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Droit des successions et des libéralités
Absence de don manuel sans tradition réelle
Le don manuel n'existe qu'en cas de dépossession réelle et irrévocable du donateur.
Deux époux chargent un huissier de justice rédacteur de procéder à l'inventaire et à la prisée des meubles leur appartenant en pleine propriété afin de procéder à une donation à leurs filles (ces dernières laissant les biens à la disposition de leurs parents et convenant d'un partage ultérieur, par convention, avec leurs parents). Ultérieurement certains de ces meubles font l'objet d'une saisie-vente à laquelle l'un des époux s'oppose, prétendant ne plus en être propriétaire depuis le don manuel qu'il a consenti à ses deux filles.
En appel, est confirmé le jugement du juge de l'exécution ayant rejeté sa demande d'opposition. Les juges rappellent d'abord que le don manuel n'a d'existence que par la tradition réelle que fait le donateur de la chose donnée, qui doit être effectuée dans des conditions telles qu'elle assure la dépossession définitive et irrévocable de celui-ci. Or, ils constatent, ensuite, que les meubles inventoriés sont demeurés au domicile des parents où ils ont été saisis ; ils relèvent, enfin, que les enfants se sont engagés à laisser les biens à la disposition de leurs parents et à ne procéder à leur partage que par une convention ultérieure, à conclure avec ces derniers. Le père forme un pourvoi, rejeté par la Cour de cassation pour qui faute d'une remise effective par les donateurs aux donataires, le don manuel allégué n'est pas établi, comme les juges antérieurement saisis l'ont exactement déduit.
Le don manuel est un contrat réel : il n'est pas formé tant que le bien donné n'a pas été remis au donataire (v. Civ. 1re, 11 juill. 1960 : « le don manuel n'a d'existence que par la tradition réelle que fait le donateur de la chose donné »). La remise effective requise explique d'ailleurs qu'une promesse de don manuel ne peut être qu'inefficace (Req., 23 juin 1947). Ce qu'on appelle la « tradition » suppose, dans une conception classique, une remise matérielle, de la main à la main, de la chose donnée.
Toutefois, la jurisprudence moderne a progressivement admis la dématérialisation de la tradition, en admettant que lorsque le don manuel a pour objet une somme d'argent ou des valeurs mobilières dématérialisées, il peut se réaliser par virement ou par la remise d'un chèque.
En revanche, les conditions de principe de la tradition sont, elles, demeurées inchangées. Tout d'abord, comme le rappelle l'arrêt rapporté, la tradition doit être réelle et effective. Toutefois, rappelons qu'un don manuel peut aussi être valablement formé sans déplacement matériel de la chose donnée, dans le cas où le donataire, au titre d'un précédent contrat ayant opéré transfert de la détention de la chose (mandat, dépôt, prêt), avait déjà la chose entre les mains ; si par un nouvel accord de volontés, une donation succède à la convention originaire, il y a, dit-on, tradition par interversion de titres (v. not. Civ. 1re,11 juin 1996). Ensuite, comme le don manuel est soumis à toutes les conditions de fond des donations entre vifs et notamment au principe d'irrévocabilité spéciale, on exige de la tradition qu'elle emporte la « dépossession définitive et irrévocable » du donateur (Civ. 1re, 19 nov. 1996 ; Civ. 1re, 11 juill. 1960, préc.). Cette exigence est d'ailleurs expressément rappelée, en l'espèce, par les juges. Indispensable, cette condition d'existence du don manuel suppose que la mise en possession du donataire du bien doit s'accompagner d'une perte, par le donateur, de son pouvoir d'action sur ce bien. Il a ainsi déjà été jugé qu'il n'y a pas de tradition valablement réalisée en cas de dépôt du bien dans un coffre loué au nom du donataire, mais auquel le donateur peut librement accéder ( Civ. 1re, 22 déc. 1971 ; Civ. 1re, 19 nov. 1996, préc.).
L'espèce rapportée offre une illustration presque caricaturale de l'absence de dépossession effective du donateur, les biens prétendument donnés étant restés à disposition et au domicile des donateurs... Relevons toutefois que rien n'interdit au donateur, une fois la tradition valablement réalisée, de retrouver la détention de la chose donnée aux termes d'un nouveau contrat conclu avec le donataire (dépôt, prêt, bail, mandat) ( Civ. 1re, 4 nov. 1981).
Mais promettre une donation sans la réaliser pour échapper à la saisie reste impossible...
Civ. 1re, 10 oct. 2012, n°10-28.363
Références
■ Civ. 1re, 11 juill. 1960 D. 1960. Jur. 702, note Voirin.
■ Req., 23 juin 1947, D. 1947. Jur. 463.
■ Civ. 1re,11 juin 1996, Dr. fam. 1998, comm. n° 16.
■ Civ. 1re, 19 nov. 1996, D. 1997. Somm. 365, obs. M. Nicod.
■ Civ. 1re, 22 déc. 1971, Bull. civ. I, n° 326.
■ Civ. 1re, 4 nov. 1981, Bull. civ. I, n° 328 ; RTD civ. 1982. 783.
■ Article 894 du Code civil
La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte. »
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