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[ 25 mai 2011 ] Imprimer

Sources conflictuelles

On a souvent tendance à présenter la question des sources du droit de façon extrêmement académique, si ce n’est dogmatique.

Pourtant, la réalité et l’actualité nous offrent une vision beaucoup moins apaisée des sources et des autorités qui contribuent à la création des règles du droit objectif. Des conflits parfois assez vifs les opposent même. Un exemple particulièrement édifiant des conflits de sources réside dans l’opposition qui perdure entre la Cour de cassation et la doctrine civiliste, à propos de la question de la sanction de la rétractation du promettant, partie à une promesse unilatérale de contrat. Comme elle l’avait déjà décidé le 15 décembre 1993 et comme elle vient de le répéter par un nouvel arrêt du 11 mai 2011, au grand dam de la majorité des spécialistes du droit des contrats, la Cour de cassation, par la voix de sa troisième chambre civile, refuse de sanctionner cette rétractation par l’exécution forcée en nature de la promesse unilatérale et n’accorde au bénéficiaire que des dommages-intérêts.

Pourquoi ? Parce que selon les magistrats du Quai de l’horloge, la rétractation du promettant empêche fatalement la rencontre des volontés de celui-ci et du bénéficiaire, quand celui-ci lève son option après que le promettant est revenu sur sa volonté de conclure le contrat promis. Plus fondamentalement, ce qui sous-tend la jurisprudence de la Cour de cassation, c’est sans doute une certaine conception de la liberté contractuelle. Conception aux termes de laquelle il n’est pas concevable de contraindre une personne à contracter contre son gré. La liberté de contracter et de ne pas contracter s’oppose donc à ce que le contrat promis soit formé à la suite d’une décision judiciaire quand le promettant, en se rétractant, a manifesté sa volonté de ne pas conclure le contrat promis.

C’est peu de dire que la doctrine ne succombe pas aux charmes de cette lecture jurisprudentielle de la liberté contractuelle appliquée à la promesse unilatérale de contrat. La très grande majorité des auteurs de littérature contractuelle critiquent depuis près de vingt ans cette jurisprudence, perpétuée par l’arrêt du 11 mai 2011. Ils reprochent de façon extrêmement virulente à la Cour de cassation de méconnaître la véritable nature de ce contrat préparatoire spécifique que constitue la promesse unilatérale de contrat et de lui accorder une liberté contractuelle qu’elle n’a pas. Le contrat de promesse unilatérale donne une option au bénéficiaire et diffère la formation du contrat promis au seul consentement exprimé par celui-ci, dans la mesure où le consentement du promettant à ce contrat est d’ores et déjà exprimé via l’engagement qu’il a souscrit dans la promesse unilatérale de contrat. Aussi est-il inconcevable de considérer, comme le fait la Cour, que la rétractation du promettant exclut la rencontre des volontés de celui-ci et du bénéficiaire, puisque l’irrévocabilité de l’engagement, qu’édicte l’article 1134, alinéa 2, du Code civil, conduit nécessairement à une telle rencontre, dès lors que le bénéficiaire manifeste son consentement en vue de la formation du contrat préparé par la promesse. Quant à la liberté de ne pas contracter, le promettant l’a précisément abdiquée en concluant la promesse unilatérale. Tant et si bien que s’il se rétracte, ce dont il se prévaut alors c’est d’une liberté de ne plus contracter que le principe de la force obligatoire du contrat exclut nécessairement.

Dans ce conflit de sources, on pressent alors que ce qui est en jeu ce n’est rien moins que le principe moral du respect de la parole donnée, principe fondamental de notre modèle contractuel auquel la doctrine reste viscéralement attaché alors que la Cour de cassation s’en détache, parce qu’elle ne partage sans doute pas l’idée qu’en matière contractuelle, ma parole a une valeur telle qu’elle n’a pas de prix.

Références

Article 1134 du Code civil

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi. »

Civ. 3e, 15 déc. 1993, Bull. civ. III n° 174.

Civ. 3e, 11 mai 2011, à retrouver dans le prochain A vos copies.

 

Auteur :Denis Mazeaud


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