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Droit de la responsabilité civile
Accident de la circulation : portée d’une transaction en présence d’une nouvelle demande d’indemnisation
Il résulte de l’article 2052 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, et du principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, que l’autorité de la chose jugée attachée à une transaction ne fait pas obstacle à la demande d’indemnisation des préjudices initiaux qui n’y sont pas inclus.
Civ. 2e, 7 nov. 2024, n° 23-12.369
Transaction : droit commun et régimes spéciaux – La transaction est un contrat nommé par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître (C. civ., art. 2044). Son objet réside principalement dans la renonciation mutuelle des parties, par convention, à leur droit d’agir en justice (C. civ., art. 2048) : plus que la volonté, même commune, de mettre fin à un litige, c’est la renonciation à l’action qui est la marque propre de la transaction.
La nature contractuelle de la transaction justifie sa soumission au droit commun des contrats. En ce sens, la voie transactionnelle, qui relève de la liberté des conventions, se présente comme une faculté offerte aux parties de régler la question de la réparation des préjudices causés à la victime par l’auteur du dommage. Mais à l’effet d’accélérer le règlement des litiges, le législateur impose dans certains cas le recours à la transaction. Il en est ainsi, notamment, en matière d’accidents de la circulation (C. assur., art. L. 211-8 à L. 211-25). Est ainsi qualifiée de transaction la convention qui se forme lors de l’acceptation, par la victime d’un accident de la circulation, de l’offre émise par l’assureur du conducteur du véhicule ; la victime restant libre, cependant, de préférer à cette voie extrajudiciaire l’action judiciaire traditionnelle. C’est donc l’offre de transaction qui est obligatoire, et non la transaction elle-même. Lorsque la victime d’un accident de la circulation décide de l’emprunter, la voie transactionnelle lui permet d’obtenir une indemnisation fixée par un accord réciproque, sans intervention des tribunaux. Au cas d’espèce, la victime d'un accident de la circulation avait accepté de transiger sur plusieurs chefs de préjudices consécutifs à son accident, plusieurs mois après la consolidation de son état de santé. En exécution de cette convention, la victime avait donc été indemnisée de ses dommages sans recourir au juge. Mais cinq ans plus tard, confrontée à l’aggravation de son état de santé et de sa situation socio-professionnelle, elle forma devant la justice une nouvelle demande d’indemnisation afin d’obtenir réparation de son dommage aggravé ainsi que de préjudices initiaux qui, ultérieurement apparus, n’avaient pu être inclus dans la transaction. En raison de l’autorité de la chose jugée traditionnellement attachée à la transaction, se posait alors la question de la recevabilité de son action en justice contre l’assureur du conducteur à l’origine de son accident.
Force obligatoire de la transaction – Certaines des règles dont le Code civil assortit la transaction ont créé une équivalence entre ce contrat et le jugement, au point que cette convention a pu être qualifiée d’« équivalent juridictionnel » (G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, PUF, 3e éd., p.47). Cette équivalence était d’autant plus marquée que l’article 2052 du code civil, jusqu’à sa modification en 2016, attachait à la transaction « l’autorité de la chose jugée en dernier ressort », expression que l’on retrouve en l’espèce employée en raison de la date du litige. L’inadéquation de cette expression juridictionnelle aux effets transactionnels ayant été maintes fois dénoncée, la loi du 18 novembre 2016 (L. n° 2016-1547, art. 10, 2°) a modifié les termes de cette disposition qui, dorénavant, énonce de manière plus juste que « (l)a transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet ». En d’autres termes, une action exercée postérieurement à la transaction sur la chose transigée se heurtera à une fin de non-recevoir, dite exception de transaction, comparable à l’exception de chose jugée (Civ. 1re, 4 avr. 1991, n° 89-15.637). S’agissant de la réparation du préjudice, la jurisprudence tire de cette assimilation la conséquence que l’évaluation du dommage est, en principe, définitivement fixée soit à la date à laquelle le juge rend sa décision, soit à celle où une transaction est intervenue (Civ. 2e, 11 janv. 1995, n° 93-11.045). Or en l’espèce, malgré la conclusion d’une transaction antérieure à sa demande indemnitaire, l’action de la victime est jugée recevable. C’est qu’un double tempérament à la force obligatoire de la transaction est prévu : d’une part, en l’absence d’inclusion dans le champ du contrat d’un chef de préjudice préexistant, d’autre part, en cas d’aggravation du dommage initial.
Tempéraments : absence de prévision et aggravation du dommage – Il est admis que les accords transactionnels entre les parties ne peuvent produire d’effet sur des éléments du préjudice inconnus ou inexistants lors de leur conclusion (Civ. 1re, 26 janv. 1999, n° 97-10.028). N’ayant pu être inclus dans le champ de la convention, leur indemnisation peut être accordée sans heurter l’autorité de la chose jugée attachée à la transaction, qui ne vaut que pour l’objet qu’elle renferme. Ainsi la Cour de cassation lève-t-elle ici l’obstacle lié à l’autorité de la chose jugée attachée à la transaction en l’espèce conclue sans avoir mentionné les postes de pertes de gains professionnels, au motif qu’« une transaction ne fait pas obstacle à la demande d'indemnisation des préjudices initiaux qui n'y sont pas inclus ». Au visa de l’ancien article 2052 et du principe de la réparation intégrale du dommage, elle casse l’arrêt de la cour d’appel ayant jugé l’action indemnitaire de la victime recevable qu’à compter de l’aggravation de son état de santé et limité en conséquence l’indemnisation de ses pertes de gains professionnels sans rechercher, comme elle y était invitée, si ce poste de préjudice avait été inclus dans le champ de la transaction conclue pour réparer ses préjudices initiaux, ce que la victime contestait. La Cour confirme ainsi que l'autorité de la chose jugée attachée à la transaction conclue entre la victime d'un accident de la circulation et l'assureur du véhicule impliqué dans cet accident ne s’oppose pas à ce que la victime demande une indemnisation complémentaire pour le préjudice préexistant, non intégré au champ transactionnel. Même issu du dommage initial, le chef de préjudice exclu de l’objet de la transaction constitue un préjudice indemnisable.
Il en va de même concernant l’aggravation du dommage subi par la victime postérieurement à la conclusion de la transaction. Dans cette hypothèse, la loi prévoit expressément que la victime peut demander « la réparation de l’aggravation du dommage qu’elle a subi à l’assureur qui a versé l’indemnité » (C. assur., art. L. 211-19). Raison pour laquelle cette aggravation est traitée, au cas d’espèce, comme un dommage distinct du dommage initial ayant été définitivement réglé par la transaction, et dont l’indemnisation peut également être accordée à la victime sans méconnaître le principe de l’autorité de la chose jugée rattaché à cette convention, ni celui de la réparation intégrale du dommage sans profit pour la victime.
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