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[ 22 novembre 2024 ] Imprimer

Droit des biens

Acte de notoriété acquisitive : office du juge quant à l’appréciation de la preuve de l’usucapion

Si l'existence d'un acte notarié constatant une usucapion ne peut, par elle-même, établir celle-ci, il appartient au juge d'apprécier la valeur probante des témoignages relatés quant à l'existence d'actes matériels de nature à caractériser la possession invoquée.

Civ. 3e, 10 oct. 2024, n° 23-17.458 B

Concernant la preuve de la propriété par usucapion, la décision rapportée souligne l’importance, à cette fin, des témoignages relatés dans l’acte de notoriété acquisitive pour établir l’existence d’actes caractéristiques de la possession nécessaire à l’acquisition de la propriété.

Au cas d’espèce, un couple d’acquéreurs avait acquis une parcelle par acte notarié du 13 décembre 2010. Le 8 juin 2016 avait été dressé par notaire un acte de notoriété acquisitive désignant d’autres possesseurs comme les propriétaires de la parcelle voisine. Une commune avait alors assigné ces derniers aux fins de voir annuler l’acte de notoriété et juger qu'elle était propriétaire de cette parcelle, en application de l'article 713 du Code civil qui fonde le droit de propriété des communes sur les parcelles vacantes et sans maître situées sur leur territoire. La cour d’appel annula l’acte de notoriété au motif que les possesseurs ne rapportaient pas la preuve d’une possession continue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire pendant plus de trente ans. Ces derniers ont formé un pourvoi en cassation, reprochant à la juridiction du second degré de ne pas avoir tenu compte des deux témoignages contenus dans l’acte de notoriété du 8 juin 2016.

Au visa des articles 2261 et 2272 du Code civil, la troisième chambre civile casse la décision des juges du fond.

Elle rappelle qu’aux termes du premier de ces textes, pour pouvoir prescrire, la possession invoquée doit présenter plusieurs caractères (pt 5). Il faut une possession continue et non interrompue, paisible (l’entrée en possession ne doit pas être violente), publique (la possession ne doit pas être clandestine, dissimulée aux tiers), non équivoque (la possession est équivoque si l’on ne sait pas à quel titre agit le possesseur ; ex : l’époux qui détient une chose appartenant à son conjoint n’entend pas nécessairement se comporter comme possesseur et sa possession est donc équivoque), et à titre de propriétaire (ce qui renvoie à l’animus domini, qui est l’intention de se comporter comme le véritable titulaire du droit ; ex : le locataire qui exerce le corpus pour le compte d’autrui sans cet animus domini est un détenteur précaire et non un possesseur). La Cour rappelle ensuite qu’en matière immobilière, la possession, même de bonne foi, ne permet jamais de faire acquérir la propriété de façon instantanée (comp. en matière de possession mobilière, « Tableau sur la fonction de la possession mobilière », DAE 7 juin 2024 ; v. aussi, sur ce point, A. Marais, Introduction au droit, Vuibert, 10e éd., n° 57) : le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans.

Sur le terrain probatoire, elle ajoute que celui qui invoque le bénéfice de la prescription acquisitive doit rapporter la preuve d'actes matériels de possession (usage de la chose par exemple), exercés pendant la durée prévue par le second de ces textes et revêtant les caractères exigés par le premier. Dans cette perspective, elle confirme que si l'existence d'un acte notarié constatant une usucapion ne peut, par elle-même, établir celle-ci (v. déjà, Civ. 3e, 19 nov. 2014, n° 13-24.372), il appartient au juge d'apprécier la valeur probante des témoignages relatés dans cet acte quant à l'existence d'actes matériels de nature à caractériser la possession invoquée. Or pour annuler l'acte de notoriété du 8 juin 2016 et juger la commune propriétaire du terrain litigieux, la cour d’appel a retenu que cet acte notarié n'était confirmé par aucun autre élément, les autres pièces produites aux débats par les acquéreurs étant insuffisantes à établir une possession continue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaires pendant plus de trente ans. Selon la Haute juridiction, en se déterminant ainsi, sans analyser, comme il le lui était demandé, les témoignages contenus dans l'acte de notoriété du 8 juin 2016, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

S’il appartient aux possesseurs de rapporter la preuve d'actes matériels de possession et que l'existence d'un acte notarié constatant une usucapion est insuffisante à établir une possession dans les conditions légales de la prescription acquisitive, il appartient toutefois au juge du fond de rechercher si les témoignages contenus dans cet acte ne permettent pas de rapporter une telle preuve. Par principe acquise s’agissant de la réunion des conditions de l’usucapion, la souveraineté d’appréciation des juges du fond, auxquels le demandeur soumet un acte de notoriété acquisitive, demeure inchangée. Cette souveraineté est en outre renforcée par la règle selon laquelle la force probante du témoignage relève par principe de l’appréciation souveraine des juges (C. civ., art. 1381). Partant, en matière d’usucapion, le juge est libre de s’estimer ou non convaincu par le témoignage accréditant la possession alléguée. En revanche, ce dernier se voit contraint d’examiner cet élément de preuve, dès lors qu’il est rapporté par le demandeur. Issu de la pratique notariale, l’acte de notoriété acquisitive doit donc être établi avec précaution, notamment en ce qui concerne les témoignages recueillis.

Références :

■ Civ. 3e, 19 nov. 2014, n° 13-24.372 P : D. 2014. 2407 ; RTD civ. 2015. 137, obs. H. Barbier.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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