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« À défaut d’accord » : obligation ou faculté de tenter une négociation… ?
Le recours au vote électronique pour les élections professionnelles peut être ouvert par un accord d’entreprise ou de groupe et, à défaut d’accord, par une décision unilatérale de l’employeur. Quel sens convient-il de donner à l’expression « à défaut d’accord » ?
Soc. 13 janvier 2021, n° 19-23.533 P
Dans un arrêt du 13 janvier 2021, promis à publication au rapport annuel, la Cour de cassation considère que ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu que l’employeur peut prévoir par décision unilatérale la possibilité et les modalités d’un vote électronique. « À défaut » implique alors un ordre de priorité, et partant une obligation de tenter de négocier. En revanche, en l’absence de délégués syndicaux, la Cour considère que la décision peut immédiatement être prise par l’employeur sans qu’il soit tenu de tenter préalablement une négociation selon les modalités dérogatoires de négociation des accords collectifs. « À défaut » renvoie ici à une alternative, à une simple faculté de négocier. L’expression « à défaut » se révèle ainsi d’une intensité variable à l’aune du droit à la négociation collective sans que la Cour de cassation n’en explique les raisons.
L’expression « à défaut d’accord » s’est multipliée dans le langage du droit. Le législateur y a vu, initialement, un moyen assez commode pour échapper aux règles d’articulations entre les accords de branche et d’entreprise. Par la suite, ce « à défaut » a été utilisé non plus pour articuler deux accords de niveau différent, mais pour mettre en relation un accord collectif d’entreprise et une décision unilatérale de l’employeur. L’enjeu est toutefois très différent puisqu’un accord collectif est signé par des organisations syndicales et l’employeur. La question est alors de savoir si une quelconque sujétion pèse sur ce dernier. Peut-il immédiatement prendre une mesure unilatérale, sans perdre du temps en discussion avec les organisations syndicales s’il n’a aucune intention de signer l’accord, ou doit-il tenter une négociation et ce n’est qu’en cas d’échec, qu’il pourra adopter une mesure unilatérale ? En matière de vote électronique la Cour de cassation adopte une solution différente selon que l’entreprise est dotée de délégué syndical ou en est dépourvue.
■ « À défaut d’accord » = obligation de négocier dans les entreprises dotées de DS
Lorsqu’en 1982 a été instituée l’obligation pour l’employeur de négocier chaque année sur les salaires effectifs, le risque existait que l’employeur adopte par voie unilatérale, des augmentations de salaire pour discréditer les organisations syndicales. Aussi, une règle, encore applicable, fixe des limites à la liberté patronale. Il ne peut dans les matières traitées, arrêter de décisions unilatérales concernant la collectivité des salariés tant que les négociations obligatoires sont en cours, sauf si l’urgence le justifie (C. trav., art. L. 2242-4). Une certaine exigence de loyauté pèse sur l’employeur, entravant son pouvoir normateur. Beaucoup plus récemment, dans un arrêt du 17 avril 2019 (n° 18-22.948), la Cour régulatrice s’est expressément référée à cette exigence de loyauté pour instituer une obligation de « tentative loyale de négociation » en amont d’une décision unilatérale. L’affaire concernait un élément clé du processus électoral : le découpage en établissement distinct. Les articles L. 2313-2 et L 2313-4 du Code du travail prévoient qu’un accord d’entreprise détermine le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la mise en place des CSE. En l’absence d’accord, la décision appartient à l’employeur.
