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[ 2 avril 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Absence de responsabilité du vendeur malgré la non-conformité du bien livré

L’obligation du vendeur de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui est destiné à son usage perpétuel et la réception sans réserve de la marchandise vendue par l’acheteur lui interdit de se prévaloir de ses défauts apparents de conformité.

Com. 17 févr. 2021, n° 18-15.012

Le 21 octobre 2011, une société avait fourni et installé sur un chalutier appartenant à un couple un moteur d’occasion qu’elle avait acquis auprès d’un tiers, lequel l’avait acheté à une société. Le bateau ayant subi, le 3 mai 2012, une avarie due à l’inadaptation du moteur, destiné à un bateau de plaisance et non de pêche, les propriétaires du chalutier avaient assigné le fournisseur en invoquant, à titre principal, un défaut de conformité et, à titre subsidiaire, la garantie des vices cachés. Celui-ci avait alors appelé en la cause son vendeur, lequel avait alors fait intervenir sa venderesse. Les acquéreurs avaient donc dirigé leurs demandes en réparation de leur préjudice contre ces trois défendeurs.

La cour d’appel condamna in solidum le fournisseur et le vendeur, à hauteur, pour ce dernier, de 50 % du montant des condamnations à verser aux acquéreurs et à garantir le fournisseur à concurrence de 50 % des condamnations prononcées contre lui. Pour justifier cette répartition, l’arrêt retint que dans la mesure où le moteur litigieux avait dû être adapté par la venderesse du bien pour en réduire la puissance et que, même après la livraison, le moteur devait encore faire l’objet de travaux d’adaptation, le procès-verbal « d’essais sur banc » que celle-ci avait établi devait être considéré comme constituant un accessoire de la chose vendue et que le vendeur avait manqué à ses obligations contractuelles en ne le transmettant pas spontanément à la société acheteuse. Devant la Cour de cassation, le vendeur faisait d’abord grief à l’arrêt d’avoir statué par des motifs impropres à caractériser que ce document constituait un accessoire à la chose vendue indispensable à son utilisation. Au visa de l'article 1615 du Code civil, selon lequel l'obligation de délivrer la chose comprend les accessoires de celle-ci et tout ce qui est destiné à son usage perpétuel, la chambre commerciale donne raison au vendeur, les motifs de l’arrêt d’appel n’étant pas à même de justifier que le rapport litigieux, établi par le professionnel ayant réalisé les travaux modifiant les caractéristiques du moteur, était un document, indispensable à l'utilisation normale du moteur (pt 5). La solution est conforme à la limite posée à l’obligation du vendeur de délivrer les accessoires de la chose, c’est-à-dire les éléments, matériels ou juridiques, liés à la chose principale vendue : cette obligation n’est requise qu’à la condition que de cette transmission dépende l’utilisation de la chose vendue. Ainsi, pour des documents administratifs relatifs à un véhicule, ces derniers ne doivent être transmis qu’à la condition d’être indispensables à son utilisation (carte grise d’une voiture par exemple), ce que la juridiction d’appel n’avait pas caractérisé (comp. Com. 17 juin 2020, n° 18-23.620, à propos d’un permis de mise en exploitation d’un navire de pêche professionnelle maritime). 

Le demandeur reprochait également à l'arrêt de lui avoir imputé un manquement à son obligation de délivrance alors que la réception sans réserve de la chose vendue couvre ses défauts apparents de conformité. Ainsi les juges du fond auraient-ils dû déduire de la qualité de professionnel de la société acheteuse, spécialisée en matière de réparations navales, que celle-ci était, au moment de la réception du moteur litigieux, en mesure de déceler son défaut de conformité et dans l’impossibilité d’ignorer qu’un moteur à deux turbines, destiné à équiper des bateaux de plaisance, ne pouvait être installé sur un bateau de pêche. Cette réception sans réserve du moteur qu’elle savait défectueux évinçait ainsi le manquement imputé au vendeur à son obligation de délivrance. Au visa des articles 1604 et 1610 du Code civil, la chambre commerciale juge ce nouveau moyen fondé : « Il résulte de ces textes que l’acceptation sans réserve de la marchandise vendue par l’acheteur lui interdit de se prévaloir de ses défauts apparents de conformité » (pt 10). La solution est encore une fois conforme à cette règle acquise tant en droit interne (jp constante, v. notam. Com. 12 févr. 1980, n° 78-11.358; Com. 1er mars 2005, n° 03-19.296) qu’international de la vente (Convention de Vienne du 11 avr. 1980, art. 39, 1 : « L’acheteur est déchu du droit de se prévaloir d’un défaut de conformité s’il ne le dénonce pas au vendeur, en précisant la nature de ce défaut, dans un délai raisonnable à partir du moment où il l’a constaté ou aurait dû le constater »), selon laquelle les défauts apparents sont couverts par la réception de la chose effectuée sans réserves (P. Puig, Les contrats spéciauxDalloz, 7e éd., n° 881, p. 676 ; P. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Droit des contrats spéciaux11e éd., LGDJ, n° 259). Il va de soi que l’apparence du défaut varie selon la nature et la structure de la chose, simple ou complexe, objet de la vente. En dépend, en pratique, la possibilité d’une détection immédiate ou plus tardive du défaut de conformité. En l’espèce, la complexité du bien soumis à l’examen de l’acheteuse aurait requis, en fait, un certain temps d’inspection, mais la spécialité de cette professionnelle de la réparation navale obligeait en droit à ignorer cette considération théorique : en sa qualité de professionnelle, elle aurait dû s’apercevoir du défaut de conformité dès la réception de la chose et émettre des réserves en conséquence. C’est dire que malgré le silence des textes et du droit prospectif sur ce point (cf J. D. Pellier, « Précisions sur l’obligation de délivrance du vendeur », Dalloz Actu., 2 mars 2021), la qualité de professionnel exerce, comme en matière de garantie des vices cachés, une influence déterminante de la teneur et des modalités de l’obligation de délivrance dans la vente (Sur ce point, V. F. Collart Dutilleul et P. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, Dalloz, 11e éd., coll. « Précis », 2019, n° 226 et 228). La décision rapportée présente l’intérêt de combler cette lacune en soulignant la prise en compte de cette qualité dans l’appréciation de l’absence de réserve de la réception de la chose acquise par l’acheteur, alors qu’elle est entachée d’un défaut de conformité. La précision est d’autant plus importante que la réception, libre de tout formalisme, peut être tacite, sous réserve d’établir la volonté non équivoque de recevoir le bien en l’état. Il résulte du cumul de cette règle et de la solution ici retenue que le régime auquel se trouve soumis l’acheteur professionnel l’expose à des conséquences assez drastiques : le consensualisme présidant à la réception du bien associé à sa qualité de professionnel devraient conduire à juger couverts, dans la plupart des cas, les défauts de conformité n’ayant pas ou pu faire l’objet de réserves expresses et immédiates. 

Références

■ Com. 17 juin 2020, n° 18-23.620 P : D. 2020. 1358 ; RTD com. 2020. 700, obs. B. Bouloc

■ Com. 12 févr. 1980, n° 78-11.358 P : D. 1981.278, note Aubertin 

■ Com. 1er mars 2005, n° 03-19.296 P : D. 2005. 799 ; RTD com. 2006. 183, obs. B. Bouloc

 

Auteur :Merryl Hervieu

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