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Droit de la responsabilité civile
Absence ou insuffisance d’informations sur la prise en charge du patient : vers une responsabilité présumée du professionnel de santé
Par dérogation au droit commun de la preuve, dans le cas d'une absence ou d'une insuffisance d'informations sur la prise en charge du patient, plaçant celui-ci dans l'impossibilité de s'assurer que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés ont été appropriés, il incombe au professionnel de santé d'en rapporter la preuve. Confirmé par l’arrêt rapporté, ce renversement de la charge de la preuve revient à présumer la faute du professionnel de santé.
Civ. 1re, 16 oct. 2024, n° 22-23.433
Depuis la loi du 4 mars 2002, la responsabilité médicale ne relève plus du champ contractuel. Elle repose sur un fondement délictuel autonome, l’article L. 1142-1, I, alinéa 1er, du Code de la santé publique, qui conditionne l’engagement de la responsabilité personnelle des professionnels de santé à la démonstration d’une faute médicale. Décisive, la charge de la preuve de cette faute, qui devrait en principe incomber au patient, pèse en réalité sur le praticien, ainsi contraint de renverser la présomption de faute que la Haute cour semble admettre en présence d’un compte-rendu opératoire incomplet et partant, insuffisant à informer le patient de la conformité de sa prise en charge.
Au cas d’espèce, lors d’une arthroscopie de la hanche réalisée par un chirurgien orthopédiste, une rupture d'une broche guide métallique était survenue et en raison de la persistance de ses douleurs, le patient dut se faire poser une prothèse. Il avait ensuite assigné en responsabilité et indemnisation le chirurgien. En l’absence de faute médicale avérée, la cour d’appel rejeta sa demande ; les juges du fond ont retenu, sur la base du rapport d’expertise, que la Société française d’arthroscopie (SFA) recommandait de commencer l’intervention pratiquée par une introduction d’air puis de sérum physiologique dans l’articulation traitée. Or cette introduction n’avait pas été retranscrite dans le compte-rendu opératoire mais lors de l’expertise, le chirurgien avait indiqué y recourir systématiquement. La cour d’appel en a alors déduit que l’état séquellaire de la victime pouvait avoir deux origines distinctes : sa constitution anatomique ou un manquement du chirurgien, qui n’aurait pas suivi les recommandations de la SFA. Toutefois, dans la mesure où chacune des branches de l’alternative ne formait qu’une hypothèse, la faute du chirurgien, non rapportée par la victime, n’était pas avérée, empêchant d’engager la responsabilité du professionnel de santé. À la suite du pourvoi formé par le patient, la première chambre civile casse la décision des juges du fond. Au double visa des articles L. 1142-1, I, alinéa 1er, du Code de la santé publique et 1353 du Code civil, la Haute juridiction rappelle que la responsabilité civile du médecin est une responsabilité pour faute prouvée. Elle précise en ce sens que sur le plan probatoire, par dérogation au droit commun, en cas de défaut ou d’insuffisance d’informations sur la prise en charge du patient, privant ce dernier de la possibilité de s’assurer que les actes de soins réalisés ont été appropriés, il incombe au médecin de rapporter la preuve de la bonne exécution de son obligation. Pourtant défendeur à l’instance, le praticien se trouve donc demandeur à la preuve : c’est sur lui que pèse la charge de prouver qu’il a valablement exécuté son obligation de prodiguer des actes de soins « appropriés », c’est-à-dire conformes aux données acquises de la science. Et la Haute juridiction d’aller encore plus loin en ouvrant ainsi la voie, dans cette hypothèse, à une présomption de faute du praticien.
En l’espèce, prodiguer des soins appropriés – et donc conformes aux données acquises de la science à l’époque des soins – impliquait, pour le praticien, de suivre les recommandations de la SFA. S’en être affranchi constituerait une faute de nature à engager sa responsabilité personnelle. Concernant l’existence de la faute, la solution n’appelle pas de plus amples observations : désormais prévue par la loi (C. santé publ., L. 1142-1, I, alinéa 1er et R. 4127-8), cette obligation de prodiguer des soins appropriés est requise et constante depuis l’arrêt Mercier (Civ. 20 mai 1936, Dr Nicolas c/ Mercier, GAJC, 13e éd., 2015, n° 162 ; Civ.1re, 14 oct. 2010, n° 09-68.471). C’est sur le terrain de la charge de la preuve que la solution doit retenir notre attention, la première chambre civile confirmant son choix, par faveur pour les victimes, de renverser la charge de la preuve en cas d’incomplétude du dossier médical (v. Civ.1re, 2012, n° 11-27.347 ; Civ.1re, 9 avr. 2014, n° 13-14.964 ; Civ.1re, 26 sept. 2018, n° 17-20.143). Conformément à l’article 1353 alinéa 1er du Code civil, que la Haute juridiction rappelle dans son visa, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Transposée au domaine de la responsabilité médicale, cette règle issue du droit commun de la preuve devrait conduire à faire peser sur la victime la charge de prouver que le médecin a commis une faute à l’origine de son dommage. En l’espèce, ce serait donc au patient de prouver que le chirurgien n’a pas respecté les recommandations de la SFA, et ce fut d’ailleurs en application de cette disposition que la Cour d’appel avait, faute pour la victime d’y être parvenue, rejeté son action en responsabilité. Par exception cependant, en cas d’absence ou d’insuffisance d’informations sur la prise en charge du patient, la première chambre civile opère un renversement de la charge de la preuve, qui incombe donc au médecin, ce qui justifie en l’espèce la censure des juges du fond. En l’espèce, le compte-rendu opératoire ne mentionnait pas que les préconisations de l’ASP avaient été respectées. Cette lacune obligeait le chirurgien à rapporter par d’autres moyens la preuve qu’il les avait effectivement suivies en ayant réalisé l’introduction préconisée, c’est-à-dire qu’il n’avait pas commis de faute. Ce qui revient, dans ces circonstances, à présumer sa faute : si le compte-rendu opératoire est incomplet, privant le patient d’une information suffisante sur la conformité de sa prise en charge, alors la faute du praticien sera présumée. Ce sera donc au praticien de rapporter la preuve contraire que les soins prodigués l’ont été conformément aux données médicales en vigueur au moment de l’intervention.
Références :
■ Civ. 20 mai 1936, Dr Nicolas c/ Mercier
■ Civ.1re, 14 oct. 2010, n° 09-68.471 : RTD civ. 2011. 135, obs. P. Jourdain
■ Civ.1re, 13 déc. 2012, n° 11-27.347 : D. 2013. 12 ; ibid. 2802, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon ; RTD civ. 2013. 386, obs. P. Jourdain
■ Civ.1re, 9 avr. 2014, n° 13-14.964
■ Civ.1re, 26 sept. 2018, n° 17-20.143 : D. 2018. 1917 ; ibid. 2153, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; RTD civ. 2019. 119, obs. P. Jourdain
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