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Procédure civile
Procédure de récusation : l’appréciation objective de l’impartialité du magistrat prévaut sur la perception subjective du justiciable
La partialité d’un magistrat résultant de son inimitié notoire à l’égard d’une partie au procès suppose de rapporter la preuve d’actes manifestes de parti-pris, le défaut d’objectivité du magistrat ne pouvant résulter du seul fait qu’il ait rendu sa décision dans des conditions procédurales irrégulières et défavorables à la partie demanderesse à la récusation.
Civ. 2e, 6 févr. 2025, n° 22-18.078
Un justiciable partie à une procédure d’assistance éducative estime que la juge des enfants ayant décidé du placement de l’un de ses enfants mineurs auprès de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) a fait preuve de partialité à son égard. En ce sens, il dénonce le contexte procédural dans lequel cette décision de placement a été rendue, qui laisserait apparaître un a priori défavorable de la juge à l’égard de sa personne. À l’appui de sa demande en récusation de la magistrate, le requérant invoque des irrégularités de procédure révélatrices de cette prétendue inimitié, qu’il juge contraires à l’article 6§1 de la Conv. EDH, garantissant le droit à un tribunal impartial. Il faut dès à présent rappeler que l’article L. 111-6 du Code de l’organisation judiciaire prévoit huit cas de récusation, dont celui où il existe une « inimitié notoire » entre le juge et l’une des parties au procès. Cette liste non exhaustive n’épuise cependant pas les motifs de récusation, et il faut par ailleurs prendre en compte l’exigence d’impartialité de la juridiction (en ce sens, v. Civ. 1re, 28 avr. 1998, n° 96-11.637 ; Civ 2e, 5 déc. 2002, n° 01-00.224), exigence consacrée par l’article 6 de la Conv. EDH. C’était précisément le sens de la requête en l’espèce déposée pour dénoncer, auprès du premier président de la cour d’appel saisie (C.pr. civ., art. 344), l’existence d’une partialité objective de la juge des enfants, qui résulterait d’une inimitié notoire éprouvée à l’égard du requérant, inférée des irrégularités procédurales entachant sa décision de placement de l’enfant. Rappelons en ce sens que la Cour européenne des droits de l’homme distingue une conception objective et une conception subjective de l’impartialité. Elle retient ainsi que, « si l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris, elle peut, notamment sous l’angle de l’article 6, § 1 […], s’apprécier de diverses manières » et qu’« on peut distinguer sous ce rapport entre une démarche subjective, essayant de déterminer ce que tel juge pensait dans son for intérieur en telle circonstance, et une démarche objective amenant à rechercher s’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime » (CEDH, 1er oct. 1982, Piersack, n° 8692/79). Conformément à cette dernière démarche, le requérant dénonçait en l’espèce l’insuffisance des garanties apportées à l’exigence d’impartialité, liée à un faisceau de circonstances concordant vers une inimitié notoire manifestée par la juge des enfants à son égard, tenant à l’absence de débat contradictoire, au défaut de convocation de son avocat et à sa dispense de comparution à l’audience que la juge avait souverainement décidé de reporter, permettant à ses yeux de douter légitimement de l’impartialité de celle-ci.
Sous cet angle de l’impartialité objective requise du magistrat, il appartenait à la Cour de cassation d’examiner le bien-fondé de la requête, qu’elle rejette au motif qu'il ne résulte ni de l'exposé des faits, ni des motifs retenus par le requérant au soutien de sa demande, la démonstration d'une inimitié notoire manifestée sous une forme quelconque par la juge. Il faut en effet rappeler une évidence : il appartient au requérant de produire des éléments de nature à faire peser sur les magistrats mis en cause un soupçon de partialité (v. not. Civ. 2e, 18 sept. 2014, n° 14-01.445). Dans ce cadre, de simples allégations ne peuvent suffire, pas plus que le constat que le requérant a vu ses prétentions rejetées à différentes reprises par la même juridiction, dès lors qu’aucun élément ne vient faire douter du fait que ces rejets ont pour seul fondement une application objective du droit. En outre, si l’inimitié notoire est un bien un motif légal de récusation, celle-ci doit être personnelle et s’illustrer par des actes manifestes de parti pris, en l’espèce inexistants. Dans cette optique, la Cour souligne en premier lieu que si la mention sur la convocation du requérant d'un objet différent de celui effectivement retenu à l'audience rend la procédure et la décision subséquente irrégulières, il ne résulte pas de cette irrégularité un comportement personnel constitutif d'une violation par la juge de son devoir d'impartialité objective, et que la présence des services de police à l'audience en question, imposée pour des motifs de sécurité, ne peut davantage être interprétée comme la démonstration de sa partialité. Elle ajoute en second lieu que la tenue de l'audience a bien permis au requérant d'être entendu et de pouvoir présenter ses observations sur le placement envisagé, et que cette mesure de placement, préconisée par différents rapports d'assistance éducative et d'expertise psychiatrique du requérant et requise par le ministère public, ne peut à elle seule être considérée comme l'expression d'un comportement partial de la juge à son encontre. Elle souligne en troisième et dernier lieu que la décision de celle-ci de reporter l'audience qu’il avait initialement sollicitée, le défaut de convocation de son avocat et l'absence de débat contradictoire reposent sur des motifs de droit et de fait justifiés par des raisons objectives de procédure, et non par des motifs d’inimitié personnelle, étant précisé qu’il est permis au juge des enfants de se prononcer sur une modification de la mesure d'assistance éducative en dispensant les parties de comparaître lorsque l'urgence de la situation l'impose, ce qui était le cas en l’espèce, les demandes de modification de son droit de visite ayant été formées par le requérant dans des conditions de délais telles que la juge pouvait légitimement user de cette faculté, en sorte que la dispense de comparution ne saurait, dans ces conditions, caractériser une atteinte portée au droit du justiciable à l'accès au juge et un manquement de ce dernier à son obligation d'impartialité.
La Cour confirme ainsi que le défaut d’impartialité ne peut résulter du seul fait qu’un juge ait rendu une décision défavorable à la partie demanderesse à la récusation (Civ. 2e, 21 janv. 2016, n° 15-01.541). Elle ajoute qu’un tel manquement ne peut non plus être mécaniquement déduit du non-respect de certaines exigences procédurales dans la mesure où des raisons objectives de droit comme de fait sont susceptibles de justifier cette méconnaissance et d’évincer par là-même l’hypothèse d’une inimitié notoire soumise, pour obtenir la récusation du magistrat, à la démonstration d’actes subjectifs de préjugés défavorables incompatibles avec l’exigence d’impartialité. En toutes hypothèses, le défaut d’impartialité d’un juge doit être caractérisé par un faisceau d’indices suffisamment probants pour permettre de douter de son objectivité.
Références :
■ Civ. 1re, 28 avr. 1998, n° 96-11.637 : D. 1998. 131 ; RTD civ. 1998. 744, obs. R. Perrot
■ Civ 2e, 5 déc. 2002, n° 01-00.224 : D. 2003. 2260, et les obs., note A. Penneau
■ CEDH, 1er oct. 1982, Piersack, n° 8692/79
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