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Droit du travail - relations individuelles
Accepter une rétrogradation disciplinaire n’est pas approuver la sanction
L'acceptation par le salarié de la modification du contrat de travail proposée par l'employeur à titre de sanction disciplinaire n'emporte pas renonciation du droit à contester la régularité et le bien-fondé de la sanction.
Soc. 14 avril 2021, n° 19-12-180
Pouvoir et contrat se heurtent sans cesse en droit du travail. Le pouvoir trouve une limite juridique dans le contrat. Mais le contrat ne saurait dissimuler le pouvoir. C’est ce jeu subtil entre pouvoir et contrat que l’on retrouve au cœur de l’arrêt du 14 avril 2021 dont la solution, sans être nouvelle, mérite pourtant d’être rappelée (Soc. 18 juin 1997, n° 97-40.598). En l’espèce, pour des raisons non indiquées dans l’arrêt, un salarié se voit proposer une rétrogradation disciplinaire. Initialement responsable de patrimoine, il lui est proposé, sous réserve de son accord, d’être bibliothécaire avec une baisse de rémunération d’environ 700 euros par mois. En revanche, s’il refuse, l’employeur se réserve la possibilité de reprendre la procédure et envisager un licenciement. Le salarié signe l’avenant portant rétrogradation disciplinaire. Toutefois, il saisit ensuite le conseil des prud’hommes et demande l’annulation de cette sanction et sa réintégration dans son poste initial. Les premiers juges le suivent mais la cour d’appel le déboute au motif qu’il a accepté en toute connaissance de cause la sanction qui lui était proposée et qu’il n’est donc plus légitime à la contester. Autrement dit, pour les juges du fond, accepter la rétrogradation équivaut en quelque sorte à plaider coupable. La Cour régulatrice censure très logiquement ce raisonnement. L’acceptation d’une modification du contrat ne saurait être assimilée à l’approbation d’une sanction.
Faut-il le rappeler, depuis 1996, la Cour de cassation distingue le pouvoir de direction d’une part et le contrat d’autre part. Le pouvoir s’impose au salarié, un ordre s’exécute et son refus l’expose à une sanction disciplinaire qui est logiquement subie par le salarié. À l’inverse, le contrat est la loi des parties : l’une ne peut unilatéralement imposer une modification à l’autre. Très vite, la Cour régulatrice a dû trancher la question des sanctions emportant modification du contrat comme la rétrogradation ou la mutation disciplinaire. Confrontée à une opposition inextricable entre la logique disciplinaire (la sanction s’impose) et la logique contractuelle (toute modification d’un élément contractuel implique un consentement), les magistrats ont fait le choix du contrat. Lorsqu’une sanction emporte modification du contrat, l’employeur doit demander au salarié s’il accepte la mesure. (Soc. 16 juin 1998, n° 95-45.033). La Cour va même plus loin en exigeant de l’employeur qu’il informe au préalable le salarié qu’il a la faculté d’accepter ou de refuser (Soc. 29 mai 2013, n° 12-13.437). Toutefois, si le salarié refuse, aucune sanction n’a donc été prononcée et l’employeur peut dès lors en choisir une autre. Lorsque l’employeur opte pour une mesure qui n’implique pas la rupture du contrat, il n’est pas tenu d’organiser un nouvel entretien préalable (Soc. 25 mars 2020, n° 18-11.433). Mais si le licenciement est envisagé (Soc. 11 févr. 2009, n° 06-45.897), il doit alors convoquer le salarié dans un délai de 2 mois à compter de son refus exprès (Soc. 15 janv. 2013, n° 11-28.109) voire implicite (Soc. 27 mai 2021, n° 19-17.587:lorsque l'employeur précise la date à l'expiration de laquelle l'absence de réponse du salarié vaut refus, c'est cette date qui fait courir le délai de 2 mois même si le salarié confirma ensuite expressément son refus). Le choix du salarié n’est donc pas simple, le pouvoir disciplinaire de l’employeur n’est pas paralysé. S’il refuse la modification du contrat proposée, il s’expose à un licenciement. Bien sûr il pourra contester la réalité ou le sérieux de la faute qui motive son licenciement, mais, en cas de succès, il n’obtiendra que des dommages-intérêts. Le juge n’est pas habilité à annuler un licenciement irrégulier en la forme, injustifié ou disproportionné à la faute commise (C. trav., art. L. 1333-3). Le salarié aura définitivement perdu son emploi ! À l’inverse, s’il accepte la rétrogradation disciplinaire, il lui reste un espoir de faire annuler la sanction qu’il estime injustifiée et d’être ainsi réintégré dans ses précédentes fonctions (C. trav., art. L. 1333-2). Le salarié a donc un intérêt certain à accepter la modification du contrat et contester ensuite la sanction.
