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[ 19 avril 2022 ] Imprimer

Procédure pénale

Accès au dossier en comparution immédiate : la remise d’un CD-ROM implique le prêt d’un lecteur

Quand une personne est déférée devant le procureur de la République en vue de sa comparution devant le tribunal correctionnel selon la procédure de la comparution immédiate ou de la comparution différée, la personne ou son avocat peut consulter sur le champ le dossier. Sa remise par CD-ROM implique, le cas échéant, de mettre à disposition le matériel nécessaire à sa lecture effective.

Crim. 9 mars 2020, no 21-82.580 B

Renvoyé devant le tribunal correctionnel pour des faits de vol, le prévenu souleva la nullité du procès-verbal de comparution immédiate pour défaut de consultation effective du dossier dès lors qu'il avait été remis à son conseil sous forme d'un CD-ROM sans mise à disposition du matériel adéquat pour le consulter. Cette exception fut rejetée et le prévenu fut condamné. La cour d’appel confirma ce rejet au motif qu’aucune disposition légale ne prévoyait la mise à disposition par l’autorité judiciaire d’un tel matériel au conseil du prévenu lors d’un déferrement en vue d’une comparution immédiate.

Fondé sur les articles préliminaire et 393 du code de procédure pénale et l’article 6 de la Conv. EDH, le pourvoi soulevait, dans un premier moyen, la même irrégularité. Mais cette fois, la chambre criminelle constate la violation des dispositions invoquées, faisant prévaloir l’effectivité des droits de la défense sur la lettre du code de procédure pénale. Statuant au visa des articles 6 § 3 de la Conv. EDH et 393 du code de procédure pénale, la Haute cour énonce ainsi que « la libre consultation du dossier de la procédure implique la mise à disposition, de la personne déférée et de son avocat, du matériel nécessaire à sa lecture effective ».

L’article 6 § 3 Conv. EDH garantit à tout « accusé » au sens de la Convention le droit de « disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de la défense » (art. 6 § 3, b). L’article 6 § 3 b) porte sur deux éléments d’une défense véritable, la question des facilités et celle du temps (V. Guide sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, Droit à procès équitable [volet pénal], § 418, p. 82, ici), qui prennent un relief particulier dans le cadre des procédures de jugement à délai rapproché (comparution différée) voire très rapproché (comparution immédiate). La jurisprudence européenne nous enseigne que les « droits de la défense » visent à rétablir, dans la mesure du possible, l’égalité entre l’accusation et la défense (CEDH 20 janv. 2005, Mayzit c/ Russie, n° 63378/00, § 79 ; v. déjà Comm. EDH 14 déc. 1981, Jespers c/ Belgique, n° 8403/78, § 55). À ce titre, les « facilités » devant bénéficier à l’accusé pour la préparation de sa défense incluent notamment l’accès au dossier et la communication des pièces pertinentes. Ainsi, lorsque l’accusé a été autorisé à se défendre lui-même, lui refuser l’accès au dossier s’analyse en une violation des droits de la défense (CEDH 18 mars 1997, Foucher c/ France, n° 22209/93, § 33-36).

L’article 393 du code de procédure pénale, qui organise la procédure de défèrement devant le procureur de la République lorsque celui-ci envisage de poursuivre une personne en application des articles 394 (convocation par procès-verbal), 395 (comparution immédiate) et 397-1-1 (comparution différée), prévoit notamment, à peine de nullité, que « l'avocat ou la personne déférée lorsqu'elle n'est pas assistée par un avocat peut consulter sur-le-champ le dossier ».

En l’espèce, l’accès au dossier a bien été permis, en théorie, par le biais de la remise d’un CD-ROM. Mais faute d’avoir disposé du matériel pour lire le contenu du support numérique (lecteur de CD-ROM, devenu chose rare, à l’instar des CD-ROM eux-mêmes), le conseil du prévenu n’a pu accéder effectivement au contenu du dossier de son client. Le respect des droits de la défense s’appréciant in concreto (« à la lumière des circonstances propres à chaque espèce », selon l’expression consacrée par la CEDH), il incombait à l’autorité judiciaire de fournir un moyen de lecture du CD-ROM. En refusant d’annuler la procédure alors que la défense n’avait pas bénéficié des facilités nécessaires pour accéder au dossier, la cour d’appel a donc violé les textes susvisés. La solution s’inscrit pleinement dans la jurisprudence de la Cour européenne qui rappelle régulièrement, depuis l’arrêt Airey c/ Irlande de 1979, que « la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs » (Comm. EDH 9 oct. 1979, no 6289/73, § 24).

Le second moyen, tenant à l'absence de traduction de l'avis ayant informé le prévenu du recours à la visioconférence pour sa comparution devant la cour d’appel, est également accueilli. Statuant au visa des articles préliminaire et 706-71 du code de procédure pénale, la chambre criminelle retient que « si l'avis sollicitant l'accord du prévenu pour comparaître devant la juridiction de jugement par visioconférence à l'occasion de son jugement sur le fond ne figure pas à l'énumération des paragraphes 1° à 4° de l'article D. 594-6 du code de procédure pénale, il n'en constitue pas moins une pièce essentielle à la garantie du caractère équitable du procès, ce qui impose sa traduction, lorsque le prévenu ne comprend pas le français ».

L’article 706-71 encadre l’utilisation de moyens de télécommunication au cours de la procédure et il permet le recours à la visioconférence pour la comparution du prévenu devant le tribunal correctionnel si celui-ci est détenu « avec l’accord du procureur de la République et de l’ensemble des parties ». Quant à l’article préliminaire, il confère à toute personne suspectée ou poursuivie un droit général « à la traduction des pièces essentielles à l’exercice de sa défense et à la garantie du caractère équitable du procès ». L’article D. 594-6 prévoit une (courte) liste de décisions devant obligatoirement donner lieu à traduction (décisions en matière de détention provisoire ; décisions de saisine de la juridiction de jugement ; décisions statuant sur l’action publique et portant condamnation ; procès-verbal de première comparution ou de mise en examen supplétive). Pour autant cette liste n’est pas limitative, le texte s’appliquant « Sans préjudice de la possibilité pour le procureur de la République ou pour la juridiction d'instruction ou de jugement saisie d'ordonner, d'office ou à la demande de la personne, la traduction d'un document considéré comme essentiel à l'exercice de la défense et à la garantie du caractère équitable du procès ». Ainsi, au regard des répercussions sur l’exercice de la défense de la modalité de comparution, l’avis sollicitant l’accord du prévenu pour le recours à la visioconférence doit donner lieu à traduction.

Références :

■ CEDH 20 janv. 2005, Mayzit c/ Russie, n° 63378/00 : AJ pénal 2005. 165, obs. M. Herzog-Evans.

■ Comm. EDH 14 déc. 1981, Jespers c/ Belgique, n° 8403/78

■ CEDH 18 mars 1997, Foucher c/ France, n° 22209/93 : D. 1997. 360, obs. J.-F. Renucci ; RSC 1997. 891, obs. L.-E. Pettiti ; ibid. 1998. 395, obs. R. Koering-Joulin.

■ Comm. EDH 9 oct. 1979, Airey c/ Irlande, no 6289/73

■ V. Ch. Guéry, Rép. pén. Dalloz, vo Comparution immédiate

■ V. F. Saint-Pierre, Rép. pén. Dalloz, vo Défense pénale

 

Auteur :Sabrina Lavric


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