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[ 12 novembre 2013 ] Imprimer

L’affaire Patrice Évra : « l’ennui, c’est que nous négligeons le football au profit de l’éducation » (Groucho Marx) !

Les joueurs de football, à la différence des hommes politiques, se sont dotés d’un code de bonne conduite, charte éthique appelée la Charte de bonne conduite des Bleus. À vrai dire, la charte actuelle est la troisième du genre, prise à l’initiative de Didier Deschamps nouveau sélectionneur des Bleus. La toute récente affaire du joueur de football, Patrice Évra, le latéral de Manchester United, a mis au-devant de la scène médiatique cette Charte jusque-là peu connue des « non-fouteux ». Par ses propos insultants et désobligeants à l’égard des journalistes et anciens joueurs Luis Fernandez, Rolland Courbis, Pierre Ménès et Bixente Lizarazu, Patrice Évra avait manqué à la charte de bonne conduite et encourait de lourdes sanctions, qui finalement n’ont pas été prononcées. Et pour cause ! La plupart des principes qui y figurent peuvent difficilement être qualifiés de norme de conduite. Pour le comprendre revenons sur la genèse de ce texte avant de nous livrer brièvement à son exégèse.

La genèse de la Charte de bonne conduite suppose de rappeler le triste épisode de la dernière coupe du monde de football et de la dernière coupe d’Europe au cours desquelles cette jeune équipe de France, composée de jeunes adultes qui pour beaucoup ont quitté très tôt la cellule familiale, a adopté un comportement jugé inacceptable par l’ensemble des médias et du public. Afin de restaurer l’image d’une équipe de France peu appréciée, l’idée a été lancée de faire signer une charte de bonne conduite des Bleus qui aurait une fonction éducative.

Mais quelle peut être la raison d’être de ce texte sachant qu’il existe déjà un règlement intérieur (10 pages), une charte éthique du football (8 pages), un ensemble de règles disciplinaires et des sanctions afférentes en cas de violation ?

Selon le vocabulaire juridique de l’Association Henri Capitant, la charte est un « document définissant solennellement les droits et devoirs ». Une charte de bonne conduite constituerait plus précisément un ensemble de règles déontologiques privées élaborées par les personnes concernées. Il s’agit de règles de comportement fondées sur un engagement volontaire. La Charte des Bleus renvoie ainsi davantage au droit souple qu’au droit dur (v. étude du Conseil d’État). Quel est l’intérêt de publier une telle Charte ?

La Charte est, d’abord, un coup médiatique permettant d’afficher et d’acter le mea culpa des joueurs de l’équipe de France. Elle est, ensuite, comme la plupart des chartes de bonne conduite qui supposent l’adhésion de ses destinataires, un moyen de renforcer la légitimité des règles qui y figurent. Ces règles seront mieux appliquées et mieux respectées parce qu’elles auront en amont été acceptées par les joueurs qui en sont les destinataires. Ces chartes de bonne conduite constituent, en ce sens, un relais normatif.

La Charte serait un gage de proximité en réduisant la distance entre les textes officiels et les joueurs. Dans le même esprit, les termes utilisés au sein de la Charte de bonne conduite ne sont pas exactement ceux qui figurent au sein du règlement intérieur de la fédération française de football et de la charte éthique. L’objectif pédagogique l’imposait. Il s’agit d’une vulgarisation qui devrait être gage d’accessibilité et d’intelligibilité. Or, en se livrant à l’exégèse de la Charte, on est très loin de ces deux objectifs.

En terme d’accessibilité, on est bien loin du but ! En cherchant sur le site de la Fédération française de football ou sur les différents sites des supporters de football, vous aurez énormément de mal à retrouver l’intégralité de la Charte de bonne conduite. Ce qu’on apprend en recoupant les informations, c’est que chaque joueur a sur la porte de sa chambre une affiche sur laquelle se trouve un rappel sur fond bleu des principales règles de bonne conduite. Mais il semblerait que la version intégrale compte près de 30 pages auxquelles il a été impossible d’avoir accès. Seuls quelques extraits ont pu être récupérés qui renseignent alors sur la faible intelligibilité de son contenu.

L’extrait parle de lui-même, un bijou dans le genre :

« Être joueur de l'équipe de France, 23 personnes sur 2 millions de licenciés et des milliers de bénévoles, sous le regard de 65 millions de Français et du monde entier, c'est… »

1/Être respectueux » : 

« Du maillot bleu et de son histoire. De l'hymne national. Du staff, du sélectionneur, des dirigeants. Des règles de vie et de leur application. Des adversaires. Des arbitres. Des partenaires de la FFF. »

2 / « Prendre du plaisir » : 

« À gagner ensemble. À être solidaire. À jouer collectif. À offrir et à partager un spectacle, le meilleur possible. Et le montrer par des attitudes ouvertes, souriantes et disponibles. » 

3/ « Être professionnel et exemplaire » 

« En tout lieu et en toute circonstance. Toujours soucieux du collectif. Naturel, authentique et humble. Décontracté mais concentré. Toujours positif. »

« Vos comportements, vos attitudes et vos propos, façonnent votre image relayée auprès du grand public par les médias, compagnons de route incontournables et indispensables. Par eux passe cette image, que vous renvoyez au pays tout entier : avec eux aussi, soyez pros ».

Sous prétexte qu’il s’agit d’une charte et non d’un règlement, on a jugé qu’il n’était pas nécessaire de faire des phrases avec des verbes conjugués ! L’éducation des footballeurs est-elle à ce prix ? Moins qu’une charte il s’agit davantage d’un guide pouvant porter le nom d’une collection célèbre : « règles de bonne conduite pour les nuls ! »

Patrice Évra a été critiqué pour avoir manqué à la règle numéro 3 intitulée « être professionnel et exemplaire ». Il ne s’agit pas de nier le caractère éventuellement contractuel de ces chartes et la responsabilité contractuelle qui pourrait en découler. On sait de quelle manière les juges peuvent contractualiser certains engagements éthiques (v. Com. 23 janv. 2007). Mais encore faut-il que la règle soit claire et intelligible et pose un véritable devoir de conduite.

Que peut-on reprocher à Patrice Évra : ne pas avoir été « pro » ? Ne pas avoir été « naturel, authentique et humble » ? Probablement son « attitude et ses propos » ? Mais arrêtons de vouloir faire du panjurisme. Le droit n’est pas omniprésent et ne doit pas être omnipotent. Quoi qu’en pensent les 61% des 22 000 internautes ayant répondu « oui » à la question de savoir s’il fallait sanctionner le joueur, la norme sociale de conduite n’est pas nécessairement une norme juridique. Ses propos sont socialement répréhensibles, mais le sont-ils et peuvent-ils réellement l’être sur le plan disciplinaire ou judiciaire ?

Finalement quand Didier Deschamps souligne qu’il n’y aura pas de sanction car il s’agit d’un problème personnel, peut-être est-il le seul à être dans le vrai. Groucho Marx avait raison : « l’ennui, c’est que nous négligeons le football au profit de l’éducation » !

 

Références

■ Conseil d’État, Le droit souple, Étude annuelle 2013, La Documentation française, 2013.

■ Com. 23 janv. 2007, n° 05-13.189, RTD civ. 2007. 340, obs. Mestre et Fages.

 

Auteur :Mustapha Mekki


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