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[ 11 février 2022 ] Imprimer

Procédure pénale

Abandon de famille : qui doit prouver quoi ?

Dans le cadre de poursuites fondées sur l’article 227-3 du code pénal qui incrimine l’abandon de famille, la partie poursuivante doit rapporter la preuve que le prévenu est demeuré, plus de deux mois, sans payer la somme mise à sa charge par la justice, et qu'il connaissait cette obligation. Le prévenu qui se prévaut d'une impossibilité absolue de payer doit en rapporter la preuve.

Crim. 19 janv. 2022, n° 20-84.287

Le désamour dans le couple et la séparation nourrissent le contentieux de l’abandon de famille. Ce délit est prévu et réprimé par l’article 227-3 du code pénal qui le définit comme le fait, pour une personne, de ne pas exécuter intégralement, pendant plus de deux mois, une décision judiciaire lui imposant de verser une contribution due, en raison d’une obligation familiale prévue par le code civil, à un enfant mineur, à un descendant, à un ascendant ou au conjoint. Pour être constitué, l’abandon de famille suppose la réunion de trois éléments : une dette fixée judiciairement ou l'un des titres mentionnés aux 2° à 5° du I de l'article 373-2-2 du code civil (c'est-à-dire notamment depuis la L. du 18 nov. 2016, l'acte sous signature privée de divorce par consentement mutuel contresigné par avocats et déposé aux rangs des minutes d'un notaire), un défaut de paiement intégral de cette dette pendant plus de deux mois et une intention coupable.

C'est sur ce dernier point que revient l’arrêt rendu le 19 janvier dernier.

En l’espèce, en 2005, un juge aux affaires familiales avait fixé la contribution d’un père à l'entretien et à l'éducation de ses deux enfants à la somme mensuelle globale de 800 euros. Plusieurs plaintes furent déposées par la mère pour abandon de famille à l’encontre de celui-ci. Poursuivi de ce chef, il fut déclaré coupable d'abandon de famille en récidive par jugement en date du 11 mars 2019 et condamné à̀ trois mois d'emprisonnement et à la révocation totale du sursis prononcé par le tribunal correctionnel le 26 mars 2014. La condamnation fut confirmée en appel, la peine étant portée à quatre mois d'emprisonnement avec sursis probatoire. Fut également ordonnée la révocation du sursis assortissant la peine d'emprisonnement antérieure.

Dans son pourvoi, le père reprochait aux juges du fond de ne pas rapporter la preuve de sa volonté́ de ne pas honorer sa dette. Celui-ci ayant fait valoir qu'une procédure de sauvegarde de justice avait été ouverte à son encontre par un jugement du 13 mai 2013, les juges ne pouvaient se borner « à̀ constater que l'élément intentionnel de l'infraction ne faisait pas de doute en raison de l'absence de justification sérieuse par le prévenu de son impécuniosité́ totale ». Selon lui, la cour d'appel avait inversé la charge de la preuve et méconnu les articles préliminaires du code de procédure pénale et l'article 6 §2 de la Conv. EDH. Était donc invoquée une contrariété au principe de la présomption d’innocence.

L’infraction d’abandon de famille a toujours été un délit intentionnel, supposant que le débiteur ait connaissance de la décision rendue contre lui. Mais une fois cette connaissance acquise, le défaut de paiement était auparavant présumé volontaire, sauf preuve contraire (v. art. 357-2 anc. C. pén.). La législation antérieure instaurait donc une présomption de culpabilité du débiteur difficilement conciliable avec le principe de la présomption d'innocence. Cette solution a été abandonnée lors de la réforme du code pénal entré en vigueur en 1994. Le délit suppose aujourd’hui, pour être caractérisé, la démonstration, chez le prévenu, de la conscience et de la volonté de refuser de payer une obligation familiale pendant plus de deux mois. La preuve de l'élément moral incombe en conséquence au ministère public. Cette exigence fait l’objet d’un contrôle de la Cour de cassation qui n’hésite pas à censurer les condamnations prononcées par les juges du fond qui n’y satisfont pas (Crim. 28 juin 1995, no 94-84.811 P ; Crim. 21 mai 1997, no 96-83.504 P ; Crim. 26 nov. 1997, no 96-86.255). Les juges du quai de l’Horloge ont par ailleurs logiquement refusé de transmettre une QPC au Conseil constitutionnel, soutenant que l'article 227-3 du code pénal serait contraire à la présomption d'innocence, au motif qu'elle ne présente pas, à l'évidence, de caractère sérieux dès lors que l'article 227-3 « n'instaure pas de présomption de culpabilité » (Crim. 12 juin 2013, n° 13-82.622).

