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Droit de la responsabilité civile
Accident de la circulation : appréciation de la faute exclusive de l’indemnisation de la victime conductrice
Mots-clefs : Accident de la circulation, Collision, Implication de plusieurs véhicules, Conducteur victime, Faute exclusive d’indemnisation, Appréciation
Exclusive ou limitative de son droit à indemnisation, la faute du conducteur victime doit être appréciée en faisant abstraction du comportement de l’autre conducteur du véhicule impliqué dans l’accident.
Une collision s'était produite entre une motocyclette et une automobile. Pour exclure l’indemnisation des dommages subis par le motocycliste, la cour d’appel retint, notamment, qu’avant d’effectuer son demi-tour, le conducteur de l’automobile avait pris toutes les précautions nécessaires ; qu’il avait certes empiété sur la voie du motocycliste mais qu’il avait stoppé sa progression puis laissé libre la partie la plus à gauche où circulait le motocycliste ainsi que les autres voies ; la cour souligna également que le véhicule du motocycliste n’avait pu éviter, du fait de sa vitesse et des problèmes survenus lors du freinage d’urgence, la voiture, qui était à l’arrêt ; enfin, la cour ajouta que, nonobstant l’implication du conducteur de la voiture, la victime ne rapportait pas la preuve de la commission, par ce dernier, d’une faute civile distincte de celle objet de la prévention et que la faute de la victime était la cause exclusive de l’accident. Au visa des articles 1er et 4 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, la chambre criminelle censure cette décision. Rappelant le principe selon lequel lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l'indemnisation des dommages qu'il a subis, à moins qu’il n’ait commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice, en sorte qu'il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement si cette faute a pour effet de limiter l'indemnisation ou de l'exclure en faisant abstraction du comportement de l’autre conducteur, elle reproche en vertu de cette règle aux juges du fond d’avoir exigé de la victime qu’elle rapportât la preuve d’une faute commise par l’autre conducteur impliqué dans l’accident, alors qu’il leur appartenait, en faisant abstraction du comportement de ce dernier, de rechercher si la victime avait commis une faute de nature à exclure ou à limiter son droit à indemnisation.
La décision rapportée offre l’occasion de rappeler que la Cour de cassation interdit aux juges du fond, certes souverains dans leur appréciation, de tenir compte du comportement du conducteur défendeur pour mesurer l’effet de la faute de la victime conductrice sur son droit à être indemnisée. En effet, la Cour oppose depuis une quinzaine d’années une censure systématique aux nombreuses juridictions du fond qui continuent, comme en témoigne l’espèce commentée, d’exclure le droit à indemnisation du conducteur victime au motif que sa faute est la cause exclusive du dommage qu’il a subi. Cette prise en compte n’est pourtant pas illogique. Comme un auteur a pu l’écrire, « la simple référence au caractère exclusif de la faute de la victime à titre d’élément d’appréciation de l’incidence de la faute de la victime est tout à fait conforme à la liberté qui est reconnue (aux juridictions du fond) » (P. Jourdain, RTD. civ. 2005. 790, obs. ss Crim., 31 mai 2005, n° 04-86.476 et 04-86.231). D’ailleurs, la chambre criminelle s’était un temps ralliée à cette opinion, exerçant son contrôle de manière mesurée : si elle s’abstenait de censurer les juridictions du fond par cela seul qu’elles avaient pris en considération le comportement de l’autre conducteur, elle exigeait toutefois qu’elles justifient par ailleurs leur décision par une appréciation de la faute de la victime (En ce sens, déclarant seulement « surabondants » les motifs relatifs au comportement du défendeur, Crim., 4 nov. 2003, n° 03-81.128 ; Crim. 27 juin 2006, n° 05-86.372 et n° 05-87.343). Et dans un arrêt du 6 avril 2007, la Cour de cassation réunie en assemblée plénière parut rejoindre ses vues (Ass. plén., n° 05-15.950 et n° 05-81.350). Cependant, et dans le même temps, la chambre criminelle rejoignait aussi parfois la jurisprudence plus rigoureuse de la deuxième chambre civile (V. parmi beaucoup d’autres, Civ. 2e, 13 oct. 2005, n° 04-17.428), dépassant les termes de sa position habituelle lorsqu’elle affirmait déjà plus radicalement que la faute du conducteur victime doit être appréciée en faisant abstraction du comp ortement de l’autre conducteur du véhicule impliqué dans l’accident (Crim., 31 mai 2005, n° 04-86.476 et n° 04-86.231) Donnée d’une main, la liberté souveraine d’appréciation des juges du fond se voyait ainsi confisquée de l’autre (Ph. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz action, n° 8154). En creux de cette jurisprudence intransigeante ici réaffirmée se dessine finalement un critère de distinction entre faute exclusive et faute limitative du droit à indemnisation. En effet, puisqu’il est proscrit au juge de rechercher si la faute du conducteur victime est la cause exclusive du dommage, le seul critère d’appréciation possible est celui du degré de gravité de la faute du conducteur victime pour déterminer dans quelle mesure il convient de limiter ou même d’exclure le droit à indemnisation du conducteur victime. En l’espèce, c’est bien parce que cette recherche n’a pas été opérée par les juges du fond, dont l’appréciation fut à tort centrée sur le seul comportement de l’autre conducteur pour exclure le droit à réparation de la victime conductrice, que leur décision fut censurée. Or il est sans doute raisonnable de penser que la suppression du droit à réparation suppose que la faute commise par le conducteur victime présente une certaine gravité ce qui, dans cette affaire, n’a pas été démontré.
Crim., 16 février 2016, n° 15-80.705
Références
■ Crim., 31 mai 2005, n° 04-86.476 P et 04-86.231 P, D. 2005. 1806 ; RTD. civ. 2005. 790, P. Jourdain.
■Crim., 4 nov. 2003, n° 03-81.128.
■ Crim. 27 juin 2006, n° 05-86.372 P et n° 05-87.343 P, RTD civ. 2006. 781, obs. P. Jourdain.
■ Ass. plén., 6 avr. 2007, n° 05-15.950 P et n° 05-81.350 P ; D. 2007. 1839, note H. Groutel ; ibid. 1199, obs. I. Gallmeister ; RTD civ. 2007. 789, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 2e, 13 oct. 2005, n° 04-17.428 P., D. 2006. 425, note E. Cornut.
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