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Droit du travail - relations individuelles
A travail égal, salaire égal… si le salarié l’accepte !
Sous l’apparence d’une solution classique, la Cour de cassation, dans son arrêt du 28 mai 2019, renforce sa jurisprudence concernant le licenciement consécutif au refus du salarié d’accepter une modification de sa rémunération contractuelle : le principe d’égalité de traitement entre salariés effectuant un travail de valeur égal n’apparait pas comme un argument pertinent pour justifier un licenciement.
Les faits de l’espèce sont banals : une entreprise de prêt à porter comprenant plusieurs magasins a mis en place un système de commissionnement qui varie selon la surface de vente. Le mécanisme précis de la rémunération variable n’est pas indiqué dans l’arrêt mais il ressort des faits de l’espèce que le taux de commissionnement figure dans le contrat de travail. Aussi, si la surface de vente augmente, sans que le taux de commissionnement ne soit modifié, les salariés bénéficient mécaniquement d’une augmentation importante de leur rémunération. L’employeur propose donc aux salariés concernés une modification de leur taux de commissionnement. Confronté à leur refus, l’employeur engage une procédure de licenciement pour motif personnel. La cour d’appel juge les licenciements sans cause réelle et sérieuse au motif d’une erreur de qualification du licenciement : il s’agissait non pas d’un licenciement pour motif personnel mais d’un licenciement pour motif économique dont la procédure n’avait pas été respectée. Sans reprendre exactement le même raisonnement que la Cour d’appel, la Cour de cassation, opérant par substitution de motif, rejette le pourvoi de l’employeur. Le litige portait donc sur une question classique mais délicate : la nature du licenciement prononcé suite au refus d’une modification du contrat. Mais l’employeur soulevait par ailleurs, dans son pourvoi, une question intéressante : le principe d’égalité de traitement pouvait-il interférer dans le raisonnement ?
Depuis 1996, la Cour de cassation affirme avec constance que le salarié a le droit de refuser toute modification de son contrat. Face au refus du salarié, l’employeur a une option : renoncer à son projet ou engager une procédure de licenciement. Si l’employeur s’engage dans la seconde voie, il doit alors invoquer une cause réelle et sérieuse, sachant que le seul refus du salarié ne constitue pas une cause recevable. L’employeur doit donc faire valoir le motif qui l’a conduit initialement à proposer une modification du contrat et il va se confronter à deux difficultés. Tout d’abord il doit identifier si sa proposition de modification est ou non inhérente à la personne du salarié. Autrement dit, il doit décider si la nature du licenciement (ce qu’on nomme parfois la cause qualificative) est économique ou personnelle. L’enjeux est de taille car si l’employeur se trompe de qualification, le licenciement est nécessairement sans cause réelle et sérieuse. Si l’employeur retient la bonne qualification, alors le litige se déplace sur le régime propre à chaque motif de licenciement et le juge examine notamment les raisons de la décision patronale. Les deux temps de ce raisonnement sont clairement rappelés par la Cour de cassation dans l’arrêt commenté. En l’espèce, la modification du taux de commissionnement n’est en aucun cas lié à un comportement du salarié mais à l’augmentation sensible de la surface de vente du magasin. La proposition de modification du contrat n’étant pas inhérente à la personne, le licenciement consécutif au refus des salariés a une nature économique. Il faut ensuite examiner pourquoi l’employeur souhaite réorganiser son entreprise. En l’espèce, l’employeur ne fait état ni de difficultés économiques, ni de mutations technologiques ni d’une nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise (C. trav., art. L. 1233-3). Dès lors le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Pour échapper à la logique de ce raisonnement, l’employeur arguait du principe d’égalité de traitement entre salariés effectuant un travail de valeur égal. Il soulignait que la modification du taux de commissionnement visait à garantir l’égalité de rémunération avec les autres vendeurs de l’entreprise, travaillant dans d’autres établissements disposant d’une surface de vente identique. En maintenant le taux initial des salariés concernés, il s’exposait à une action en justice des autres salariés effectuant le même travail mais disposant d’un taux de commissionnement inférieur. Pour trouver un passage entre Charybde (le licenciement injustifié) et Scylla (la rupture d’égalité), l’employeur tentait donc de démontrer que sa proposition était légitime et surtout que le licenciement consécutif au refus des salariés n’avait pas une nature économique. Autrement dit, il s’agirait d’un licenciement sui generis, ni personnel, ni économique, reposant sur une contrainte légale. La proposition n’est pas sans rappeler le mécanisme mis en place lors de la réduction de la durée légale du temps de travail à 35 h 00 (C. trav., ancien art. L. 1222-8). Sans être insensible au raisonnement, la cour d’appel avait estimé que la nature du licenciement conservait une nature économique. Faute d’avoir respecté la procédure de l’article L. 1222-6 du Code du travail applicable à une modification du contrat pour motif économique, le licenciement était sans cause réelle et sérieuse. La Cour de cassation rejette le pourvoi sans un mot pour l’argumentation de l’employeur mais opère toutefois une substitution de motif : le licenciement avait bien une nature économique mais il était injustifié car les raisons invoquées par l’employeur n’entraient pas dans le cadre des raisons économiques acceptables au sens de l’article L. 1233-3 du Code du travail. Ce choix est significatif. Non seulement la Cour de cassation n’entend pas multiplier les hypothèses de licenciement sui generis mais elle ferme la porte à toute tentative de justification d’un licenciement économique consécutif au refus d’une modification du contrat nécessaire au nivellement des conditions de rémunération des salariés pour maintenir l’égalité de traitement. La solution doit être approuvée : dans une telle situation, l’employeur dispose désormais d’un outil efficace pour aligner les conditions de rémunération : l’accord de performance collective (C. trav., art. L. 2254-2). Encore faut-il que les conditions de majorité de cet accord soient réunies.
L’arrêt du 28 mai 2019 permet ainsi de préserver le rapport de force dans la négociation lorsque l’employeur n’est confronté à aucune raison économique au sens de l’article L. 1233-3 du Code du travail. Il est obligé de trouver un accord, il ne pourra pas passer par la voie unilatérale.
Soc. 28 mai 2019, n° 17-17.929, n° 17-17.930 et n° 17-17.931
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