Ce consentement peut-il se retourner contre lui ? Autrement dit, l’employeur peut-il arguer du consentement pour faire valoir que tout retour en arrière est impossible ? En l’espèce, le salarié avait renvoyé l’avenant signé et comportant la mention « lu et approuvé » dans lequel figurait son nouvel emploi avec ses attributions et ses conditions salariales. L’acceptation était expresse, faite en toute connaissance de cause, sans pression. Pour l’employeur comme pour la cour d’appel, le consentement excluait donc toute remise en cause de la rétrogradation. Ce raisonnement « contractuel » est en réalité faussé car il omet que le pouvoir est à l’origine de la proposition. Le salarié n’a pas « approuvé » la sanction, il a accepté la modification du contrat, ce qui est très différent. Une sanction peut toujours être contestée devant le conseil des prud’hommes à qui il appartient de vérifier la réalité des faits invoqués, leur caractère fautif, la licéité de la sanction choisie (en particulier sa mention dans le règlement intérieur) ou encore la proportionnalité de la sanction au regard de la faute reprochée. La recevabilité des éléments probatoires peut également être discutée (C. trav., art. L. 1333-1). À l’issu de son contrôle, le juge peut annuler la sanction (C. trav., art. L. 1333-2) et ordonner le retour à la situation initiale. Évacuer toutes ces étapes qui encadrent le pouvoir disciplinaire au prétexte que le salarié a accepté la mesure serait donner un poids considérable au pouvoir alors que la jurisprudence née en 1996 a justement vocation à le borner.
Il reste que l’arrêt met en relief une question intéressante. Lorsqu’un salarié accepte une modification de son contrat, il ne peut plus en théorie se rétracter : le changement est définitif et il ne peut pas exiger le retour aux conditions antérieures. Or les relations de travail génèrent des rapports de pouvoir de fait, le salarié est sous l’emprise d’une domination économique et sa volonté est nécessairement suspecte. Dans quelle mesure la cause d’une modification acceptée par le salarié est-elle contrôlable par le juge ? Lorsque, comme en l’espèce, la mesure peut être qualifiée de sanction, le recours à l’article L. 1333-1 du Code du travail permet facilement d’annuler une modification contractuelle, même acceptée. De la même manière si un salarié acceptait une mutation qui s’avèrerait discriminatoire, le juge pourrait prononcer sa nullité car il existe un texte (C. trav., art. L. 1132-4). En revanche, la situation des salariés qui acceptent des modifications contractuelles en raison d’une soi-disant incompétence ou de vagues difficultés économiques parait plus délicate. Aucun texte ne fonde la nullité de la mesure acceptée mais pourtant injustifiée.
Références
■ Soc. 18 juin 1997, n° 97-40.598
■ Soc. 16 juin 1998, n° 95-45.033 P : D. 1999. 125, note C. Puigelier ; ibid. 171, obs. M.-C. Amauger-Lattes ; ibid. 359, chron. J. Mouly ; Dr. soc. 1998. 803, rapp. P. Waquet ; ibid. 1999. 3, note C. Radé
■ Soc. 29 mai 2013, n° 12-13.437
■ Soc. 25 mars 2020, n° 18-11.433 P : D. 2020. 770 ; RDT 2020. 337, obs. P. Adam
■ Soc. 11 févr. 2009, n° 06-45.897 P : D. 2009. 1738, obs. S. Maillard, note J. Mouly
■ Soc. 15 janv. 2013, n° 11-28.109 P : D. 2013. 255 ; Dr. soc. 2013. 277, obs. J. Mouly ; ibid. 576, chron. S. Tournaux
■ Soc. 27 mai 2021, n° 19-17.587
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