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Un homme, un code… ou la déontologie thérapeutique
En pleine crise de confiance, la démocratie représentative doit redorer son blason auprès de citoyens qui ne croient plus dans leurs élus et qui doutent de leur action dans l’intérêt général. L’un des remèdes miracles : prévenir et guérir les conflits d’intérêts. Pour ce faire, rien de tel qu’un bon code de déontologie et un bon déontologue pour en assurer le respect. C’est l’option qui a été récemment choisie par le bureau de l’Assemblée nationale qui dévoile dans sa décision du 6 avril 2011 son homme et son code.
L’Assemblée nationale aurait-elle été inspirée par nos cousins québécois ? Ces derniers ont, en effet, en décembre 2010 voté deux lois, la première (n° 48) instaurant un code d’éthique et de déontologie pour les membres de l’Assemblée nationale et une seconde (n° 109) portant sur l’éthique et la déontologie en matière municipale (v. « Faire des lois sur l’éthique ? », Éthique publique, Revue internationale d’éthique sociétale et gouvernementale, éditions Nota bene, 2011, vol. 13, n° 1). Différence majeure, du moins en apparence, l’Assemblée nationale a opté pour un code de déontologie et non d’éthique. La déontologie se compose d’un ensemble de règles de conduite, devoirs et obligations, alors que l’éthique renverrait davantage à un ensemble de valeurs et de principes. Le dernier considérant du préambule du code de déontologie est apparemment très clairement en ce sens lorsqu’il affirme que « les députés ont le devoir de respecter l’intérêt général, les principes d’indépendance, d’objectivité, de responsabilité, de probité et d’exemplarité et s’engagent à respecter ces principes énoncés dans le présent code ». En apparence seulement, car à la lecture du code il est davantage question d’éthique que de déontologie : sont ainsi proclamés les principes d’indépendance, d’objectivité, de responsabilité, de probité et d’exemplarité. Éthique ou déontologie, la confusion règne mais perturbe, il est vrai, plus le philosophe que le juriste.
Pour être certain que l’intégrité du code soit respectée, il a été mis en place le « déontologue de l’Assemblée nationale » dont la mission est d’assurer le respect des principes figurant dans le code de déontologie. Si les députés ont un doute, ils peuvent consulter. L’article 3 confie en effet au déontologue le soin, sans jeu de mots, d’éclairer les députés qui le demandent sur le sens des principes et leur situation. Et comme tout déontologue qui se respecte, les informations ainsi réunies sont confidentielles. L’article 4 prévoit même une première visite préventive des députés auprès du déontologue dans les 30 jours de leur entrée en fonction afin de faire état d’éventuels cas ou risques de conflits d’intérêts. Bien entendu, il existe aussi un suivi puisque le député doit au cours de son mandat informer le déontologue d’éventuels cas de conflits d’intérêts. Lorsque les mesures préventives n’ont pas suffi, il faut trouver des remèdes. Après la prévention, la guérison. Le remède que propose l’article 5 est une préconisation du déontologue. Si le député ne se conforme pas aux prescriptions du déontologue, ce dernier renvoie au Bureau qui peut aller jusqu’à rendre publique l’ensemble des informations et en informe le député qui « doit prendre toutes dispositions pour se conformer à ses devoirs » !
Installer un déontologue et élaborer un code de déontologie au sein de l’Assemblée nationale constituent un premier pas mais le chemin reste encore long. D’abord, pourquoi ne pas avoir attendu que le Sénat publie son rapport sur les conflits d’intérêts, prévu pour début mai ? Pourquoi les deux Assemblées ne travaillent-elles pas de concert ? Ensuite, la démarche de l’Assemblée nationale manque sérieusement de cohérence. Son approche est, par certains côtés, trop précise, notamment lorsqu’il est évoqué la déclaration obligatoire des cadeaux de plus de 150 euros. Pourquoi 150 euros et pourquoi ne pas les prohiber au lieu de les « déclarer » ? L’approche est, par d’autres côtés, trop générale. Comment espérer prévenir les conflits d’intérêts en proposant aux députés le respect de principes tels que l’indépendance, la probité, la responsabilité, la transparence, que des générations entières de chercheurs se sont épuisées, non sans difficultés, à préciser les contours ? Enfin, il serait opportun de franchir une étape supplémentaire et de s’interroger sur la formation déontologique des députés. En effet, n’est-il pas paradoxal d’imposer une formation déontologique à de nombreux professionnels du droit, avocats, notaires et autres, et de ne rien prévoir pour ceux qui sont les plus directement concernés par la question ? N’hésitons pas à aller plus loin et envisageons à l’avenir un « éthicien », qui viendrait enseigner aux députés et sénateurs ce qui constitue le cœur de leur fonction : à savoir ce que sont les valeurs et la manière de les concilier.
Alors, un homme, un code… C’est déjà mieux que rien. Encore faut-il que ce mieux ne soit pas l’ennemi du bien…commun !
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