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Droit de la responsabilité civile
Abricots victimes d’un excès de lumière, leur cultivateur, d’un manque d’éclairage.
Le fabricant d'un produit nouveau manque à son devoir d'information et de conseil s'il ne transmet pas à l’acquéreur, même utilisateur professionnel de ce produit, les renseignements nécessaires à son usage et ne l’informe pas des risques pouvant en résulter.
Une société avait vendu à un arboriculteur un produit fabriqué par une entreprise spécialisée, destiné à protéger les « organes végétatifs (…) des dégâts liés aux coups de soleil », autrement dit, une substance protectrice des végétaux contre les risques liés aux excès d’ensoleillement. Après avoir été traités avec ce produit, les abricots acquis par l’arboriculteur étaient devenus impropres à la consommation. Ce dernier avait alors assigné le vendeur en paiement de dommages et intérêts, lequel avait appelé le fabricant en garantie, se prévalant d’un manquement par ce dernier à son obligation d’information et de conseil.
La cour d’appel condamna le fabricant à garantir le vendeur de sa condamnation pour l’avoir insuffisamment conseillé sur les conditions d’utilisation du produit et sur les risques pouvant résulter de son usage, en sorte qu’il avait ainsi empêché le vendeur de satisfaire sa propre obligation de conseil envers l’acheteur final en ayant omis d’alerter en amont « les utilisateurs des dangers de marquage des fruits en cas d’application tardive ni de ce que l’épiderme duveteux de l’abricot est de nature à davantage retenir le produit qu’un fruit lisse ».
Au soutien du pourvoi qu’il forma devant la Cour de cassation, le fabricant soutenait qu’il avait satisfait à son devoir de conseil dès lors qu’il avait transmis, au regard des renseignements que son cocontractant lui avait fourni sur l’utilisation qu’entendait faire l’acquéreur final du produit commandé, les recommandations d’usage de ce produit sans que l’arboriculteur, en sa qualité de professionnel, n’ait eu besoin d’information sur la portée exacte des caractéristiques techniques des biens livrés.
Le pourvoi est rejeté. La cour d’appel avait relevé que l’acheteur avait interrogé le fabricant sur la portée exacte des caractéristiques techniques du produit mis sur le marché quelques temps auparavant pour le traitement des pommes, puis étendu, peu à peu, à la culture des abricotiers. Or si le fabricant avait bien informé l’acheteur qu’il ne fallait pas, ou le moins possible, marquer les fruits et qu’il convenait de s’approprier la méthode d’application de ce produit, il n’avait en fait donné aucune indication sur la mise en œuvre de cette méthode ni prévenu des risques aussi importants que définitifs encourus par un usage du produit inapproprié aux fruits traités.
Ainsi la Cour de cassation le juge-t-elle responsable d’avoir « manqué à son obligation de donner à l’acquéreur d’un produit nouveau, fût-il utilisateur professionnel de ce produit, les renseignements nécessaires à son usage et de l’informer, le cas échant, des risques pouvant en résulter ».
Le droit civil traditionnel promouvait l’obligation de chacun de se renseigner qui, sans avoir totalement disparu du droit positif, est désormais marginalisée. Le postulat libéral de départ dictant à chacun le devoir de veiller à ses propres intérêts et de se renseigner lui-même avant de contracter en faisant « usage de sa propre raison », selon les termes de Portalis, est depuis longtemps démenti par le constat que nul ne peut toujours avoir accès à l’information permettant de contracter en connaissance de cause. C’est la raison pour laquelle depuis la réforme du droit des contrats, la loi prévoit, entérinant ainsi l’essentiel des acquis jurisprudentiels, que « (c)elle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant » (C. civ., art. 1112-1, al. 1er). D’ordre public, cette obligation légale de renseigner autrui suppose néanmoins, pour qu’en soit sanctionnée l’inexécution, que l’ignorance du cocontractant ait été légitime. Cette ignorance légitime naît soit d’une impossibilité objective de se renseigner, soit du rapport subjectif de confiance unissant les parties. Concernant l’impossibilité ou l’extrême difficulté d’accéder à l’information, celle-ci s’apprécie indépendamment de la qualité des parties au contrat en sorte que même si ce critère se révèle d’une pertinence particulière dans les rapports profane-professionnel, il trouve également à s’appliquer entre professionnels, comme en témoigne la décision rapportée. Ainsi l’ignorance de l’acheteur ne peut-elle être jugée illégitime, abstraitement, au regard de sa seule qualité de professionnel. Elle s’apprécie concrètement, en fonction de ses compétences, en sorte que le devoir d’information de son cocontractant varie selon le degré et l’étendue des compétences de l’acheteur, même professionnel. Ainsi l’obligation d’information du fabricant à l’égard de l’acheteur professionnel « n’existe que dans la mesure où la compétence de celui-ci ne lui donne pas les moyens d’apprécier la portée exacte des caractéristique s techniques des biens qui lui sont livrés » (Civ. 1re, 20 juin 1995, n° 93-15.801; Com. 24 mars 2009, n° 08-11.723). Partant, lorsque l’acheteur se révèle être un professionnel de la même spécialité que son vendeur ou dispose d’une compétence suffisante pour apprécier les spécificités et mesurer les éventuels dangers du bien acquis, il ne peut légitimement prétendre être créancier d’une obligation de renseignement (Com. 14 janv. 2014, n° 12-26.109 ; Com. 4 juill. 2018, n° 17-21.071). Mais si l’acquéreur, fût-il professionnel, n’a pas de compétence particulière concernant le bien objet du contrat, son cocontractant reste tenu d’une « obligation de conseil lui imposant de se renseigner sur les besoins de l’acheteur afin d’être en mesure de l’informer quant à l’adéquation de la chose proposée à l’utilisation qui en est prévue » (Civ. 1re, 28 juin 2012, n° 11-17.860 à propos d’une vente de volets par un agent immobilier).
En l’espèce, la nouveauté du produit, conjuguée à sa spécificité et à sa dangerosité, rendait naturellement légitime l’ignorance de l’acheteur que le manquement de son cocontractant au devoir précontractuel d’information qui lui incombait n’avait pas permis de dissiper, justifiant ainsi l’engagement de sa responsabilité.
Com. 27 nov. 2019, n° 18-16.821
Références
■ Civ. 1re, 20 juin 1995, n° 93-15.801 P : D. 1996. 12, obs. G. Paisant ; RDI 1995. 751, obs. P. Malinvaud et B. Boubli ; RTD civ. 1996. 177, obs. P. Jourdain ; RTD com. 1996. 104, obs. B. Bouloc
■ Com. 24 mars 2009, n° 08-11.723
■ Com. 14 janv. 2014, n° 12-26.109
■ Com. 4 juill. 2018, n° 17-21.071
■ Civ. 1re, 28 juin 2012, n° 11-17.860
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