En revanche, l’intention peut être paralysée par la contrainte, cause de non-imputabilité. La chambre criminelle admet comme moyen de défense l'impossibilité de payer si celle-ci est absolue (par ex. Crim. 28 juin 2000, no 99-84.364 P). La charge de la preuve de cette impossibilité absolue de payer pèse alors sur le débiteur qui veut échapper à une condamnation (Crim. 18 mars 1998, no 97-82.915 ).

La charge de la preuve concernant tant l’élément moral de l’infraction que la cause de non imputabilité bien comprise explique le rejet du pourvoi par la Cour de cassation. S’inscrivant dans la continuité de sa jurisprudence antérieure, elle rappelle que « Si la partie poursuivante a la charge de prouver que le prévenu est demeuré, en connaissance de cause, plus de deux mois sans acquitter le montant de la pension alimentaire qu'il a été́ condamné à payer par décision de justice, il appartient au débiteur qui se prévaut d'une impossibilité́ absolue de paiement d'en rapporter la preuve ». Elle souligne que « Pour déclarer le prévenu coupable d'abandon de famille, la cour d'appel énonce que l'intéressé́ avait connaissance de l'obligation alimentaire mise à sa charge. Les juges ajoutent que « si le conseil du prévenu argue de difficultés financières actuelles établies par la sauvegarde de justice prononcée dans le cadre de son activité́ libérale de masseur-kinésithérapeute, l'intéressé́ ne justifie pas sérieusement de son impécuniosité́ totale aux périodes visées par la poursuite ».

Être sous le coup d’une procédure de sauvegarde n’engendre pas ipso facto la preuve d’une impossibilité absolue de payer. L’analyse ne saurait surprendre. Ce n’est pas la première fois que la chambre criminelle confronte le non-paiement d’une pension alimentaire avec le fait pour le débiteur d’être sous le coup d’une procédure collective. Elle a par le passé déjà admis que la mise en redressement judiciaire du débiteur ne constitue nullement une présomption d'une insolvabilité dont la preuve lui incombe (Crim. 26 févr. 1992, no 91-83.913 P).

Un second moyen entraînera néanmoins la cassation de l’arrêt mais limité aux dispositions concernant la révocation totale du sursis assortissant la peine de trois mois d'emprisonnement prononcée en mars 2014. Au visa l'article 132-36 du code pénal, la cour de cassation rappelle que « la juridiction peut, par décision spéciale, révoquer totalement ou partiellement, pour une durée ou un montant qu'elle détermine, le sursis antérieurement accordé, quelle que soit la peine qu'il accompagne, lorsqu'elle prononce une nouvelle condamnation à une peine de réclusion ou à̀ une peine d'emprisonnement sans sursis ». Or, en l’espèce, la cour d’appel a condamné́ le père à quatre mois d'emprisonnement avec sursis probatoire concernant l’infraction commise en récidive. Dès lors, « le sursis antérieurement accordé n'était pas susceptible d'être révoqué, fût-ce par décision spéciale, lors du prononcé d'une peine autre que de réclusion ou d'emprisonnement sans sursis ». Les juges du fond ne peuvent prononcer la révocation du sursis de peines d'emprisonnement sans prononcer eux-mêmes une peine privative de liberté ferme : « seule la prison rappelle la prison » (W. Azoulay, obs. ss. Crim. 4 sept. 2018, no 17-85.957 P).

Références :

■ Crim. 28 juin 1995, no 94-84.811 P: JCP 1996. I. 22576, note Dekeuwer; RSC 1996. 364, obs. Bouloc.

■ Crim. 21 mai 1997, no 96-83.504 P.

■ Crim. 26 nov. 1997, no 96-86.255 : D. 1999. 156, obs. S. Mirabail.

■ Crim. 12 juin 2013, n° 13-82.622D. 2013. 2713, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin.

■ Crim. 28 juin 2000, no 99-84.364 P: Dr. pénal 2001. Comm. 1, obs. Véron.

■ Crim. 18 mars 1998, no 97-82.915 

■ Crim. 26 févr. 1992, no 91-83.913 P: RSC 1992. 755, obs. G. Levasseur ; ibid. 1994. 335, obs. G. Levasseur.

■ Crim. 4 sept. 2018, no 17-85.957 P : D. actu. 25 sept. 2018.

 

Auteur :Caroline Lacroix


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