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Procédure civile
Absence d'autorité de la chose jugée en cas d’événements postérieurs ayant modifié la situation reconnue antérieurement en justice
L'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs, tels que des éléments de préjudice distincts des dommages initialement garantis, sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice.
Civ. 2e, 8 févr. 2024, n° 22-10.614
Invoquant des désordres sur leur maison liés à la sécheresse de l'année 2007, un couple d’acquéreurs avait assigné leur assureur devant un tribunal de grande instance aux fins de voir juger la garantie catastrophe naturelle souscrite auprès de ce dernier, et obtenir ainsi sa condamnation au paiement des sommes nécessaires à la reprise des fondations de leur maison. Par arrêt irrévocable du 8 mars 2018, la cour d’appel de Nîmes les débouta de leurs demandes. En 2017, après avoir constaté l'apparition de fissures en façade, ils avaient procédé à une déclaration de sinistre auprès d’un autre assureur qui, après expertise, leur avait refusé sa garantie. Ils avaient alors saisi un juge des référés qui, par ordonnance du 17 septembre 2018, avait ordonné une expertise. À l’appui de celle-ci, ils avaient, le 24 mars 2020, assigné les deux assureurs en garantie du coût des travaux de démolition/reconstruction de leur villa. La cour d’appel saisie du litige déclara leurs demandes irrecevables comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt des juges nîmois du 8 mars 2018. Devant la Cour de cassation, le couple d’acquéreurs argua que l'autorité de la chose jugée ne pouvait leur être opposée dans la mesure où leur demande, tendant à la réparation d'un élément de préjudice non inclus dans la demande initiale, soit l'aggravation des dommages subis par leur maison, avait un objet différent de celle ayant donné lieu à la première décision. Leur donnant gain de cause, la deuxième chambre casse, au visa de l’article 1355 du Code civil, la décision des juges du fond. Aux termes de ce texte, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. Il résulte du même texte que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation reconnue antérieurement en justice. Or pour déclarer irrecevables comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 8 mars 2008 les demandes des acquéreurs envers leur assureur, introduites par assignation du 24 mars 2020, l'arrêt a retenu que leur demande avait le même objet, soit une indemnisation au titre de la garantie catastrophe naturelle souscrite auprès de cette société d’assurances relativement à l'événement reconnu comme tel par un arrêté du 7 octobre 2017. En statuant ainsi, alors que les nouvelles demandes introduites avaient pour objet la condamnation de la même société au paiement des sommes dues aux titres du coût des travaux de démolition/construction, du préjudice de jouissance, des frais de transport et de garde meuble du mobilier ainsi que des frais de relogement, résultaient d'événements postérieurs venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
L’article 1355 du Code civil (art. 1351 anc.) énonce que « l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ». Cet article pose le principe de l’autorité relative de la chose jugée. Ce principe est toutefois assortit d’une réserve liée la triple identité de cause, d’objet et de parties au litige.
L’autorité de la chose jugée signifie que la chose jugée est tenue pour la vérité : Res judicita pro veritate habetur. Elle se distingue de la force de chose jugée qui, une fois toutes les voies de recours expirées, rend la décision de justice exécutoire (V. A. Marais, Introduction au droit, Vuibert, n° 142, p.137). Elle est un attribut du jugement qui assure l’immutabilité aux décisions de justice, a fortiori depuis que l’Assemblée plénière a imposé au demandeur de faire valoir, dès l’instance relative à la première demande, l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci, lui imposant de « concentrer » ses moyens, obligation que la haute juridiction a rattaché à l’autorité de chose jugée (Cass., Ass. plén., Cesareo, 7 juill. 2006, n° 04-10.672). Depuis cet arrêt, dont la solution fut en outre ultérieurement étendue au défendeur (Com. 20 févr. 2007, n° 05-18.322), la nouvelle demande qui repose sur un fondement juridique que le justiciable s’était abstenu de soulever en temps utile se heurte à la chose précédemment jugée relative à la même contestation, le demandeur devant présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci. Toutefois, cette obligation de concentration des moyens est tempérée par le refus d’un principe de concentration des demandes : s’il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci, il n’est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits (Civ. 2e, 26 mai 2011, n° 10-16.735). Autrement dit, l’identité de cause (concentration des moyens) n’équivaut pas à l’identité d’objet (concentration des demandes). C’est la raison pour laquelle l’autorité de la chose jugée ne peut, de façon générale, être opposée lorsque des événements postérieurs, de droit comme de fait, sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice (Civ. 2e, 10 juill. 2008 ; n° 07-14.620 ; Civ. 1re, 16 avr. 2015, n° 14-13.280) : ils remettent légitimement en cause la véracité attachée au premier jugement puisque le demandeur ne pouvait, à la date de cette première décision, fonder sa demande sur des éléments à l’époque inexistants ou insignifiants. Ancienne, la jurisprudence relative à ces faits nouveaux n’a pas été remise en cause en 2006 ; elle n’aurait pas pu l’être sous peine de déni de justice. En particulier, des éléments de préjudice différents du dommage initial justifient de déroger à l’autorité de la chose jugée puisque n’ayant pu être inclus dans la demande initiale, la nouvelle demande a nécessairement un objet différent de celle ayant donné lieu au premier jugement (Civ. 2e, 1er déc. 1982, n° 81-13.705). Ainsi l’autorité de la chose jugée doit-elle céder dans une instance en indemnisation pour aggravation du préjudice, lorsque celle-ci se révèle distincte, par son objet, de l’instance en réparation du préjudice initial. C’était bien le cas en l’espèce, la Cour soulignant, pour refuser d’opposer l’autorité de la chose jugée au demandeur, l’absence d’identité d’objet entre l’instance en réparation des dommages immobiliers d’origine et l’instance en réparation des préjudices distincts résultant de leur aggravation (comp. Civ. 3e, 8 oct. 2003, n° 01-17.868). Partant, la nouvelle demande d’indemnisation contre l’assureur fondée sur l’aggravation du dommage matériel, tendant à la réparation de préjudices nouveaux nés de cette aggravation que constituaient les frais de démolition et de reconstruction de l’ouvrage, le trouble de jouissance et ainsi que les frais de relogement des acquéreurs, devait être jugée recevable sans que l’argument tiré de l’autorité de la chose jugée, limitée à la mise en œuvre de la garantie du dommage initial, puisse s’y opposer.
Références :
■ Cass., Ass. plén., Cesareo, 7 juill. 2006, n° 04-10.672 : D. 2006. 2135, et les obs., note L. Weiller ; RDI 2006. 500, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2006. 825, obs. R. Perrot
■ Com. 20 févr. 2007, n° 05-18.322
■ Civ. 2e, 26 mai 2011, n° 10-16.735 : D. 2011. 1566, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2012. 244, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2011. 593, obs. R. Perrot
■ Civ. 2e, 10 juill. 2008 ; n° 07-14.620
■ Civ. 1re, 16 avr. 2015, n° 14-13.280
■ Civ. 2e, 1er déc. 1982, n° 81-13.705
■ Civ. 3e, 8 oct. 2003, n° 01-17.868 : D. 2003. 2727, et les obs. ; RDI 2004. 121, obs. P. Malinvaud
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