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Droit des obligations
Abus d’une clause de déchéance du terme sans délai de préavis raisonnable
La brièveté du délai prévu par la clause d’un contrat de prêt, permettant au prêteur de résilier de plein droit le contrat après une mise demeure de paiement restée infructueuse pendant quinze jours, crée un déséquilibre significatif au détriment de l’emprunteur ; cette clause de déchéance du terme doit en conséquence être réputée non écrite.
Civ. 1re, 29 mai 2024, n° 23-12.904
Prolongeant sa démarche d’alignement sur la jurisprudence de la CJUE (v. réc. CJUE 25 avr. 2024, aff. C-561/21 et C-484/21 ; CJUE 21 mars 2024, aff. C-714/22), la première chambre civile de la Cour de cassation confirme par ce nouvel arrêt sa volonté d’accroître la protection du consommateur-emprunteur (comp. Civ. 1re, 22 mars 2023, n° 21-16.476 et n° 21-16.044).
Les faits de l’arrêt étaient classiques. Un prêt immobilier avait été consenti par un établissement bancaire le 18 juillet 2011 à un emprunteur, personne physique. Le contrat stipulait une clause de déchéance du terme permettant à la banque d’exiger immédiatement l’intégralité des sommes dues au titre du prêt en cas de défaut de paiement d’une échéance à sa date convenue et ce, après une mise en demeure restée infructueuse pendant quinze jours. Le 30 mars 2018, la défaillance de l’emprunteur avait conduit la banque à le mettre en demeure de régulariser sa situation. Faute pour l’emprunteur d’avoir respecté le délai de quinze jours, la déchéance du terme avait été prononcée, le 5 juin suivant. En cause d’appel, l’emprunteur fut condamné, en application de la clause prévue, à verser à la banque une certaine somme avec intérêt au taux contractuel de 4,05 %. Convoquant le droit de la consommation, l’emprunteur s’est pourvu en cassation, reprochant à l’arrêt de ne pas avoir réputé non écrite cette clause abusive du prêt permettant d’emporter la déchéance du terme après un trop bref délai de préavis. La première chambre civile adhère à la thèse du pourvoi. Dans la ligne de ses précédentes décisions, se trouvent d’abord rappelés les critères de l’abus d’une clause de déchéance du terme stipulée dans un contrat de prêt, qu’elle avait dégagés sous l’influence non dissimulée des juges européens (CJUE 26 janv.2017, Banco Primus, aff.C-421/14, citée au pt 5) : le caractère essentiel de l’obligation inexécutée par le consommateur ; la gravité de l’inexécution au regard de la durée et du montant du prêt ; le caractère dérogatoire au droit commun qui serait applicable sans la clause litigieuse ; l’existence de moyens « adéquats et efficaces » permettant au consommateur de remédier aux effets de cette exigibilité. Les Hauts magistrats confirment également la méthode globale d’appréciation de l’abus, qui doit reposer sur un faisceau d’éléments convergeant vers l’existence d’un déséquilibre significatif, déduite de la combinaison des critères précités. En application de cette méthode interprétative optée par les juges européens (CJUE, 8 déc. 2022, aff. C-600/21, cité au pt 6, rendue sur renvoi préjudiciel, v. Civ. 1re, 16 juin 2021, n° 20-12.154), la Cour de cassation juge ici la brièveté du délai de quinze jours pour mettre en demeure le prêteur devenu défaillant incompatible avec l’exigence d’un délai de préavis raisonnable qui s’infère de la jurisprudence Banco Primus. Il est vrai qu’un délai de quinze jours, au regard de la durée globale du prêt, semblait d’une brièveté excessive. En outre, l’« aggravation soudaine des conditions de remboursement » du capital prêté (pt 8) qui se trouve ainsi infligée au débiteur déchu du terme prévu prive ce dernier de la possibilité de résoudre, par des moyens adaptés, les problèmes d’exigibilité rencontrés. La qualification de clause abusive devait ainsi être consacrée : « la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur » (pt 8).
Au regard du droit de la consommation, depuis toujours hostile à l’unilatéralité des prérogatives conférés à la partie forte au contrat, la brièveté du délai de mise en demeure trahit l’usage abusif d’une prérogative contractuelle détenue par le prêteur, soit la résiliation de plein droit du contrat. Par le pouvoir unilatéral qu’elle confère déjà à son créancier, la clause de déchéance du terme ne doit donc pouvoir être mise en œuvre qu’à l’issue d’un délai de préavis suffisant laissé au débiteur. Encore faut-il s’entendre sur la durée de ce délai raisonnable. Sur ce point, la décision rapportée n’apporte pas d’éléments précis, ce qui peut être regretté, la généralité des indices donnés au niveau européen méritant, dans l’intérêt des créanciers, d’être affinés, par exemple en référence aux précisions apportées, en droit des contrats, au « préavis raisonnable » requis pour la résiliation des contrats à durée indéterminée (C. civ., art. 1121, G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 3e éd., Dalloz, 2024, n°594, p. 627).
Références :
■ CJUE 25 avr. 2024, aff. C-561/21 et C-484/21 : D. 2024. 821
■ CJUE 21 mars 2024, aff. C-714/22 : D. 2024. 597
■ Civ. 1re, 22 mars 2023, n° 21-16.476 et n° 21-16.044 : AJDI 2023. 46
■ CJUE 26 janv. 2017, Banco Primus, aff. C-421/14 : D. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2017. 525, obs. M. Moreau, J. Moreau et O. Poindron
■ CJUE, 8 déc. 2022, aff. C-600/21 : D. 2022. 2220 ; ibid. 2023. 1869, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RDI 2023. 406, obs. J. Bruttin
■ Civ. 1re, 16 juin 2021, n° 20-12.154 : D. 2021. 1619, note A. Etienney-de Sainte Marie ; RTD eur. 2022. 203, obs. A. Jeauneau
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