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[ 12 mars 2020 ] Imprimer

Droit constitutionnel

49-3 et motion de censure

Utilisées récemment à l’Assemblée nationale concernant le projet de loi ordinaire instituant un système universel de retraite, pour lequel le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, les techniques constitutionnelles que sont le 49-3 et la motion de censure méritaient quelques rappels par Dalloz Actu Étudiant.

Le 29 février 2020, le Gouvernement a engagé sa responsabilité en application de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution. Deux motions (ici et ici) de censure ont été déposées par des groupes d'opposition et rejetées le mardi 3 mars 2020. Le projet de loi est donc considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution.

Selon l’article 20, alinéa 3 de la Constitution, le Gouvernement est responsable devant le Parlement uniquement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50 de la Constitution. Toutefois, afin d’éviter l'instabilité gouvernementale des IIIe et IVe Républiques, le constituant de 1958 a fortement rationnalisé les mécanismes permettant la mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement. Ces dispositions ont montré leur efficacité puisqu’un seul Gouvernement a été renversé par le Parlement sous la Ve République.

■ Motion de censure de l’article 49, alinéa 2

Aux termes de l’article 49, alinéa 2 de la Constitution, « L'Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d'une motion de censure. Une telle motion n'est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l'Assemblée nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu'à la majorité des membres composant l'Assemblée. Sauf dans le cas prévu à l'alinéa ci-dessous, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d'une même session ordinaire et de plus d'une au cours d'une même session extraordinaire».

La motion de censure, arme essentiellement symbolique sous la Cinquième République, permet à des députés de faire savoir au Gouvernement qu’ils n’ont plus confiance en lui, de provoquer un débat solennel à l’Assemblée nationale, pouvant avoir pour conséquence de renverser le Gouvernement.

Afin de distinguer la motion de censure de l’alinéa 3 du même article, celle de l’alinéa 2 a pu être appelée «motion de censure spontanée».

·       Recevabilité

Elle doit être signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée nationale (soit 58 députés). Afin d’éviter de trop nombreuses motions, chaque signataire ne peut en signer que 3 au cours d’une session ordinaire et 1, durant une session extraordinaire.

·       Vote

À la suite de son dépôt, elle est discutée et mise aux voix après un délai de réflexion de 48 heures (Règl. de l’Assemblée nationale, art. 153 et 154). Seuls les députés favorables à la motion de censure voient leurs votes recensés. Pour être adoptée la majorité absolue est nécessaire (289 sur 577 députés).

·       Conséquences de l’adoption

Si la motion de censure est adoptée, le Gouvernement est renversé et le Premier ministre remet immédiatement au Président de la République la démission du Gouvernement (Const. 58, art. 50). Dans l’attente d’un nouveau Gouvernement, le Gouvernement démissionnaire expédie les affaires courantes.

En pratique, une seule motion de censure a été votée à la majorité absolue en 1962 sous la Ve République, elle a conduit à renverser le Gouvernement Pompidou I, le 5 octobre 1962. L’Assemblée nationale était alors hostile au projet du Chef de l’État, le général de Gaulle, qui avait pour objet de modifier la Constitution par référendum afin de faire élire le Président de la République au suffrage universel direct. Cette motion a eu pour réponse la dissolution de l’Assemblée nationale par le général de Gaulle.

Engagement de la responsabilité du Gouvernement sur un texte, article 49, alinéa 3.

Selon l’article 49, alinéa 3, « Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »

·       Procédure

Le Premier ministre, après délibération en Conseil des ministres, peut engager la responsabilité du Gouvernement sur un texte à n’importe quel stade de la procédure législative. Concernant le texte sur lequel le Gouvernement engage sa responsabilité, il peut retenir celui en cours de discussion, complété par tout amendement en discussion qu'il souhaite y adjoindre (V. Cons. const. 5 août 2015, n° 2015-715 DC § 13).

Le débat parlementaire s'interrompt immédiatement et l'initiative est alors laissée à l'opposition. Si celle-ci n'agit pas, si donc rien ne se passe et ce durant vingt-quatre heures, on constate que le texte est «considéré comme adopté» sans aucun vote.

·       Motion de censure

Durant ces vingt-quatre heures, l'opposition peut déposer une motion de censure («motion de censure provoquée»). Les conditions de recevabilité sont les mêmes que celle prévues à l’article 49, l'alinéa 2, étant entendu que le fait de signer une motion de censure en réplique à la mise en oeuvre par le Gouvernement de l'alinéa 3 du présent article n'entre pas dans le décompte des motions de l'alinéa 2. Ainsi les députés qui auraient signé durant la même session une motion en vertu de l'alinéa 2 peuvent en signer autant qu'il est nécessaire dans le cadre de l'alinéa 3; et les députés qui auraient signé ces motions de l'alinéa 3 et n'auraient pas encore épuisé leur quota de l'alinéa 2 peuvent aussi continuer d'en signer dans les limites fixées à l'alinéa 2.

