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Où sont les femmes… ? Bilan d’activité 2010 de l’École nationale de la magistrature publié le 19 mai 2011
Le bilan d’activité 2010 de l’École nationale de la magistrature (ENM), rendu public le 19 mai 2011, donne l’occasion de revenir sur la question de la place des femmes dans les métiers du droit, en général, et dans les métiers de la justice en particulier. Il en découle que si la situation des femmes a évolué, elles ne sont toujours pas sur un pied d’égalité avec les hommes.
Ce constat est particulièrement vrai dans les métiers du droit et de la justice (v. M. Mekki (dir.), La féminisation des métiers de la justice, Economica, 2011). Ainsi comme le disait Pierre Bourdieu, « les changements visibles qui ont affecté la condition féminine masquent la permanence des structures invisibles ».
La place des femmes dans les métiers du droit et de la justice repose sur un paradoxe. Sur le plan quantitatif, les femmes sont de plus en plus nombreuses. Le rapport d’activité de l’ENM confirme cette tendance qui a débuté dans les années 1990. 58,8 % des juges sont des femmes et le vivier de femmes à l’ENM est de 74,64 % pour la promotion 2011. Les derniers chiffres relatifs aux avocats confirment cette tendance avec la barre des 50 % de femmes avocates franchie en 2011 et un taux de 60,7 % pour les cabinets d’affaires (chiffres fournis par le magazine Juristes associés). Concernant les greffiers, 84,4 % sont des femmes dont 71,1 % sont des greffiers en chef. Quant au notariat, ses actifs sont composés en 2009 de 72,73 % de femmes.
Cependant si les femmes sont très présentes dans les métiers du droit et de la justice, les fameuses « structures invisibles », elles, ne parviennent pas à céder. Le premier constat, qui n’est pas propre aux métiers du droit, est la persistance du fameux « plafond de verre ». Les femmes très nombreuses par ailleurs parviennent difficilement à obtenir un poste à responsabilité. Ainsi les femmes responsables de juridictions étaient 14,6 % en 2002 et passent à seulement 29 % en 2011. Dans le domaine, révélateur, des avocats d’affaires, seuls 25,8 % sont, en 2011, femmes et associées. Dans le notariat, alors qu’elles constituaient 1,3 % des associées en 1975, elles ne sont encore aujourd’hui que de 25 %. En outre, la Chambre départementale des notaires de Paris est composée de 27 membres dont 9 seulement sont des femmes. D’une manière générale, le même constat a été fait dans la fonction publique de l’État (rapport annuel sur l'état de la fonction publique - Faits et chiffres 2009-2010) et selon le rapport Guégot sur l’égalité professionnelle homme-femme dans la fonction publique, remis le 7 mars 2011, 16,1 % des femmes ont un poste à responsabilité dans la fonction publique de l’État.
Le deuxième constat est l’existence d’un discours dévalorisant qui continue d’être tenu sur les métiers qui se féminisent. Les hommes se détourneraient de ces métiers où l’argent et le pouvoir ne viennent qu’en second plan. Cette absurdité, non démontrée et même démentie dans le monde de l’entreprise, n’est pas sans effets sur la psychologie des femmes. Par exemple, il a été établi dans la magistrature que 81 % des femmes souhaiteraient devenir chefs de juridiction mais seulement 37 % en font la demande.
Enfin, le troisième constat est une organisation toujours déséquilibrée de la vie domestique entre hommes et femmes. Les femmes continuent majoritairement de concilier vie professionnelle et vie familiale et beaucoup d’hommes continuent, dès le premier enfant, à se comporter en breadwinner, considérant qu’il leur revient en priorité d’assurer les ressources du ménage.
Face à ce constat, le droit pourrait-il faire évoluer les choses ? Une solution serait d’alterner les textures du droit. On pourrait imposer, par la loi, la féminisation de certains métiers, option choisie par la loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle (art. L. 225-17 C. com.) et que le rapport Guégot préconise d’étendre à la fonction publique. À ce droit imposé pourrait s’adjoindre une part de droit négocié. Les contrats « chance maternité » mis en place par les bâtonniers de Lyon et de Paris pour prendre en charge financièrement les congés maternités des femmes avocates sont en ce sens. Le droit dur pourrait aussi être complété par du droit souple comme en attestent les labels diversité, tels que le Label égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (AFNOR) mis en place au sein de divers organismes et entreprises, qui auraient légitimement leur place dans tous les métiers du droit et de la justice. À dire vrai, la question de la féminisation est souvent aux interstices du droit. Le droit est souvent impuissant car il s’agit principalement d’une résistance d’ordre culturel. Pour lutter contre ces mentalités bien ancrées dans l’inconscient collectif, il faut éduquer ou rééduquer en encourageant la transparence et le dialogue. Transparence, par la publication de chiffres et de rapports dénonçant ces zones de résistance ; dialogue, en faisant de la place des femmes une question en toile de fond de tous les dispositifs et politiques publics à la manière du gender mainstreaming.
En somme, il convient de lutter contre le phénomène de la « paroi de verre », répartir équitablement les charges de la vie domestique, imposer le principe selon lequel « à travail égal, salaire égal », ne pas pénaliser les femmes qui décident d’avoir des enfants… Certains taxeront ces lignes de féministes là où il est simplement question d’humanisme. N’oublions pas que les femmes sont des hommes comme les autres !
Gageons qu’un jour nous arrêterons de dire comme Jean Ferra, reprenant le poème Le fou d’Elsa de Louis Aragon, que « la femme est l’avenir de l’homme… » et que la femme devienne enfin le présent de l’homme afin que les hommes et les femmes construisent ensemble un avenir commun sur un pied d’égalité.
Références
■ P. Bourdieu, La domination masculine, éditions du Seuil, 1998, p. 145.
■ Rapport annuel sur l'état de la fonction publique — Faits et chiffres 2009-2010, Documentation française, déc. 2010.
■ Rapport Guégot sur l’égalité professionnelle homme-femme dans la fonction publique, mars 2011, 49 pages.
■ Article L. 225-17 du Code de commerce
« La société anonyme est administrée par un conseil d'administration composé de trois membres au moins. Les statuts fixent le nombre maximum des membres du conseil, qui ne peut dépasser dix-huit.
Le conseil d'administration est composé en recherchant une représentation équilibrée des femmes et des hommes.
Toutefois, en cas de décès, de démission ou de révocation du président du conseil d'administration et si le conseil n'a pu le remplacer par un de ses membres, il peut nommer, sous réserve des dispositions de l'article L. 225-24, un administrateur supplémentaire qui est appelé aux fonctions de président. »
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