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[ 19 février 2024 ] Imprimer

Une Politique agricole commune dans la tourmente

La crise agricole a mis en évidence la défiance à l’égard de l’Union européenne et plus particulièrement concernant la Politique agricole commune (PAC). Les crispations concernant l’Union européenne et ses différentes politiques ne sont pas nouvelles, mais sont-elles véritablement fondées au moment où le secteur agricole s’interroge sur son avenir ?

Avant d’envisager la réponse à cette question, un rappel historique est nécessaire au sujet de la PAC. Cette dernière a été créée pour faire face à une production alimentaire insuffisante pour les populations européennes au moment de la création de la CEE en 1957. Pour répondre à la demande alimentaire, des mesures de soutien financier aux agriculteurs ont été adoptées dès 1962, favorisant l’augmentation des volumes de production, la mécanisation et la restructuration des exploitations agricoles, tout en cherchant à contenir les prix pour les consommateurs. L’efficacité des mesures a même conduit à des crises en raison de surproductions (sucre, lait, beurre…), exigeant de réformer le modèle en faveur d’une meilleure maitrise des volumes et d’une meilleure adéquation des choix de culture à la demande. Cette situation a favorisé une approche plus libérale à partir des années 90 découplant les aides versées aux agriculteurs des volumes produits, pour s’attacher uniquement aux surfaces de terre arable. Ce système d’aides a été rendu plus complexe avec la réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2023. Dans le cadre de cette réforme, le législateur européen à souhaiter conditionner le versement d’une part des aides à des objectifs de développement durable, de santé publique ou encore du bien-être animal. La PAC a dès lors intégré progressivement des préoccupations qui allaient au-delà du soutien de la seule production alimentaire.

Pour revenir à la question initiale, plusieurs difficultés peuvent être identifiées à partir de la réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2023 : 

- tout d’abord, la critique liée à l’existence de contraintes environnementales plus fortes est fondée. Le législateur de l’Union européenne, c’est-à-dire le Parlement européen et le Conseil de l’UE, ont conditionné une partie des aides agricoles, à hauteur de 25%, au respect des pratiques vertueuses en matière environnementale, chiffre en deçà de la volonté initiale. Ces pratiques définies sous le nom d’éco-régimes tels que la certification bio, la mise en jachère, le maintien de prairies permanentes, la plantation et la gestion de haies ou le choix de certaines cultures. Cette approche reconnait que les agriculteurs portent des services environnementaux. Ce choix permet de prendre en compte le coût des contraintes qui en découlent pour les exploitations agricoles et leur rôle pour la société, au-delà de la production de denrées alimentaires. Cette trajectoire répond plus largement aux aspirations des citoyens européens et heurtent frontalement certaines pratiques agricoles, qui ne pourront bénéficier de ces éco-régimes entrainant une perte potentielle de revenu. L’adhésion, à ce nouveau système, n’est pas complète par tous les acteurs du secteur, d’autant plus si des produits non respectueux de normes imposées aux agriculteurs européens sont importés dans le temps. C’est dommageable quand les objectifs sont de préserver l’environnement et la santé, conformément aux aspirations de la société civile. 

- ensuite, la PAC est remise en cause au regard des charges administratives qu’elle emporte. Cette situation est réelle et peut difficilement être contestée. Elle est en réalité valable pour tout financement en provenance de l’UE. Les fonds européens sont davantage contrôlés que les aides versées au niveau des États membres. Ainsi de nombreuses précisions sont exigées, d’autant plus une partie des aides dépend des éco-régimes qui impliquent de justifier des actions mises en œuvre. Plus largement, le législateur européen est à l’origine des procédures avec le souci de lutter contre la fraude et de s’assurer de la bonne destination des deniers publics. En outre, les représentants des États membres sont pleinement impliqués dans l’élaboration de ces documents administratifs, au travers de la comitologie. Les gouvernements nationaux ne peuvent la lourdeur administrative uniquement à la Commission européenne. Un travail collectif doit sans nul doute être réalisé pour simplifier les déclarations.

- enfin le budget de la PAC est perçu comme insuffisant. Or cette politique représente le premier budget européen avec 386,6 milliards d’euros sur la période 2021-2027, dont 291 milliards d’euros d’aides directes, c’est-à-dire destinés au soutenir le revenu agricole. Cette somme est conséquente. La France en est d’ailleurs la première bénéficiaire avec 9.5 milliards d’euros environ par an, indépendamment des aides nationales, notamment pour les calamités agricoles. Ces sommes ne permettent pas d’assurer un revenu complet aux agriculteurs, et ce n’est pas leur finalité. Elle constitue un complément qui est non négligeable. Le revenu principal des agriculteurs doit découler en priorité de la vente de leur production, renvoyant à la capacité du consommateur à payer un prix plus en adéquation avec les coûts de production. Ainsi, ce n’est pas tant le budget de la PAC qui est insuffisant que le choix final opéré par le consommateur qui est souvent obligé d’effectuer des arbitrages économiques. L’impact des marges de l’industrie agroalimentaire n’est pas non plus ignoré sur l’équilibre global du secteur agricole.

La PAC est ainsi confrontée à des ambitions nouvelles et assumées en faveur de la protection de l’environnement, du bien-être animal ou encore de la protection sociale, mais qu’il est difficile aujourd’hui de traduire par une augmentation du revenu pour les agriculteurs. Les consommateurs ne sont en effet pas toujours en mesure d’acheter les produits à leur coût réel de production. Si la PAC n’est pas exempte de reproches, elle n’est pas nécessairement au cœur des problèmes. Sans doute la rémunération du travail et le montant des dépenses que nous souhaitons collectivement consacrer à l’alimentation, notamment pour des produits de saison et sains, doivent être tout autant interrogés. Également les relations commerciales avec les pays tiers sont à refonder pour préserver la loyauté de la concurrence et proscrire les aliments non conformes aux standards européens, voire nationaux. C’est à ces conditions que la crise pourra être pour partie surmontée.

 

Auteur :Vincent Bouhier


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