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Droit des biens
Absence d’enrichissement immédiat du nu-propriétaire pour les constructions effectuées par l’usufruitier
Mots-clefs : Usufruit, Constructions effectuées par l’usufruitier
Le nu-propriétaire n'entre en possession des constructions qu'à l'extinction de l'usufruit, l'accession n'ayant pas opéré immédiatement au profit du nu-propriétaire du sol. Aussi, il n’est pas tenu de payer des droits d’enregistrement au moment de la réalisation de constructions par l’usufruitier.
De manière traditionnelle en droit français, un père a cédé à sa fille la nue-propriété de terrains dont il a conservé l’usufruit sur lesquels il a construit des immeubles (v. S. Schiller). La direction régionale des finances publiques a décidé de soumettre ces travaux aux droits d’enregistrement car elle a considéré qu’il s’agissait d’une donation indirecte au profit de sa fille. La mère de l’enfant a donc formé une réclamation au moment de la mise en recouvrement de l’imposition.
Sa réclamation ayant été rejetée, elle sollicite le dégrèvement total des droits d’enregistrement ainsi que des pénalités. La cour d’appel a accueilli favorablement son action et la direction régionale des finances publiques forme un pourvoi en cassation fondé sur un moyen unique. Elle souligne que conformément aux articles 551, 552 et 555 du Code civil l’accession opère de plein droit et immédiatement au profit du propriétaire du sol.
Ainsi, la Cour de cassation a eu à se prononcer sur le régime juridique et surtout fiscal des constructions réalisées par l’usufruitier (v. Fr. Terré, Ph. Simler). Sur cette question, la jurisprudence applique généralement le principe posé par l’article 599 alinéa 2 du Code civil à la fois aux améliorations et aux constructions faites par l’usufruitier (v. notamment Req. 4 nov. 1885 : « On doit considérer comme améliorations soit les constructions nouvelles s’ajoutant au fonds et en augmentant sa valeur, soit les constructions ayant pour effet d’achever un bâtiment commencé, ou bien d’agrandir un édifice préexistant »). Cet article dispose que l’usufruitier n’a droit à aucune indemnité pour les améliorations qu’il a faites à ses frais « encore que la valeur de la chose en fût augmentée ».
La décision du 19 septembre 2012 est une application classique de l’article 599 alinéa 2 du Code civil. Il s’agit d’un arrêt de rejet au motif qu’il n’y a pas eu d’enrichissement de la nue-propriétaire puisque l’accession n’interviendra qu’à l’extinction de l’usufruit viager c’est-à-dire au décès du père. Elle n’est donc pas soumise aux droits d’enregistrement en cours d’usufruit. Cette solution est critiquable au moins pour deux raisons :
– c’est une donation déguisée non taxée (à moins que les autres héritiers, lorsqu’il en existe, rapportent la preuve de l’intention libérale de leur auteur au moment du règlement de la succession, ce qui tendrait alors à envisager le rapport de la donation : Civ. 1re, 18 janv. 2012) ;
– elle crée une discrimination entre l’usufruitier et le possesseur de mauvaise foi. Ce dernier bénéficiant des dispositions de l’article 555 du Code civil qui prévoit une indemnisation en sa faveur égale soit à la plus-value apportée au fonds soit au prix des matériaux et coût de la main-d’œuvre. Il serait donc préférable d’unifier ces deux régimes pour assurer la cohérence du droit français.
Civ. 3e, 19 sept. 2012, n° 11-15.460
Références
■ S. Schiller, Droit des biens, 5e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2011, n°259.
■ Fr. Terré, Ph. Simler, Droit civil, Les biens, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2010, n°856 s.
[Droit civil]
« Donation ayant, en la forme, l’apparence d’un contrat d’une autre nature, spécialement d’un contrat à titre onéreux; par exemple vente d’un bien avec quittance du prix à un acheteur qui n’a rien payé. »
[Droit civil]
« Donation qui résulte d’un acte qui, par sa nature, ne comporte pas nécessairement une libéralité (ex. : remise de dette) et qui ne comporte aucun déguisement. »
[Droit civil]
« Droit réel principal, qui confère à son titulaire le droit d’utiliser une chose (usus) dont une autre personne est propriétaire et d’en percevoir les fruits (fructus), mais non celui d’en disposer (abusus), lequel appartient au nu-propriétaire. En revanche, l’usufruitier peut disposer de son propre droit : il peut ainsi céder son usufruit. »
Source : S. Guinchard, T. Debard, Lexique des termes juridiques 2013, 20e éd., Dalloz, 2013.
■ Code civil
« Tout ce qui s'unit et s'incorpore à la chose appartient au propriétaire, suivant les règles qui seront ci-après établies. »
« La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous.
Le propriétaire peut faire au-dessus toutes les plantations et constructions qu'il juge à propos, sauf les exceptions établies au titre "Des servitudes ou services fonciers".
Il peut faire au-dessous toutes les constructions et fouilles qu'il jugera à propos, et tirer de ces fouilles tous les produits qu'elles peuvent fournir, sauf les modifications résultant des lois et règlements relatifs aux mines, et des lois et règlements de police. »
« Lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, sous réserve des dispositions de l'alinéa 4, soit d'en conserver la propriété, soit d'obliger le tiers à les enlever.
Si le propriétaire du fonds exige la suppression des constructions, plantations et ouvrages, elle est exécutée aux frais du tiers, sans aucune indemnité pour lui ; le tiers peut, en outre, être condamné à des dommages-intérêts pour le préjudice éventuellement subi par le propriétaire du fonds.
Si le propriétaire du fonds préfère conserver la propriété des constructions, plantations et ouvrages, il doit, à son choix, rembourser au tiers, soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et le prix de la main-d’œuvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l'état dans lequel se trouvent lesdites constructions, plantations et ouvrages.
Si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers évincé qui n'aurait pas été condamné, en raison de sa bonne foi, à la restitution des fruits, le propriétaire ne pourra exiger la suppression desdits ouvrages, constructions et plantations, mais il aura le choix de rembourser au tiers l'une ou l'autre des sommes visées à l'alinéa précédent. »
« Le propriétaire ne peut, par son fait, ni de quelque manière que ce soit, nuire aux droits de l'usufruitier.
De son côté, l'usufruitier ne peut, à la cessation de l'usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu'il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée.
Il peut cependant, ou ses héritiers, enlever les glaces, tableaux et autres ornements qu'il aurait fait placer, mais à la charge de rétablir les lieux dans leur premier état. »
■ Req. 4 nov. 1885, DP 1886. 1. 361.
■ Civ. 1re, 18 janv. 2012, n° 11-12.863, RTD civ. 2012. 307, note Hauser.
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