d’une infraction pénale. En creux, la solution met en exergue les soubassements idéologiques et stratégiques de ce procès.
En plein, revenons en quelques mots sur l’historique de l’affaire. Jérôme Kerviel n’a rien d’un employé exceptionnel. Il n’a pas fait les « Grandes écoles » et ses études n’ont rien d’un parcours brillant. Il est un « petit » trader parmi des milliers d’autres. Et pourtant… Pourtant il est parvenu, en falsifiant des écritures en compte et par divers stratagèmes, à menacer de faillite l’une des plus importantes banques françaises grâce à des positions non couvertes pour un montant proche de 50 milliards d’euros. Lorsque le montage s’est effondré, en découvrant notamment près de 900 fausses écritures, il a été poursuivi par la Société générale pour abus de confiance, manipulations informatiques et faux et usage de faux. Il fut alors condamné par la cour d’appel de Paris à 5 ans d’emprisonnement dont 2 avec sursis. La cour d’appel l’avait également déclaré responsable au civil en le condamnant au paiement de la coquette somme de 4,9 milliards d’euros.
C’est dans ce contexte qu’intervient la décision de la chambre criminelle.
▪ Sur le plan pénal, la Cour de cassation prend une position tranchée sur une question de droit très discutée. En effet, de nombreuses fois par le passé la Cour de cassation avait rejeté toute prise en considération de la faute de la victime en cas de dommage causé par une infraction pénale. Parmi les arguments avancés par les juges figuraient l’absence de texte et la volonté d’éviter que l’auteur de l’infraction n’en tire un profit illégitime : « aucune disposition de la loi ne permet de réduire le montant des réparations civiles dues par l'auteur d'une infraction pénale à sa victime en raison d'une négligence de celle-ci, l'auteur de l'infraction ne pouvant conserver une partie du bénéfice qu'il en a retiré » (Crim. 28 févr. 1990. Dans le même sens, Crim. 7 nov. 2001). La solution semblait par la suite avoir été limitée aux infractions intentionnelles contre les biens en cas de simple négligence de la victime (Crim. 14 juin 2006). Ces positions étaient d’autant plus surprenantes qu’un arrêt de Chambre mixte du 28 janvier 1972 (v. en faveur du partage : Crim. 8 janv. 2008) avait jugé, de manière solennelle, que la faute de la victime peut exonérer partiellement l’auteur de l’infraction préjudiciable, quand bien même elle n’aurait pas participé à la dite infraction.
C’est à cette décision que le communiqué de la Cour de cassation fait expressément référence pour opérer un retour au principe posé par l’arrêt de 1972, engageant une révolution au sens le plus strict du terme. Par un arrêt de principe, coiffé d’un chapeau et d’une large diffusion (FP-P+B+R+I), la Cour de cassation a cassé la décision de la cour d’appel au motif qu’en refusant de prendre en considération la faute de la victime dans la détermination du montant de l’indemnisation, elle a violé les articles 2 du Code de procédure pénale et 1382 du Code civil.
Rien ne justifie, en effet, une telle éviction de la faute de la victime. L’absence de texte n’est pas un argument pertinent : le principe de légalité ne s’applique pas aux aspects civils du procès pénal et le droit civil procède à ce partage sans se fonder sur un texte précis. L’un des arguments les plus pertinents est d’éviter que, par ce biais, l’auteur de l’infraction ne s’enrichisse en conservant les sommes escroquées, détournées ou volées. Or, dans ce cas, il suffirait de distinguer les restitutions, effets de la sanction de l’infraction, sur lesquelles la faute de la victime ne devrait avoir aucun effet, et le préjudice pour lequel la faute de la victime doit être prise en considération. Cette distinction serait d’autant plus justifiée dans « l’affaire Kerviel » qu’il est établi qu’il ne s’est pas enrichi des positions fictives qu’il avait créées.
▪ En creux, l’affaire intéresse aussi par les enjeux extra-juridiques qu’elle met en lumière. En condamnant Jérôme Kerviel à une dette de réparation aussi importante qu’une seule vie ne suffirait pas à « éponger », les juges avaient condamné le trader à ce « terrible repos qu’est la mort sociale », selon la belle formule de Pierre Bourdieu. Le montant disproportionné de la facture avait, dans les faits, les effets d’une double peine, économique et sociale. Pour y remédier, les juges ont su, habilement, utiliser les techniques juridiques qui étaient mises à leur disposition dans un contexte bien singulier. L’arrêt offre ainsi une illustration nouvelle de ce que Georges Ripert avait en son temps, et non sans ironie, appelé « le droit de ne pas payer ses dettes ». À l’avenir, se posera également la question de la restitution par la Société générale de l’exonération fiscale de 1,7 milliard d’euros dont elle a pu bénéficier !
En creux encore, on remarquera que Jérôme Kerviel a adopté une stratégie judiciaire qui n’est pas sans rappeler la célèbre « stratégie de rupture » ou « défense de connivence » de Me Jacques Vergès. L’accusé se fait accusateur, rejette la compétence de ses juges et prend l’opinion à témoin. Le procès Kerviel ne serait pas celui d’un homme fautif, mais celui d’une victime du système, celui du marché et des finances. Le procès « Kerviel » est le procès de la « bancarisation » de la société. Jérôme Kerviel se présente comme le porte-parole des victimes de la « financiarisation » du monde et entend utiliser le procès comme une tribune, en utilisant l’arme du droit et le relais des medias, ces derniers actuellement alimentés par des informations régulières sur la marche « spirituelle » du trader qui a débuté à Rome il y a quelques jours.
Nous attendrons avec intérêt la solution de la cour d’appel de renvoi de Versailles. À ce jour, Jérôme Kerviel continue son pèlerinage. Qu’il ne se fasse pas trop d’illusion tout de même sur son destin. Sur le plan pénal, la messe semble être dite ! M. Kerviel ira très certainement en prison. Rappelons-lui, en attendant, ce sage proverbe tibétin qui l’accompagnera lors de sa « religieuse » marche : « le bonheur n’est pas au bout du chemin, le bonheur c’est le chemin ».
Références
■ Crim. 19 mars 2014, n° 12-87.416.
■ Crim. 28 févr. 1990, inédit, RTD civ. 1990. 670, note Jourdain ; Resp. civ. et assur. 1990. comm. 183.
■ Crim. 7 nov. 2001, n° 01-80.592, RTD civ. 2002. 314, note Jourdain.
■ Crim. 14 juin 2006, n° 05-82.900
■ Ch. mixte 28 janv. 1972, n° 70-90.072.
■ Crim. 8 janv. 2008, n°08-01.2008, D. 2008. 1590, note C. Robaczewski.
■ Article 2 du Code de procédure pénale
« L'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction.
La renonciation à l'action civile ne peut arrêter ni suspendre l'exercice de l'action publique, sous réserve des cas visés à l'alinéa 3 de l'article 6. »
« Le présent chapitre est relatif à la procédure européenne de règlement des petits litiges prévue par le règlement (CE) n° 861 / 2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges.
Lorsque le règlement (CE) n° 44 / 2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale désigne les juridictions d'un État membre sans autre précision, la juridiction territorialement compétente est celle du lieu où demeure le ou l'un des défendeurs. »
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