Ensuite, l'Assemblée nationale se prononce, à l'issue d'un nouveau délai de quarante-huit heures, sur la censure et non plus sur le texte. Les opposants au texte, hostiles au Gouvernement, voteront généralement la motion de censure. Dans le cas contraire, ils s’abstiendront avec les partisans du texte, puisque seuls les votes favorables à la motion sont recensés. L’abstention entraîne donc le soutien au Gouvernement.

Si la motion de censure est adoptée à la majorité absolue, le Gouvernement est renversé et le texte est donc rejeté. En revanche, si la motion de censure ne recueille pas la majorité absolue, le texte est considéré comme adopté et le Gouvernement reste en place. Le résultat recherché est bien atteint: lorsque le Gouvernement reste en place, il dispose du texte qu'il souhaitait.

Cette technique constitutionnelle s'apparente plus à un moyen permettant d'obtenir l'adoption forcée d'un texte à l’Assemblée nationale qu'à un simple moyen de contrôle du Gouvernement, même si la conséquence de sa mise en œuvre peut entraîner la chute du Gouvernement. Son utilisation permet qu'un texte soit adopté à l’Assemblée nationale même si elle n’y est pas favorable, ou alors d’achever l’examen d’un texte sur lequel un trop grand nombre d’amendements était déposé, comme cela fut le cas pour la réforme des retraites en première lecture à l’Assemblée nationale.

Si toutes les utilisations de l’article 49, alinéa 3 ont abouti à l'adoption du texte, ce qui prouve l'efficacité de cette disposition, il convient toutefois de remarquer que son utilisation a pu parfois être contestable. On peut ainsi mentionner ici à titre d’exemple l’adoption de la loi de finances rectificative pour 1962 contenant les crédits pour le développement de l'arme nucléaire : « déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale, un projet de loi pour lequel le Gouvernement a demandé la procédure accélérée (d'urgence à l'époque) est considérablement amendé. Le Gouvernement, revenant au texte tel qu'il l'avait déposé, engage sa responsabilité en vertu de l'alinéa 3. Le texte est adopté après le rejet de la motion de censure déposée par l'opposition. Transmis au Sénat, le texte est rejeté. Le Gouvernement demande la réunion d'une commission mixte paritaire qui ne parvient pas à trouver un compromis. Le Gouvernement représente son texte devant l'Assemblée et y engage à nouveau sa responsabilité. Adopté sans vote, le texte est transmis au Sénat qui le rejette à nouveau. Le Gouvernement demande alors à l'Assemblée nationale de statuer définitivement et engage sa responsabilité. Le texte est définitivement adopté sans vote. » (V. Code constitutionnel, Dalloz, commentaire de M. Lascombe). Ainsi, même avec une « opposition totale du Sénat (2 votes négatifs) et un mécontentement latent à l'Assemblée nationale (aucun vote positif), le Gouvernement parvient à imposer son texte, sans qu'il ait subi de modifications dès lors qu'il n'en a pas accepté » (ibid.).

Utilisation de l’article 49, alinéa 3 sous la Ve

Depuis le début de la Ve République, c’est la 89e fois que cette procédure est engagée.

Liste des Premiers ministres ayant utilisé l’article 49, alinéa 3 :

Michel Debré (1959-1962) : 4 fois ; Georges Pompidou (1962-1968) : 6 fois ; Raymond Barre (1976-1981) : 8 fois ; Pierre Mauroy (1981-1984) : 7 fois ; Laurent Fabius (1984-1986) : 4 fois ; Jacques Chirac (1986-1988) : 8 fois ; Michel Rocard (1988-1991) : 28 fois ; Edith Cresson (1991-1992) : 8 fois ; Pierre Bérégovoy (1992-1993) : 3 fois ; Edouard Balladur (1993-1995) : 1 fois ; Alain Juppé (1995-1997) : 2 fois ; Jean-Pierre Raffarin (2002-2005) : 2 fois ; Dominique de Villepin (2005-2007) : 1 fois ; Manuel Valls (2014-2016) : 6 fois et Édouard Philippe (2017- ) : 1 fois.


 

Auteur :Christelle de Gaudemont

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