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Droit de la responsabilité civile
Accident de la circulation causé par un mineur : la loi Badinter s’applique à ses parents
Civilement responsables et couverts par une assurance de responsabilité civile, les parents du mineur ayant conduit un véhicule à leur insu sont, en l'absence de faute inexcusable de la victime, solidairement responsables du dommage résultant de l’accident de circulation que leur enfant a causé.
Crim. 5 janv. 2021, n° 19-86.409
Conduisant sans permis un véhicule volé, un jeune mineur provoque un accident de la circulation à la suite duquel son passager, gravement blessé, est devenu tétraplégique. Ce dernier aurait été, aux dires du conducteur, l’auteur ou du moins le complice du vol du véhicule à l’origine de l’accident.
Pénalement poursuivi pour vol aggravé, blessures involontaires et défaut de permis de conduire, le mineur est condamné, au civil, à réparer les conséquences dommageables de l’accident, sur le fondement de l’article 3 de la loi du 5 juillet 1985 (loi Badinter), lequel prévoit comme seule cause exonératoire de la responsabilité du conducteur la faute inexcusable de la victime.
En l’absence de faute inexcusable du passager, la condamnation du prévenu est prononcée, en même temps que celle de ses parents, civilement responsables de leur enfant mineur aux termes de l’article 1384, alinéa 4, devenu 1242, alinéa 4 du Code civil.
Par la suite, une cour de renvoi déclare cette condamnation in solidum opposable à l’assureur du véhicule et à l’assureur de responsabilité civile des parents, intervenus volontairement ou mis en cause au pénal.
Il convient à ce stade de préciser que si l’assurance de responsabilité civile « vie privée » des parents, n’a pas pour finalité première la prise en charge des conséquences d’accident de la circulation, elle comporte généralement une extension de garantie en cas de conduite d’un véhicule par un enfant mineur à l’insu de ses parents. En conséquence, lorsque l’assureur automobile, tenu de faire une offre indemnitaire à la victime, est contraint d’indemniser la victime qui l’a acceptée, il est ensuite en droit de se faire rembourser par l’assureur des parents, car il « est subrogé dans les droits que possède le créancier de l’indemnité contre la personne responsable de l’accident lorsque la garde ou la conduite du véhicule a été obtenue contre le gré du propriétaire » (C. assur., art. L. 211-1, al. 3). Le débiteur final du sinistre est donc en principe l’assureur des parents.
Devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, les parents ont principalement soutenu (1er moyen, 1re branche, les autres branches « manquant en fait »), que leur responsabilité civile ne pouvait être engagée que sur le fondement de l’article 1242, alinéa 4 du Code civil relatif à la responsabilité de plein droit des parents du fait de leur enfant mineur, et non sur celui de la loi du 5 juillet 1985 relatif aux accidents de la circulation, qui se trouvait exclu par les règles de la responsabilité du fait d’autrui, qui seules devaient s’appliquer sans pouvoir se cumuler avec aucun autre régime de responsabilité spécial, tel que celui prévu par la loi du 5 juillet 1985.
Dans cette mesure, affranchis de la restriction par la loi précitée de l’exonération du responsable à la faute inexcusable de la victime de l’accident, ils retrouvaient la possibilité de se prévaloir d’une simple faute contributive de la victime, même « légère ». Dans leurs conclusions communes, les parents du mineur avaient en ce sens demandé une réduction de moitié de l’indemnisation due à la victime en raison de sa participation au vol, de sa conduite momentanée du véhicule et de son transport volontaire dans un véhicule qu’il savait conduit par un conducteur sans permis. Selon les demandeurs au pourvoi, ces agissements étaient constitutifs d’une faute opposable à la victime et justifiant la réduction de moitié de leur dette indemnitaire que la cour de renvoi aurait donc dû appliquer.
Leur pourvoi est rejeté, d’abord en application de la théorie de l’estoppel, fondant l’interdiction de principe de se contredire en justice. En effet, les demandeurs avaient, dans leurs conclusions, opposé à la victime une exclusion de son droit à indemnisation tirée du fait qu’il aurait été soupçonné de vol ou de complicité de vol du véhicule alors que dans les mêmes conclusions, ils avaient relevé l’absence de toute participation avérée de la victime en tant qu’ auteur, co-auteur ou même complice du vol pour faire échec à l’exception de non-garantie susceptible d’être, dans ce cas, valablement soulevée par l’assureur automobile (C. assur., art. L. 211-1, al. 2). Cela rendait leur demande irrecevable pour s’être contredit au détriment d’autrui. Mais il est ensuite et surtout rejeté parce que « les dispositions de l’article 3 de la loi du 5 juillet 1985 sont d’ordre public et que les civilement responsables, couverts par une assurance de responsabilité civile, étaient, en l’absence de faute inexcusable de la victime, solidairement responsables du dommage causé par leur enfant mineur », étant précisé que le dommage subi fut jugé directement imputable aux faits de blessures involontaires commis par le conducteur.
Ressort principalement de cet arrêt l’enseignement, qui n’allait pas de soi, que la loi du 5 juillet 1985 est applicable à des parents civilement responsables en cas de garde ou de conduite d’un véhicule par leur enfant mineur.
Cette solution est en cela conforme à l’évolution de la responsabilité parentale du fait de leur enfant, devenue purement objective au point même d’être devenue, pour certains, une véritable responsabilité pour risque (S. Porchy-Simon, Les obligations, Dalloz 2020, n° 820, p. 410) Dans cette mesure, peut-être serait-il souhaitable que les personnes civilement responsables intègrent la liste de celles tenues à réparation figurant à l’article 2 de la loi, que sont les conducteurs et les gardiens (« Les victimes, y compris les conducteurs, ne peuvent se voir opposer (…) le fait d'un tiers par le conducteur ou le gardien d'un véhicule mentionné à l'article 1er. ») et qu’elles figurent également dans celle des personnes assurées au titre de l’assurance automobile (v. RGDA juin 2016, n° 113m8, p. 288, note J. Landel).
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