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Droit des personnes
Absence d’atteinte à la dignité d’un médecin filmé en caméra cachée
Mots-clefs : Droit des personnes, Droits de la personnalité, Droit à l’image, Caméra-cachée, Dignité de la personne humaine, Appréciation
La liberté de la presse doit être limitée par le respect nécessaire de la dignité de la personne humaine, laquelle ne se résume pas à une représentation dévalorisante de la personne représentée.
La liberté de la presse et le droit à l'information du public autorisent la diffusion de l'image de personnes impliquées dans un événement d'actualité ou illustrant avec pertinence un débat d'intérêt général, dans une forme librement choisie, sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine. Telle est la solution dégagée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans la décision rapportée.
Dans cette affaire, avait été diffusé un reportage consacré à l'histoire d'une jeune femme qui avait fait croire, pendant plusieurs années, sur internet, qu'elle était atteinte d'affections graves. Le reportage comportait une séance filmée en caméra-cachée, au cours de laquelle deux journalistes, se faisant passer, l'un pour une amie de celle-ci, l'autre, pour son compagnon, consultaient un médecin généraliste, auquel ladite jeune femme s'était adressée à plusieurs reprises. Invoquant une atteinte portée à son droit à l’image, le médecin avait assigné la société éditrice de la chaîne en réparation du préjudice résultant de cette atteinte. La cour d'appel jugea que l'atteinte à son droit à l'image était injustifiée au motif que la séquence litigieuse était précédée et suivie d'un commentaire en voix off de nature à dévaloriser la personne ainsi montrée au public et que, s'il était constant que le sujet était effectivement un sujet de société en ce qu'il a pour but de prévenir le public des dérives découlant de l'utilisation du réseau internet, cette présentation de l'image du médecin comme étant celui qui s'est laissé berner par sa patiente n'était pas, dans la forme qui a été adoptée, utile à l'information des téléspectateurs. La société éditrice forma un pourvoi en cassation. La Haute juridiction, énonçant la solution précitée au visa des articles 9 et 16 du Code civil et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, casse l'arrêt d'appel, mais seulement en ce qu'il juge que le médecin avait été victime d'une atteinte à son droit à l'image et subi un préjudice inhérent à cette atteinte et en ce qu'il condamne la société éditrice. En outre, la Cour refuse de se prononcer sur le caractère identifiable du médecin dont l’appréciation est purement factuelle et échappe à son contrôle. Autrement dit, elle considère que si la diffusion de l’image permettant d’identifier un individu sans son autorisation est par principe interdite, la liberté de la presse et le droit du public à l’information peuvent justifier une telle atteinte. En revanche, pour qu’une telle justification soit admise, cette diffusion ne doit pas avoir porté atteinte à la dignité de la personne en question. Or la Cour de cassation juge au cas d’espèce, au visa des articles 9 et 16 du Code civil et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et en faveur de la liberté de la presse, que les juges du fond ont rendu leur décision par des motifs « impropres à caractériser une atteinte à la dignité » du médecin filmé en caméra-cachée, la seule dévalorisation de celui-ci n’étant pas, selon elle, suffisante à la constituer.
Rappelons que la dignité de la personne humaine est en cause lorsque la représentation d'une personne présente un caractère indécent et qu'il apparaît que leurs diffuseurs ont recherché le sensationnel davantage qu’un objectif informatif. Cependant, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que celle-ci ne sanctionne que les représentations particulièrement dégradantes ou violentes de la personne, principalement pour faire obstacle à l’instrumentalisation du corps (V. Aff. Our Body, Civ. 1re, 16 sept. 2010, n° 09-67.456) ainsi qu’à la diffusion d’images choquantes représentant le corps humain. C’est ainsi que l’utilisation publicitaire d’une image fractionnée du corps humain tatoué des lettres HIV a été jugée contraire à la dignité des personnes atteintes du SIDA par la stigmatisation réalisée (Paris, 28 mai 1996, Sté Benetton Group Spa c/ Assoc. Aides fédération nationale, n° 95/1271). Si l’indécence constitue le critère à l’aune duquel s’apprécie l’atteinte à la dignité, l’appréciation qui en est faite par la Cour, nécessairement subjective, n’en demeure pas moins, parfois, discutable. Ainsi, dans un arrêt du 4 novembre 2004, la Cour de cassation a-t-elle censuré une décision ayant jugé attentatoire à la dignité de la personne humaine la publication sans précaution d’anonymat d’une photographie d’un adolescent, le visage maculé de sang, inanimé, gisant sur un brancard, et décédé à la suite d’une course en scooter (n° 03-15.397). Comme dans la décision rapportée, la Cour de cassation avait commencé par affirmer que la liberté de la presse doit rester limitée par la nécessité de respecter la dignité de la personne. Mais elle avait là encore reproché aux juges du fond de ne pas avoir caractérisé l’atteinte portée à la dignité humaine. La Cour de cassation paraît ainsi définitivement repousser, au profit de la liberté de la presse et au détriment des droits de la personnalité, le curseur de l’atteinte à la dignité (Sur ce point, V. A. Marais, Droit des personnes, Dalloz, 2e éd.).
Civ. 1re, 29 mars 2017, n° 15-28.813
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 10
« Liberté d'expression. 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
■ Civ. 1re, 16 sept. 2010, n° 09-67.456 P, AJDA 2010. 1736 ; D. 2010. 2750, obs. C. Le Douaron, note G. Loiseau ; ibid. 2145, édito. F. Rome ; ibid. 2754, note B. Edelman ; ibid. 2011. 780, obs. E. Dreyer ; RTD civ. 2010. 760, obs. J. Hauser.
■ Paris, 28 mai 1996, Sté Benetton Group Spa c/ Assoc. Aides fédération nationale, n° 95/1271, D. 1996. 617.
■ Civ. 2e, 4 nov. 2004, n° 03-15.397 P, D. 2005. 696, et les obs., note I. Corpart ; ibid. 536, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 2643, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot ; RTD civ. 2005. 363, obs. J. Hauser.
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