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Droit des obligations
Abus d’une clause de déchéance du terme : impossibilité d’une exigibilité immédiate, peu important la mise en demeure du débiteur
Entremêlant droit spécial du contrat et régime général de l’obligation, la Cour de cassation précise les conséquences de la sanction du réputé non écrit d’une clause de déchéance du terme d’un contrat de prêt déclarée abusive par le juge de l’exécution.
Civ. 2e, 3 oct. 2024, n° 21-25.823
Poursuivant sa lutte contre les clauses abusives proscrites par le droit de la consommation, la Cour de cassation recourt au régime général de l’obligation pour juger, dans une décision rendue le 3 octobre dernier, que l’abus d’une clause de déchéance du terme rend impossible l’exigibilité immédiate de créances affectées d’un terme suspensif, peu important la mise en demeure préalable du débiteur.
Les faits à l’origine du pourvoi sont classiques. Un établissement bancaire consent un crédit à deux personnes physiques, conclu sous forme notariée. Se fondant sur cet acte authentique, le créancier poursuit la saisie immobilière d’un immeuble dont les débiteurs, s’étant révélés défaillants, sont propriétaires. Dans cette perspective, la banque créancière délivre à ces derniers un commandement de payer et les assigne à une audience d’orientation. Lors de l’audience, les débiteurs font valoir que la créance n’est pas exigible dans la mesure où la déchéance du terme n’a pas été prononcée à l’égard de l’un d’eux. Ce moyen est écarté par le juge de l’exécution. Par une première décision de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Civ. 2e, 19 nov. 2020, n° 19-19.269), l’arrêt rendu en cause d’appel est cassé au motif que les juges du fond se sont fondés sur des conclusions prises à l’occasion d’une mesure d’exécution antérieurement engagée pour en déduire un aveu judiciaire. Voici donc l’affaire portée devant la même cour d’appel, mais autrement composée, qui déclare abusive la clause d’exigibilité immédiate stipulée au contrat en raison, d’une part, de son caractère très général – la clause visant une défaillance pour une « somme due à quiconque » - et, d’autre part, de son lien de connexité avec d’autres contrats. Toutefois, après avoir fixé la créance de la banque à l’égard de l’un des deux débiteurs à une certaine somme la cour d’appel autorise la vente de l’immeuble, qu’elle justifie par l’envoi d’une lettre de mise en demeure, avant la déchéance du terme, au débiteur condamné. Les débiteurs se pourvoient en cassation pour contester la faculté ainsi laissée à la banque d’invoquer l’exigibilité immédiate des sommes réclamées, alors que la clause de déchéance du terme a été réputée non écrite. Adhérant au moyen du pourvoi, le présent arrêt aboutit à une cassation pour violation de la loi, que la deuxième chambre civile justifie par la confusion opérée par les juges du fond concernant la portée du réputé non écrit de la clause abusive. La cour d’appel avait à tort admis que la banque ayant régulièrement délivré une mise en demeure à l’un des débiteurs, elle pouvait exiger de lui un paiement immédiat des sommes dues, ce qui revenait à assimiler clause de déchéance du terme simple et simple clause de dispense de mise en demeure préalable. Il est vrai que la clause litigieuse mêlait les deux procédés au sein d’une même stipulation contractuelle ce qui, en pratique, se révèle très fréquent. Cependant, s’il est vrai que si par son annulation, la clause de déchéance du terme est censée n’avoir jamais existé, le contrat de prêt continue d’être affecté par les termes suspensifs fixés contractuellement par les parties. Par conséquent, la banque ne pouvait pas, nonobstant la mise en demeure du débiteur, poursuivre l’exécution de l’intégralité des sommes dues. Elle devait cantonner sa voie d’exécution aux seules sommes exigibles. Autrement dit, dans ce contexte contractuel, l’envoi d’une mise en demeure est indifférent. Sans clause valide de déchéance du terme, l’exigibilité immédiate de toutes les sommes restant dues ne peut, en toutes hypothèses, être obtenue. Sous l’angle de la technique contractuelle, et du régime général de l’obligation, la solution est logique : la clause de déchéance du terme constitue en effet le seul moyen d’obtenir l’exigibilité immédiate d’obligations accompagnées d’une modalité telle qu’un terme suspensif, si bien que la cour d’appel ne pouvait pas à la fois décider d’éradiquer la clause de déchéance du terme et d’en conserver la teneur, au détriment de l’un des débiteurs, au motif qu’il avait reçu une mise en demeure.
Pour pallier la défaillance de son débiteur, la banque créancière se voit ainsi démunie de l’outil pourtant contractuellement convenu à son profit de l’exigibilité immédiate. Amputé de cette clause abusive, le contrat doit en effet se poursuivre jusqu’à son dernier terme suspensif pour admettre que la banque puisse agir en sorte de recouvrer son dû, notamment par une saisie immobilière, la valeur de l’immeuble saisi s’appréciant par rapport aux montants individuels de chaque mensualité exigible.
Renforcée par cette nouvelle décision, la lutte contre les clauses abusives doit inviter les établissements bancaires à porter une attention toute particulière à la rédaction des conventions de prêt. L’imprécision ou l’ambiguïté des termes des clauses de déchéance du terme tombera en effet sous le coup du réputé non écrit. Le prononcé de cette sanction, sous l’influence croissante de la Cour de justice de l’Union européenne et de son interprétation rigoureuse de la directive 93/13/CEE, semble désormais inévitable (v. déjà, Civ. 1re, 29 mai 2024, n° 23-12.904). En outre, la décision rapportée rappelle qu’en dépit de son caractère partiel, l’annulation emporte des conséquences drastiques pour le créancier.
Références :
■ Civ. 2e, 19 nov. 2020, n° 19-19.269 : AJDI 2021. 142
■ Civ. 1re, 29 mai 2024, n° 23-12.904 : DAE 20 juin 2024, note Merryl Hervieu, D. 2024. 1012
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