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[ 13 avril 2018 ] Imprimer

Procédure pénale

A propos d’un maire qui se prenait pour le ministère public (entre autres)

Caractérise le délit d’immixtion dans une fonction publique le fait pour un maire de décider de l’opportunité de transmettre certains procès-verbaux de contraventions au procureur de la République et de les conserver aux fins de les soustraire à toute poursuite judiciaire.

C’est l’histoire d’un maire qui se prenait pour le procureur de la République. Voilà qui pourrait résumer les faits dont il était question dans le présent arrêt. 

En l’espèce, un audit de la régie des recettes de la police municipale de Biarritz mit en évidence l’annulation de quelques 3619 avis de contravention, représentant environ 10 % des faits constatés, pour une période allant du 3 mars 2009 au 31 décembre 2010. Une information judiciaire fut ouverte pour détournements de titres ou effets de l’autorité publique par dépositaire de l’autorité publique ou subordonné. Celle-ci révéla l’implication du maire de la commune et du directeur de la police municipale, ainsi que d’autres faits constitutifs d’immixtions dans l’exercice d’une fonction publique (à travers des classements sans suite de contraventions, décidés en lieu et place de l’officier du ministère public près le tribunal de police) et de prises de mesures destinées à faire échec à l’exécution des lois (par le biais d’instructions données aux policiers municipaux de ne pas constater certaines contraventions au Code de la route).

Poursuivis devant le tribunal de police, le directeur de la police municipale fut renvoyé des fins de la poursuite et le maire relaxé du seul délit de prise de mesure suivie d’effet contre l’exécution de la loi par dépositaire de l’autorité publique mais condamné pour les deux autres. Saisie par le prévenu et le ministère public, la cour d’appel retint la culpabilité du maire sur les trois préventions et le condamna à 30 000 euros d’amende. 

Par son arrêt, la chambre criminelle rejette le pourvoi formé par ce dernier. Ce qui lui donne l’occasion de revenir sur les éléments constitutifs des trois délits reprochés

Sur les délits d’immixtion publique dans une fonction publique (C. pén., art. 433-12et de détournement de biens d’un dépôt public (C. pén., art. 432-15), envisagés dans les deux premiers moyens, la Haute Cour relève des motifs de la cour d’appel que le maire de Biarritz s’était « arrogé le droit de filtrer la transmission à l’OPJ compétent des procès-verbaux établis par les agents de police municipale en leur qualité d’APJA et d’annuler ou classer sans suite certains d’entre eux, s’attribuant ainsi un pouvoir d’opportunité des poursuites conféré seulement au procureur de la République et, sur délégation, à l’officier du ministère public », et que « l’effacement de la saisie des contraventions dans le logiciel destiné à établir l’état des amendes constitua[i]t la soustraction d’un titre, effet ou pièce représentatif d’une dette publique et donc de fonds publics à recouvrer ». Elle précise ensuite, en réponse au demandeur qui contestait la caractérisation du délit d’immixtion et invoquait une violation de principe ne bis in idem (selon lequel on ne peut être puni deux fois pour les mêmes faits), que « le fait pour un maire […] de décider, en violation de l’article 21-2 du code de procédure pénale, de l’opportunité de transmettre certains procès-verbaux de contraventions […] et de les conserver aux fins de les soustraire à toute poursuite judiciaire » constitue bien le délit d’immixtion dans une fonction publique, plus précisément, dans l’exercice du pouvoir de classement sans suite conféré au seul procureur de la République par l’article 40-1 du Code de procédure pénale. Et elle ajoute que « le fait de filtrer les procès-verbaux de contraventions, en lieu et place du ministère public, est dissociable de l’action d’annuler des références de la souche ou carte maîtresse de l’infraction enregistrée sur un logiciel dédié afin d’éviter toute communication au Trésor public aux fins de recouvrement », de sorte que le principe ne bis in idem n’a pas été méconnu.   