Selon la Cour de cassation, il résulte « que ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu que l’employeur peut fixer par décision unilatérale le nombre et le périmètre des établissements distincts ». De nombreux auteurs parlent de « subsidiarité » pour évoquer ce processus: la décision unilatérale étant subsidiaire, elle ne peut être adoptée qu’après une tentative loyale de négociation… En pratique, cela ressemble fort à une obligation d’entrer en négociation… La Cour de cassation, dans l’arrêt commenté du 13 janvier 2021 réitère exactement la même formule au sujet cette fois du recours au vote électronique. L’article L. 2314-26 du Code du travail autorise cette modalité spécifique si « un accord d’entreprise ou, à défaut, l’employeur le décide ». Aussi, selon la Cour, « ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu que l’employeur peut prévoir par décision unilatérale la possibilité et les modalités d’un vote électronique ». Les Hauts magistrats se réfèrent toutefois également à l’article R. 2314-5 et rappellent, conformément à ce texte, que le vote électronique peut être mis en place par accord d’entreprise ou de groupe. Cet accent mis sur l’accord de groupe est étrange et soulève une délicate question. La Cour de cassation irait-elle jusqu’à instituer une tentative loyale de négocier au niveau du groupe avant d’autoriser l’un des employeurs à utiliser la voie unilatérale ? Cette question n’était pas posée à la Cour régulatrice et comme la négociation au niveau du groupe n’est légalement qu’une faculté, jamais une obligation (C. trav., art. L. 2232-33), il serait dangereux de tirer de cette référence au groupe des conclusions hâtives.
Peut-on toutefois conclure de l’arrêt que lorsque le législateur habilite les partenaires sociaux à négocier et qu’« à défaut d’accord » il renvoie au pouvoir normateur de l’employeur, celui-ci doit se livrer à une « tentative loyale de négociation » impliquant a minima une convocation des organisations syndicales concernées ? Là encore, la portée de l’arrêt est délicate à identifier. Concernant le processus électoral, les arrêts de 2019 et 2021 précités invitent à répondre par l’affirmative mais peut-on généraliser la solution ? Dans différents domaines, et en particulier en matière de temps de travail, le législateur accorde aux syndicats représentatifs et à l’employeur des marges importantes de négociation. En l’absence d’accord, des « dispositions supplétives » précisent quel est l’acteur compétent pour fixer la règle, cet acteur pouvant être le préfet, l’inspecteur du travail ou même l’employeur. Il en est par exemple ainsi en matière de modulation du temps de travail (C. trav., art. L. 3121-45) ou de temps partiel (C. trav., art. L. 3123-26). Le même problème se pose donc : l’employeur doit-il tenter de négocier avant toute décision unilatérale ? Dans un arrêt du 16 décembre 2014 (n° 13-14.558) critiquant la mise en place unilatérale d’une modulation du temps de travail, la Cour de cassation a affirmé que l’employeur pouvait procéder ainsi car il avait auparavant « engagé de bonne foi une négociation avec les organisations syndicales ». La solution de l’arrêt du 13 janvier 2021 pourrait donc être généralisée concernant les conditions de travail : l’exigence de loyauté pesant sur l’employeur fermerait la porte à une décision unilatérale sans tentative de négociation préalable. Pour appuyer cette lecture on peut ajouter que le législateur, en matière de travail de nuit, permet de pallier l’absence d’accord par une autorisation de l’inspecteur du travail sous réserve que « l’employeur ait engagé sérieusement et loyalement des négociations » (C. trav., art. L. 3122-21). Mais il y a encore d’autres hypothèses où la question reste entière. Ainsi, concernant le plan de sauvegarde de l’emploi, le législateur prévoit « qu’à défaut d’accord », il est élaboré par l’employeur unilatéralement (C. trav., art. L. 1233-24-4). De nombreux auteurs considèrent pourtant ici que l’employeur est libre de l’option qu’il entend privilégier et n’est donc pas obligé d’engager une négociation.
