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[ 27 mai 2019 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Accident de la circulation : démonstration de l’implication du véhicule

Est impliqué dans l’accident le tracteur qui, alors qu’il était en action de fauchage, circulait à allure très réduite et empiétait sur la voie de circulation, a contraint la victime à le dépasser et provoqué sa chute.

Alors qu’il dépassait un tracteur, qui procédait au fauchage du bas-côté de la route, un conducteur avait perdu le contrôle de sa motocyclette. Il avait alors assigné le département auquel le véhicule appartenait, ainsi que l’assureur de celui-ci, en réparation de ses préjudices.

La Cour d’appel accueillit sa demande, jugeant le département intégralement responsable des préjudices subis par la victime du fait de l’accident, et déclarant cette décision opposable à son assureur. 

A l’appui de leur pourvoi en cassation, le département et son assureur soutenaient que pour être considéré comme impliqué dans un accident de la circulation au sens de l’article 1er la loi du 5 juillet 1985, un véhicule doit avoir joué un rôle quelconque dans sa réalisation mais qu’en dépit de cette acception extensive de la notion d’implication,  « la seule présence d’un véhicule sur les lieux d’un accident de la circulation ne suffit pas à caractériser son implication dans ledit accident », en sorte qu’en déduisant l’implication du tracteur dans l’accident de sa présence sur la voie de circulation ayant contraint la victime à une manœuvre de dépassement, la cour d’appel a violé le texte précité .

La Cour de cassation rejette le moyen et confirme l’implication du tracteur dans l’accident au motif qu’il était établi que la victime avait perdu le contrôle de sa motocyclette au moment où elle se rabattait sur sa voie de circulation et que c’est la présence du tracteur qui, alors qu’il était en action de fauchage, circulait à allure très réduite et empiétait sur la voie de circulation, l’avait contraint à cette manœuvre de dépassement.

Comme le rappelaient les auteurs du pourvoi, au sens de l’article 1er la loi du 5 juillet 1985, un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident de la circulation dès lors qu’il a joué un rôle quelconque dans sa réalisation. La notion d’implication ne se confondant pas avec le lien de causalité traditionnellement utilisé en matière de responsabilité civile, celle-ci est établie à la seule condition que le véhicule ait contribué, d’une manière ou d’une autre, à la survenance de l’accident, sans que soit donc exigée la preuve de son rôle directement causal dans sa réalisation, ni même celle de son rôle actif ou perturbateur (V. notam. Civ. 2e, 28 févr. 1990, n° 88-20.133 exigeant que le véhicule soit intervenu « d’une manière ou d’une autre dans l’accident » ou encore qu’il n’ait joué qu’un « rôle quelconque » pour le considérer comme impliqué dans l’accident, Civ. 2e, 15 mai 1992, n° 90-20.322). Autrement dit, pour que le véhicule soit impliqué et, partant, que son conducteur ou gardien soit tenu à réparation, il n’est pas exigé qu’il ait eu une fonction causale ; il suffit que sa présence ait été objectivement nécessaire à la survenance du dommage. Concrètement, il convient donc de rechercher si l’accident aurait eu lieu en l’absence du véhicule dont l’implication est envisagée. 

Si en cas de contact entre le véhicule et le siège du dommage, l’implication du premier est présumée, en son absence, il appartient à la victime de démontrer que le véhicule est intervenu, de quelque façon que ce soit, dans le processus accidentel (Civ. 1re, 18 mars 1992, n° 90-20.380 ; Civ. 2e, 26 oct. 2017, n° 16-22.462). Elle y est en l’espèce parvenue, les juges ayant retenu des éléments versés aux débats que, sans la présence du tracteur en action de fauchage au bord de la route, la manœuvre opérée par la victime pour le dépasser n’aurait pas été nécessaire et, partant, l’accident ne se serait pas produit. Le tracteur avait donc bien joué un rôle dans la survenance de l’accident, même sans en avoir été la cause directe : la présence d’un engin qui circule à très faible vitesse en empiétant sur la chaussée constitue objectivement un élément perturbateur pour la circulation, les véhicules circulant à une allure normale devant nécessairement faire une manœuvre de dépassement pour l’éviter ; pour autant, cet effet de surprise n’entraîne pas généralement d’accident, et celui en l’espèce survenu trouvait en fait sa cause directe dans la perte de contrôle de son véhicule par la victime. Mais rappelons que la loi du 5 juillet 1985, en liant la responsabilité civile à la notion d’implication dans l’accident, a entendu détacher cette responsabilité de toute notion de causalité en sorte que le lien traditionnel de causalité entre la présence du tracteur et l’accident n’avait pas à être démontré pour caractériser l’implication, qui résultait suffisamment du fait que sa présence avait concouru à la production du dommage. Cela étant, le fait que son rôle n’ait pas été purement passif, la présence d’un véhicule lent empiétant sur la chaussée étant de nature à surprendre les autres véhicules, a toutefois été déterminant de la décision des juges de retenir son implication, laquelle ne peut être déduite de la seule présence du véhicule, au moment de l’accident, sur la voie de circulation et du dépassement réalisé (V. Civ. 2e, 26 oct. 2017, préc. ; Civ. 2e, 13 déc. 2012, n° 11-19.696).

Objet d’une appréciation in concreto, la notion d’implication varie naturellement, dans son application, selon les circonstances propres à chaque espèce. Ainsi est-elle écartée lorsque le rôle joué par le véhicule dans la survenance de l’accident est considéré, pour des raisons spatio-temporelles, mineur voire inexistant (Crim. 28 juin 2017, n° 16-84.196). Elle est cependant assez facilement retenue, par exemple en cas de carambolage, malgré l’absence de contact et de rapport direct entre le véhicule jugé impliqué et celui finalement accidenté (Civ. 2e, 14 janv. 2006, n° 15-11.108), ou bien encore dans le cas d’un éblouissement de la victime par les phares du véhicule, ainsi jugé impliqué (Crim. 21 juin 1988, n° 87-90.245), ou même du fait de la seule interpellation verbale d’un pompier conducteur, en intervention de secours, à l’adresse de cyclistes en train de le doubler avant de perdre, par cet effet de surprise, le contrôle de leur tandem et de chuter (Civ. 1re, 1er juin 2011, n° 10-17.927).

Civ. 2e, 18 avr. 2019, n° 18-14.948

Références

■ Civ. 2e, 28 févr. 1990, n° 88-20.133 P : D. 1991. 123, note J.-L. Aubert ; RTD civ. 1990. 508, obs. P. Jourdain

■ Civ. 2e, 15 mai 1992, n° 90-20.322 P

■ Civ. 1re, 18 mars 1992, n° 90-20.380

■ Civ. 2e, 26 oct. 2017, n° 16-22.462 P

■ Civ. 2e, 13 déc. 2012, n° 11-19.696 P : D. 2013. 12, obs. I. Gallmeister ; RTD civ. 2013. 390, obs. P. Jourdain

■ Crim. 28 juin 2017, n° 16-84.196

■ Civ. 2e, 14 janv. 2006, n° 15-11.108 P

■ Crim. 21 juin 1988, n° 87-90.245 P: RTD civ. 1989. 99 obs. Jourdain

■ Civ. 1re, 1er juin 2011, n° 10-17.927 P : D. 2011. 1618 ; ibid. 2150, chron. J.-M. Sommer, L. Leroy-Gissinger, H. Adida-Canac et O.-L. Bouvier ; AJCT 2011. 578, obs. É. Péchillon

 

Auteur :Merryl Hervieu


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