L’immixtion dans une fonction publique, définie à l’article 433-12 du Code pénal, appartient aux usurpations de fonctions prévues par le Code pénal parmi les atteintes à l’administration publique et elle est punie de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Elle consiste, pour une personne agissant sans titre, à s’immiscer dans l’exercice d’une action publique en accomplissant l’un des actes réservés au titulaire de cette fonction (V. par ex. Crim. 24 mars 1987, n° 86-91.448pour l’immixtion dans les fonctions d’OPJ). En l’espèce, il est clair que le maire s’est immiscé dans les fonctions du ministère public, à qui appartient l’opportunité des poursuites (C. pr. pén., art. 40) et qui dispose donc de la faculté de classer sans suite la procédure si les circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient, selon les termes de l’article 40-1 du Code de procédure pénale. La chambre criminelle mentionne l’article 21-2 du même code qui fait obligation aux agents de police municipale de rendre compte immédiatement à tout OPJ territorialement compétent de tous crimes, délits ou contraventions dont ils auraient connaissance, de sorte que le maire ne pouvait jouer un rôle d’intermédiaire et filtrer les procès-verbaux de contraventions qui avaient été dressés. 

La chambre criminelle précise aussi que la qualification d’immixtion dans une fonction publique peut se cumuler avec celle de détournement de biens d’un dépôt public. Ainsi, filtrer des PV et annuler les références de contraventions pour empêcher leur recouvrement procèdent de deux comportements distincts. L’article 433-4 du Code pénal définit le détournement de biens d’un dépôt public, qu’il punit de 7 ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende (le texte vise plus largement « le fait de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou des effets, pièces ou titres en tenant lieu ou tout autre objet, qui ont été remis, en raison de ses fonctions, à une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, à un comptable public, à un dépositaire public ou à l’un de ses subordonnés »). Lorsqu’il est imputable à un dépositaire de l’autorité publique, le délit est assorti d’une peine de 10 ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 euros dont le montant peut être porté au double du produit de l’infraction (C. pén., art. 432-15).

Dans un troisième moyen, qui portait sur la qualification de prise de mesure destinée à faire échec à l’exécution de la loi par dépositaire de l’autorité publique (C. pén., art. 432-1), le maire prétendait qu’il avait simplement « assigné des priorités à la police municipale […] pour privilégier la répression de certains types d’infractions par rapport à d’autres », et ce « dans un souci de bon fonctionnement du service et d’orientation de l’action vers une police de proximité ». En réponse, la chambre criminelle, à la suite de la cour d’appel, relève que le maire a donné des instructions de non-verbalisation aux agents de la police municipale, « qui ont qualité d’APJA qui tiennent leurs pouvoirs de la loi et, en l’espèce, des textes du code de procédure pénale qui définissent leurs attributions de police judiciaire et le cadre dans lequel ils les exercent sous le contrôle du procureur de la République ». Ainsi, selon la Haute Cour, « il [en] résulte que le prévenu, en sa qualité de maire, a fait échec à l’application des articles 21 du code de procédure pénale et L. 511-1 du code de la sécurité intérieure, en donnant des instructions à des policiers municipaux placés sous son autorité, de ne pas constater certaines contraventions qu’il leur appartenait cependant de relever dans le cadre de leur mission d’agents de police judiciaire adjoints, qu’ils exercent sous la seule autorité du procureur de la République ». 

L’article 21 du Code de procédure pénale confère la qualité d’APJA aux agents de police municipale et l’article L. 511-1 du Code de la sécurité intérieure définit précisément leurs missions. Ainsi, selon l’alinéa 2 de ce texte, les agents de police municipale sont « chargés d'assurer l'exécution des arrêtés de police du maire et de constater par procès-verbaux les contraventions auxdits arrêtés » mais « ils constatent également par procès-verbaux les contraventions aux dispositions du code de la route dont la liste est fixée par décret en Conseil d'État ainsi que les contraventions mentionnées au livre VI du code pénal dont la liste est fixée par décret en Conseil d'État, dès lors qu'elles ne nécessitent pas de leur part d'actes d'enquête et à l'exclusion de celles réprimant des atteintes à l'intégrité des personnes ».

Crim. 21 mars 2018, n° 17-81.011 P

Références

■ Crim. 24 mars 1987, n° 86-91.448 P : JCP 1988. II. 20953, note Walton; Gaz. Pal. 1988. 1. Somm. 4.

■ V. Rép. Pén. Dalloz, vo Détournement de pièces dans les dépôts publics, par M. Redon et vo Usurpation de titres ou de fonctions, par C. Lacroix.

 

Auteur :Sabrina Lavric

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