■ « À défaut d’accord » = simple faculté dans les entreprises dépourvues de DS
L’arrêt du 13 janvier 2021 fixe immédiatement une importante limite à cette obligation de tenter loyalement une négociation. En l’espèce, l’entreprise avait un effectif entre 11 et 50 salariés mais n’était pas dotée de délégué syndical. L’employeur avait immédiatement adopté une décision unilatérale pour permettre le recours au vote électronique sans tenter d’ouvrir une négociation selon les modalités dérogatoires multiples désormais offertes par le législateur : négociation avec les élus, négociation avec un salarié mandaté, voire même, en l’absence d’élus, décision ratifiée à la majorité des deux tiers. L’organisation syndicale demanderesse au pourvoi faisait donc valoir que la décision unilatérale de l’employeur devait être annulée faute de tentative loyale de négociation préalable. La critique faisait sens. Ces modalités ont été adoptées par le législateur pour permettre aux employeurs des PME de bénéficier de la flexibilité qu’offre l’accord collectif. Par accord, il est désormais largement possible de déroger à la loi. L’argument juridique avancé pour justifier l’absence de monopole syndical est simple : la négociation collective est avant tout un droit des salariés et non pas un droit des organisations syndicales. Ces dernières disposent d’une priorité pour négocier mais en leur absence, d’autres voies doivent permettre de donner corps au principe de participation. Le même argument juridique devrait donc expliquer qu’en l’absence de délégué syndical, lorsqu’il existe une obligation de tenter loyalement une négociation, l’employeur chercher un moyen alternatif avant de prendre une décision unilatérale. Pourtant, la Cour de cassation rejette le pourvoi et approuve, après un contrôle plein et entier, la décision du tribunal d’instance validant la décision unilatérale de l’employeur. L’explication est inexistante. La Cour se contente d’affirmer que « la décision unilatérale peut, en l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise ou dans le groupe, être prise par l’employeur sans qu’il soit tenu de tenter préalablement une négociation selon les modalités dérogatoires prévues aux articles L. 2232-23 à L. 2232-26 du code du travail ». Là encore, la référence au groupe surprend… Mais plus largement, c’est la portée de l’arrêt qui pose difficulté. Il est évidemment possible de limiter la solution à la question de l’espèce, c’est-à-dire uniquement au recours au vote électronique. En effet, concernant la division en établissement distinct, la loi prévoit qu’en l’absence de délégué syndical, l’employeur peut négocier avec les élus du CSE (C. trav., art. L. 2313-3) et ce n'est qu’en l’absence d’accord que l’employeur peut décider unilatéralement (C. trav., art. L. 2313-4). Il semblerait dès lors assez logique que l’employeur dont l’entreprise est dépourvue de DS doit tout de même tenter loyalement de discuter avec le CSE pour le découpage en établissement distinct…mais tous les auteurs ne sont pas de cet avis.
Toutefois, la question essentielle n’est pas là. En matière de condition de travail, en particulier en matière de temps de travail, quelle solution retenir ? L’arrêt de 2014 précité évoquait la négociation préalable de bonne foi pour valider la décision unilatérale en matière de modulation du temps de travail… Qu’en sera-t-il dans les entreprises dépourvues de délégué syndical ? L’expression « à défaut » n’a certainement pas livré tous ses secrets…
Références
■ Soc. 17 avr. 2019, n° 18-22.948 P : D. 2019. 894 ; ibid. 1558, chron. A. David, F. Le Masne de Chermont, A. Prache et F. Salomon ; ibid. 2153, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2019. 574, obs. M. Gadrat ; RDT 2019. 589, obs. C. Nicod
■ Soc.16 déc. 2014, n° 13-14.558 P : RDT 2015. 264, obs. F. Canut
Pour aller plus loin
■ Pour comprendre les différentes voies utilisées par le législateur pour écarter l’accord de branche au profit de l’accord d’entreprise, les questions sur l’expression « à défaut » en matière de PSE, ou encore sur l’absence d’obligation de tenter de négocier avec le CSE, on se reportera au Précis Dalloz, Droit du travail 2021, Auzero, Baugard, Dockès, n° 537, n° 1138 et n° 1436.
■ C. Nicod, La « tentative loyale de négociation », préalable incontournable à la détermination unilatérale par l'employeur du périmètre de la représentation par les élus du personnel, RDT 2019. 589
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