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Droit de la responsabilité civile
Accident de la circulation : même postérieure à la consolidation et à l’indemnisation transactionnelle de la victime, l’aggravation de son dommage initial constitue un préjudice distinct intégralement réparable
L'aggravation du dommage initialement causé par un accident de la circulation peut découler de nouveaux préjudices résultant de soins prodigués à la victime postérieurement à sa consolidation en vue d'améliorer son état séquellaire originel. Replacée dans le cadre du règlement amiable de l’indemnisation des victimes protégées par la loi Badinter, cette aggravation constitue un dommage distinct du dommage initial ayant été définitivement réglé par la transaction conclue entre la victime et son assureur.
Civ. 2e, 10 mars 2022, n° 20-16.331
La victime d’un accident de la circulation avait conclu avec son assureur une première transaction prévoyant son indemnisation au titre de plusieurs chefs de préjudices, et réservant l'indemnisation de divers autres postes. Ils avaient ensuite conclu une seconde transaction, aux termes de laquelle l'assureur avait versé à la victime des indemnités complémentaires au titre du déficit fonctionnel permanent, de l'incidence professionnelle et de la perte de gains. Quelques années plus tard, la victime avait subi plusieurs interventions chirurgicales ayant conduit à l’aggravation de ses blessures initiales, causées par l’accident. Se prévalant d’une aggravation de son préjudice corporel, elle demanda l’annulation de la seconde transaction et une indemnisation au titre de l’aggravation de son préjudice. La cour d’appel la débouta de sa demande indemnitaire au motif qu'à la suite de sa consolidation, une victime déjà indemnisée qui se soumet à de nouveaux soins médicaux ou chirurgicaux ayant pour seul but d'améliorer son état ne peut ensuite demander l’indemnisation des conséquences dommageables de ces nouveaux soins ou interventions, lesquelles ne peuvent être assimilées à une aggravation de son état initial. Ainsi au cas d’espèce, la victime n’avait-elle pas, selon les juges du fond, été victime d'une aggravation de son préjudice postérieurement à la seconde transaction conclue ayant définitivement réglé l’indemnisation de l’intégralité de son préjudice corporel.
Au visa de l’article 1382 du code civil, devenu l’article 1240, de l’article L. 211-19 du code des assurances, ainsi que du principe de la réparation intégrale du préjudice, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, jugeant que la victime avait bien été victime d’une aggravation de son dommage initial, constitutive d’un préjudice distinct intégralement réparable. En effet, il arrive que la victime subisse une aggravation de son préjudice, notamment à la suite de la conclusion d’une transaction avec son assureur, ayant lieu chaque fois que la victime d’un accident de la circulation accepte l’offre indemnitaire que l’assureur est légalement contraint de lui proposer (sur la procédure ordinaire du règlement amiable de l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, v. Ph. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Régimes d’indemnisation, 12e éd., 6214.90 s). Dans cette hypothèse, comme le rappelle la Cour (pt 9), elle peut demander « la réparation de l’aggravation du dommage qu’elle a subi à l’assureur qui a versé l’indemnité » (C. assu. art. L. 211-19). Cette aggravation est traitée comme un dommage distinct de celui qui a définitivement été réglé par la transaction. L’autonomie de ce préjudice justifie donc de le réparer intégralement et de soustraire la victime à l’effet extinctif des transactions (sur l’autonomie du régime des transactions conclues sous l’égide de la loi du 5 juillet 1985, v. Ph. Le Tourneau, op.cit., n° 4161.00 s). En outre, peu importe que cette aggravation résulte de soins médicaux ou chirurgicaux ultérieurs qui avaient pour but d’améliorer l’état de la victime, dès lors qu’ils ont finalement emporté une aggravation de son dommage : « l’aggravation du dommage initial causé par un accident peut découler de nouveaux préjudices résultant des soins qui ont été prodigués à la victime postérieurement à sa consolidation, en vue d'améliorer son état séquellaire résultant de cet accident » (pt 11). Celle-ci peut donc en tout état de cause agir en indemnisation. Elle doit toutefois y procéder dans les dix ans de l'aggravation (pt 9). Rappelons à cet égard qu’en matière de responsabilité extracontractuelle, l’article 2270-1 du code civil prévoyait un point de départ objectif du délai de prescription : « Les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ». Mais la jurisprudence considérait que le délai ne pouvait courir qu’à compter de la date à laquelle le dommage est révélé à la victime si celle-ci établit n’en avoir pas eu précédemment connaissance. Il en résultait donc d’ores et déjà que le point de départ du délai devait être reporté au jour où la victime a eu connaissance des faits permettant d’exercer son action en responsabilité. De là a notamment été jugé qu’en matière de dommage corporel, la prescription ne courait qu’à compter de la consolidation du dommage, i.e.de la stabilisation des conséquences des lésions corporelles correspondant à la fin de la maladie traumatique, car c’est seulement alors que le dommage se manifeste sous sa forme définitive (Civ. 2e, 3 nov. 2011, n° 10-16.036 ; Civ. 2e, 11 juill. 2002, n° 01-02.182). La solution est confirmée par la loi du 17 juin 2008 prévoyant que l’action en responsabilité de la victime, directe ou indirecte (victime « par ricochet ») d’un dommage corporel se prescrit par dix ans « à compter de la date de consolidation du dommage » (C. civ., art. 2226).
Références :
■ Civ. 2e, 3 nov. 2011, n° 10-16.036 : D. 2011. 2867 ; ibid. 2012. 644, chron. H. Adida-Canac, O.-L. Bouvier et L. Leroy-Gissinger ; ibid. 2013. 40, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2012. 122, obs. P. Jourdain
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